Quelle sécurité sur nos plages ?

Chaque été, des dizaines de Marocains meurent noyés en mer. Comment expliquer ces chiffres alarmants ? Nos plages sont-elles bien sécurisées ? Quels sont les réflexes qui sauvent en cas de noyade ? Eclairage.

Après le choc provoqué par le drame d’Oued Cherrat, qui a vu 9 sportifs en herbe et deux adultes entrés les sauver, emportés par les flots atlantiques, les interrogations habituelles des estivants reviennent avec plus d’acuité cette année. Les plages marocaines sont-elles surveillées comme il se doit ?

Les congés d’été, censés rimer avec détente et farniente, sont synonymes pour beaucoup de parents de stress et d’angoisse. Toutes les familles marocaines n’ont pas les moyens de séjourner dans des clubs de vacances avec garderie et animation pour les petits. Beaucoup doivent se contenter de distractions plus accessibles, comme les plages publiques. «Quand j’y emmène mes deux enfants de 4 et 6 ans, je ne les lâche pas du regard. Il m’est impossible de me relaxer, un drame est très vite arrivé. Dans ma jeunesse, je fréquentais les plages à proximité de Kénitra et tous les ans, je voyais des enfants ou des adolescents se noyer devant mes yeux et devant ceux, impuissants, des maîtres-nageurs», confie Amal, 40 ans, secrétaire de direction.

Des chiffres inquiétants et révélateurs

Il est vrai que les chiffres fournis par la Direction de la protection civile sont pour le moins préoccupants. Pour la seule saison balnéaire 2014, ce ne sont pas moins de 7.055 personnes qui ont eu des difficultés en mer. Mais si 6.988 ont été repêchées saines et sauves, 52 sont mortes et 15 autres ont été portées disparues. La province de Kénitra, réputée pour la dangerosité de ses rivages, est celle où ont été recensées le plus d’interventions (1391 cas de noyés retirés vivants), suivie de la préfecture de M’diq-Fnideq (1107 cas) et de celle de Tanger-Assilah avec 583 noyés. Ces statistiques alarmantes sont liées à plusieurs facteurs, à la fois naturels, sociologiques et logistiques. En effet, si la force des marées et des courants au large des côtes rendent parfois les baignades dangereuses, l’inconscience ou l’excès d’assurance des baigneurs les exposent en permanence au péril, que ce soit dans les eaux atlantiques ou méditerranéennes. Ignorants la puissance et l’imprévisibilité de l’océan ou cherchant à braver les consignes de sécurité établies par les autorités compétentes, certains jeunes s’éloignent des bornes ou s’aventurent sur des plages non surveillées. Enfin, celles qui le sont ne disposent pas toujours de l’effectif humain et du matériel suffisants pour faire face à l’impressionnant afflux des estivants sur les plages du Royaume durant la haute saison de juillet à septembre.

Oued Cherrat : Chronique d’une tragédie

Oued Cherrat, entre Skhirat et Bouznika. C’est sur cette petite plage restée un peu sauvage, appréciée autant par les baigneurs que par les surfeurs, que 9 enfants (sur 44) et 2 adultes ont été engloutis par une violente houle dans la matinée du dimanche 7 juin 2015. Venus de Benslimane fêter, au bord de l’eau, leur victoire dans un championnat de taekwondo sur la suggestion de leur entraîneur, les petites graines de champions, âgés de 12 à 17 ans, ignoraient que leur escapade sur ce bout de rivage non surveillé coûterait la vie à 9 d’entre eux. Le moniteur, Mustapha El Amrani, a été arrêté, placé en garde à vue et poursuivi pour négligence. Il sera relâché après une forte mobilisation en sa faveur via les réseaux sociaux. Ses défenseurs faisaient remarquer qu’il n’y avait aucun panneau d’avertissement sur la plage en question, que M. El Amrani, «qui a dédié son existence au bonheur des enfants, le plus souvent démunis» a risqué sa vie pour sauver celle de ses protégés, et que les responsabilités sont à chercher plutôt du côté de la Protection civile, arrivée selon eux trop tard sur les lieux du drame.

Les critiques des estivants

«Les plages surveillées ne me rassurent pas plus que celles qui ne le sont pas. Comment peut-on prétendre garder l’œil sur des kilomètres de littoral avec une poignée de maîtres-nageurs chétifs, sous-équipés et payés une misère? Quand je viens en vacances au Maroc, je ne laisse jamais mes filles se baigner seules, je les suis même dans l’écume !» rapporte Leyla, 38 ans, marocaine résidente en Belgique.

Comparaison n’est pas raison, mais il est vrai que notre pays semble plutôt loin des normes occidentales en termes de surveillance et de sauvetage. A titre d’illustration, pour pouvoir exercer, un maître-nageur sauveteur en France doit détenir au minimum le BNSSA (Brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique), diplôme obtenu sur concours, au bout de 6 mois environ de formation et qui doit être renouvelé tous les 5 ans. Il perçoit par ailleurs entre 1400 euros (débutant) et 2100 euros de salaire mensuel, contre environ 2000 dirhams pour son confrère marocain. Saisonnier, généralement étudiant en quête d’un petit pécule estival, ce dernier est formé à l’approche de l’été par les officiers de la Protection civile.

La protection civile se mobilise

Qu’en sera-t-il en cette saison balnéaire 2015? Quelles leçons tirer du drame d’Oued Cherrat ? La Direction de la Protection civile se veut rassurante et a annoncé la mise en place de nombreuses mesures pour renforcer la sécurité des vacanciers. Parmi lesquelles l’acquisition de nouveaux matériels de sauvetage et la mobilisation des équipements de sauvetage subaquatique tels que les canots pneumatiques, les motomarines et les quads. En outre, il est prévu la tenue prochaine d’un concours de recrutement de plus de 2.000 nageurs-sauveteurs saisonniers. Ceux-ci, âgés de 20 à 35 ans, doivent être en bonne condition physique et seront formés notamment en secourisme et communication (source : lematin.ma). Ceci dit, comme le rappelle souvent la même Direction, les vacanciers sont tenus, pour leur part, de respecter les interdictions à la baignade dans certaines zones et de garder un œil vigilant sur leurs enfants. Une campagne nationale de sensibilisation à ce propos ne serait pas de trop.

L’Atlantique déchaîné, la Méditerranée traîtresse

Le Maroc est longé par 3000 kilomètres de côtes sur sa façade atlantique et 500 km sur sa façade méditerranéenne.

. L’Océan atlantique fourmille de dangers apparents et non apparents, mais les plus connus sont les baïnes et les rouleaux, dits aussi «machine à laver» ou « khatem » (bague) en darija. La baïne est un courant très puissant qui se forme sous l’eau, entre deux monticules de sable et entraîne le baigneur au large. Cette dépression passagère survient généralement pendant les trois premières heures de la marée, que celle-ci soit montante ou descendante. À marée basse, les baïnes se présentent comme une succession de cavités régulières, sortes de piscines naturelles. L’autre phénomène, les rouleaux, sont des vagues puissantes qui viennent se casser au bord et happent le baigneur. Celui-ci se retrouve alors roulé dans tous les sens sous l’eau, d’où le nom de machine à laver ou tourbillon.

. La Méditerranée n’est pas toujours cette mer d’huile tranquille que l’on fige sur les cartes postales. En son sein, se créent des courants contraires et des houles qui peuvent s’avérer plus fatals que ceux de l’Océan atlantique. La vigilance est de mise !

Noyade, les gestes qui sauvent

. Si vous vous sentez emporté : ne tentez pas de résister ou de nager à contre courant. Epuisé, paniqué, vous risqueriez en effet l’étouffement sous une pression trop forte. Planche sur le dos, laissez-vous porter tout en régulant votre souffle. Attendez patiemment que la mer vous ramène vers le rivage ou que les secours arrivent, même quelques bornes plus loin.

. Si vous êtes témoin d’une noyade : une fois la victime sortie de l’eau, allongez-la sur le dos puis appelez les secours (protection civile : 150). Si la personne respire, placez-la en position latérale de sécurité pour éviter qu’elle ne s’étouffe. Si elle ne respire pas, alternez le bouche-à-bouche (relevez le menton de la victime et soufflez 5 fois dans sa bouche en lui pinçant le nez) et le massage cardiaque (placez vos paumes au niveau du sternum de la victime et appuyer par séries de 30) jusqu’à l’arrivée des secours.