La surenchère de la barbarie
L'une des victimes de l'attentat.

C’est un vendredi noir que l’Etat Islamique peut se targuer d’avoir triplement endeuillé. L’organisation terroriste a revendiqué trois attentats, dans trois pays. Trois kamikazes qui se jouent des frontières, trois cibles distinctes et trois attaques sans précédent.

L'attentat à la bombe dans une mosquée chiite de Koweït City pendant la grande prière (27 morts, 200 blessés) est une première sanglante dans l’émirat. Il voit ainsi déborder à domicile la guerre civile qui emporte l’Irak voisin. Les chiites honnis sont visés par les djihadistes, le grand règlement de comptes en cours au Moyen orient continue. Le terroriste est un Saoudien, arrivé le jour même sur place. Son testament en vidéo est diffusé trois jours après par l’organisation terroriste.

Jamais non plus, les touristes n’avaient été mitraillés sur la plage et dans leur hôtel comme l’a fait un terroriste tunisien venu en short et dissimulant son fusil d’assaut dans un parasol (38 morts, 36 blessés, pratiquement pas une balle perdue). Ce carnage sur le sable choque d’autant plus qu’il survient dans un décor de vacances paradisiaques, la station balnéaire de Sousse. Un seul tueur provoque la fuite éperdue de milliers d’étrangers et ruine la saison. Les autorités évaluent les premières pertes à 500 millions d’euros. Les Occidentaux et leur mode de vie étaient dans le collimateur mais c’est aussi le régime du président élu, Béji Caïd Essebsi, qui est fragilisé. Le terroriste est un étudiant inconnu de la police. Il s’est radicalisé à Kairouan et on le soupçonne de s’être enrôlé en Libye.

Le troisième attentat, en Isère en France, est le plus frustre dans les moyens utilisés, le plus obscur dans ses motivations mais peut-être celui qui frappe le plus fort les esprits. C’est l’équipée sauvage d’un chauffeur-livreur qui décapite son patron et attaque l’usine gazière voisine. L’homme a 35 ans. On le sait violent, à la limite du psychotique. Les services de police avaient noté sa radicalisation mais ignoraient visiblement qu’il s’était rendu en Syrie. Armé d’un couteau et de sa seule camionnette, il tente de provoquer une catastrophe de type Seveso. Pour la première fois dans le pays qui a inventé la guillotine, une tête humaine est plantée sur un poteau entre deux drapeaux islamistes. Le tueur prendra le temps de photographier sa victime et d’expédier le cliché à son mentor, en Syrie, avant d’essayer de faire sauter les citernes.

Contrairement à ce qui s’est passé au Koweït et en Tunisie, le kamikaze se laisse arrêter. Devant les enquêteurs, il nie être un djihadiste et prétexte un conflit avec son employeur. C’est le paradoxe : les deux autres attentats se sont passés de mise en scène macabre mais revendiquaient leurs objectifs. En Isère, le terroriste déploie le drapeau de l’Etat Islamique mais son objectif reste confus. Sans doute a-t-il obéi aux consignes des différentes organisations terroristes (Aqmi, Aqpa, Daech) qui ont fait de la France une cible prioritaire et appellent leurs partisans à l’attaquer par tous les moyens. A moins qu’il n’assouvisse le même genre de haine qui a porté aux meurtres les plus barbares de ces anti-héros de la France contemporaine que sont Mohamed Merah, Medhi Nemmouche, les frères Kouachi et Amedy Coulibalay…

Manuel Valls parle de «guerre de civilisation», référence droitière à l’ouvrage bancal de Samuel Huntington. Quand le choc des images est trop fort, les mots perdent leur poids. C’est la sidération, l’effet recherché par les terroristes. Elle les contraint à surenchérir dans l’horreur.