«L’approche du Maroc est unique et efficace»
Ricardo Renu00e9 Laru00e9mont nProfesseur de Science politique et de sociologie u00e0 lu2019universitu00e9 de New York. Senior Fellow au sein de lu2019Africa Center

'Spécialiste des questions liées aux évolutions et révolutions concernant différentes régions de l’Afrique auxquelles il a réservé différents ouvrages, Ricardo René Larémont analyse la portée et la légitimité de la stratégie religieuse marocaine en Afrique. Entretien réalisé par Jamila Arif '  

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Que pensez-vous des actions et des initiatives entreprises par le Royaume dans le domaine religieux en Afrique ?

Ricardo René Larémont : Je tiens à saluer le leadership du Royaume dans la lutte contre l’extrémisme religieux notamment par la promotion de la modération et la tolérance religieuses à travers des programmes de formation des imams. Mais il est tout aussi important de rappeler que ce leadership marocain n’est pas un phénomène du XXIè siècle. Des imams et prêcheurs marocains ont toujours eu une influence dans le Sahel, depuis l’époque des empires médiévaux du Ghana et du Songhaï. L’islam a été pratiqué dans le Maghreb et le Sahel depuis des siècles. Et le Sahara a existé en tant que route plutôt qu’un obstacle pour la transmission de la foi et des idées. Le Maghreb et le Sahel sont une seule région. La monarchie marocaine et le gouvernement prennent en compte cette réalité et cherchent à unifier la région sur le plan religieux, social et économique.

La Fondation Mohammed VI pour les Oulémas Africains vient d’être créée. Quelle lecture faitesvous de cette initiative ?

La promotion qu’entreprend le Maroc d’une forme modérée de l’islam est d’une impérieuse nécessité dans notre époque où les manifestations d’un islam moins tolérant, radical et politisé sont devenues évidentes. La communauté musulmane passe par des moments critiques de son histoire où les forces de la modération sont confrontées à celles de l’intolérance. Mais on doit se demander qui représente les musulmans sur la scène mondiale. Abubakar al-Baghadi de l’État islamique qui prône une politique d’éradication de tous ceux qui sont en désaccord avec lui ? Ou le Roi Mohammed VI qui, au cours de son règne, appuie la modération dans l’espace politique tout en privilégiant le dialogue et le consensus ? Ceux qui suivent al-Baghdadi sont une minorité au sein de la communauté musulmane. Mais ils ont pris les armes pour défendre leur «cause». Et leur succès militaire a attiré l’attention des médias internationaux. Dans l’intérêt de l’Islam, des leaders reconnus et de premier plan doivent émerger de la communauté musulmane, qui prouvent et préconisent efficacement que la plupart des musulmans empruntent la voie du dialogue et du consensus plutôt que celle du carnage et de la destruction.

Comment évaluez-vous le rôle du Maroc dans le domaine religieux en Afrique ?

Ce qui me préoccupe le plus, c’est que les efforts du Maroc ne soient pas suffisants. D’autres dirigeants de haut niveau au sein des communautés religieuses et politiques doivent se lever et crier haut et fort leur indignation et leur désapprobation de ce que l’Etat islamique a commis au nom de l’islam. Le ciblage et le meurtre des chiites n’est pas tolérable dans l’islam contemporain. Le ciblage et le meurtre des chrétiens n’est pas tolérable dans l’islam contemporain. L’enlèvement des femmes et leur mariage forcé n’est pas tolérable dans l’islam contemporain. Mais les efforts du Roi Mohammed VI et de l’Etat marocain, si admirables soient-ils, ne peuvent aboutir, seuls, à imposer une forme modérée de l’islam. Nous vivons à une époque de l’histoire qui est caractérisée par un manque indécent de leadership politique. Mais parmi les leaders musulmans, certains se sont exprimés haut et fort dans les médias internationaux, dénonçant les violences commises par l’État islamique et son prédécesseur Al-Qaida. Le Roi Mohammed VI a été ferme sur cette question. Mais qui s’est joint à lui avec une telle clarté ? Où sont les autres ? Néanmoins, en ce qui concerne les efforts uniques du Royaume, pour faire face à des mouvements politiques islamistes violents et intolérants, je crois que l’accent mis sur l’Afrique du Nord et le Sahel est approprié étant donné les ressources disponibles pour le Maroc et son rôle historique dans la région. Il existe, en effet, un tissu d’intimité religieuse et sociale entre les croyants du Sahel et de l’Afrique du Nord. Des relations tissées étroitement par les liens du soufisme, qui a été défini, vers la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle par la compassion, la miséricorde, le dialogue, le consensus et la spiritualité. La stratégie sociale et politique du Royaume visant à encourager le soufisme, à la fois par son soutien aux «turuq» et par des entreprises culturelles dont notamment le Festival de Fès des Musiques Sacrées, a pu créer et renforcer une plate-forme pour le dialogue entre les cultures. Une démarche qui a eu un effet bénéfique non seulement en Afrique du Nord et au Sahel, mais aussi à l’échelle internationale. En adoptant cette stratégie, l’approche du Royaume s’est révélée unique et efficace. C’est un précieux soutien à de nombreux musulmans qui adoptent la modération dans la pratique religieuse. Je souligne aussi que dans le milieu culturel, le Royaume encourage la réconciliation entre les religions à travers différents festivals de musique.

La stratégie marocaine se veut globale, elle ne concerne pas uniquement le Sahel ou une région précise du continent…

La promotion de l’islam modéré par le Royaume serait pertinente non seulement en Afrique du Nord et au Sahel, mais aussi en Europe. On peut envisager un scénario plausible et tout à fait raisonnable dans lequel les efforts didactiques du Royaume visant à créer un cadre de grande portée pour une génération d’imams modernes et tolérants pour le Sahel pourraient être étendus pour déradicaliser la jeunesse musulmane marginalisée en Europe. Le profil démographique de l’Europe est en train de changer radicalement. Et l’Europe «chrétienne» doit se réconcilier avec ses communautés musulmanes. Compte tenu des efforts de plus en plus remarquables du Royaume et son orientation culturelle, tant au sein même du Maroc et dans le Sahel, nous pourrions imaginer une reconfiguration et une réplication de ces efforts dans la formation des imams et des murshidates sur le terrain social européen ✱