Changer de braquet
Ahmed Charau00ef

La législature actuelle n’a plus que 18 mois avant d’arriver à son terme et elle enregistre des retards importants dans des domaines cruciaux. Sur le plan législatif, la mise en application de la Constitution nécessite 23 décrets, seuls 8 on été réalisés à ce jour. Le résultat est que des institutions constitutionnelles, prévues par le texte, ne sont toujours pas en place. Les réformes traînent pour des raisons politiciennes. Ainsi, celle concernant les retraites est annoncée pour septembre, après les élections communales, alors qu’elle est dans les cartons depuis très longtemps. La pilule est amère, puisqu’il faudra travailler plus, cotiser plus, pour percevoir de plus faibles pensions. Mais tout le monde sait que c’est le seul moyen de pérenniser le système, qui est en faillite. Les syndicats, et c’est leur rôle, réclament en compensation, des augmentations de salaire. La décompensation cale sur le butane et d’autres produits tels que la farine, par exemple. En contrepartie, l’aide directe piétine, même dans son approche la plus réduite, puisqu’elle ne concerne plus que les veuves dont les enfants sont scolarisés et qui n’ont pas de revenu. C’est une situation qui accentue la précarité, alors que la coalition gouvernementale avait fait de la lutte contre la pauvreté l’une de ses priorités. On avait même annoncé un SMIG à 3000 DH, promesse non tenue, parce qu’intenable. La réforme de la Justice suscite beaucoup de remous. Le projet de Code pénal a donné lieu à de véritables clivages, qui mériteraient un débat serein au lieu des invectives actuelles. Les libertés individuelles, la peine de mort, les peines alternatives, entre autres, sont de véritables sujets de société, que l’on ne peut régler que par un débat élargi et non pas de manière dolosive, comme c’est le cas dans le projet actuel. Quand à l’indépendance du Parquet par rapport à l’exécutif, ce n’est pas une affaire de «spécialistes». L’approche du gouvernement s’inspire du cas français, celle de ses opposants, des anglosaxons. Dans les deux cas, la différence des choix n’altère pas l’indépendance de la Justice, qui est d’abord fonction du profil des juges. Enfin, il y a l’économie. La baisse du prix du pétrole et des matières premières et la bonne maîtrise du marché des phosphates, permettent d’avoir de «bons chiffres». Mais la réalité est plus contrastée. Le chômage augmente, les PME-PMI ont de grosses difficultés de trésorerie, la diversification des exportations est encore un voeu pieux, le tourisme subit les aléas géopolitiques. A cela s’ajoute la crise du bâtiment. Dans ce secteur, ce que l’on a appelé «les champions nationaux» sont en crise, malgré l’extrême générosité de l’Etat. Surendettés, alors qu’ils ont engrangé des bénéfices colossaux sur le logement social, ils mettent en péril la solidité du système bancaire. Il faudra solutionner ce problème, parce que l’économie nationale ne peut pas se permettre une destruction de valeur de cet ordre, mais pas uniquement au profit des actionnaires. Ce sont là des questions d’importance, qui devraient animer le débat public. Nous sommes à la veille d’élections locales et régionales, où la raison voudrait que s’affrontent des conceptions de service public, d’aménagement du territoire, de la proximité. Nous en sommes très loin, puisque les partis politiques ont choisi de reprendre les mêmes personnes et les mêmes pratiques. La classe partisane, dans son ensemble, est responsable de l’appauvrissement du débat public qui aggrave la désaffection des citoyens par rapport aux institutions représentatives. L’un des enjeux des prochains mois, c’est de relever le niveau du débat pour concerner les citoyens et c’est la responsabilité des acteurs politiques. Le drame serait un taux d’abstention record en 2016. La construction démocratique en sera handicapée.