La rude bataille pour les libertés

Droits de l’homme, libertés individuelles, moralisation de la vie publique… Si des avancées notables ont été enregistrées, il demeure néanmoins des retards à rattraper et des acquis à   préserver.  Au lendemain des élections communales et régionales, les thématiques sociétales et   politiques habituelles reviennent sur le tapis du débat public. L’occasion opportune pour   les Marocains de s’interroger sur l’avancée démocratique de leur pays.  

Menace sur les libertés individuelles   ?

C’est l’une des thématiques qui a créé le plus de polémique en cette année 2015. Pas un mois ne s’écoule sans que les quotidiens du royaume et les réseaux sociaux ne rapportent un fait divers d’une violence inouïe jusque-là étrangère à la société marocaine. Cela a été particulièrement le cas durant le dernier ramadan et les semaines qui ont suivi avec 6 affaires successives commentées jusque dans la presse internationale : l’agression de deux jeunes coiffeuses dans le souk d’Inezgane en raison de leur tenue vestimentaire, la diffusion sur Facebook de clichés d’hommes sur la plage d’Anza (dans les environs d’Agadir) brandissant un étendard noir enjoignant aux touristes de ne pas porter de bikini, le passage à tabac par une foule de passants d’un supposé travesti à Fès, la dénonciation   aux autorités par des commerçants de jeunes ayant bu un jus d’orange en journée sur la place Jemaâ el Fna à Marrakech, le lynchage à mort d’un homme soupçonné de vol au souk de Boumia   près de Midelt et enfin le harcèlement sexuel collectif d’une jeune mère avec   son bébé dans les bras sur la Corniche de Tanger. C’est autant la fréquence de ces agressions qui préoccupe l’opinion publique que les réponses du gouvernement   islamiste, et en particulier du   ministre de la Justice, réponses jugées par ses détracteurs comme peu fermes à l’encontre des auteurs de ces faits. Devant l’indifférence apparente d’une classe politique moribonde, et craignant de voir menacés les acquis en matière de   libertés civiles et individuelles, acteurs   associatifs et société civile se sont   mobilisés via des sit-in de soutien et la désignation de ténors du barreau pour défendre les victimes de ces agressions.

Droits de l’homme, entre optimisme   et inquiétude  

Liberté d’habillement, liberté de circulation, liberté sexuelle, place grandissante des femmes dans l’espace public… Alors que l’évolution des mœurs est inéluctable, aussi traditionnaliste puisse être la société marocaine, le bras de fer entre conservateurs et modernistes, islamistes et laïcs, gagne en visibilité et en intensité. Un duel à couteaux tirés par   médias classiques et nouveaux interposés, que l’on retrouve aussi dans le débat   autour de la réforme du Code pénal (datant de 1962). En dehors de quelques avancées (instauration de peines alternatives, criminalisation du harcèlement sexuel, de l’enrichissement illicite…), l’avant-projet rendu public par Mustapha   Ramid le 1er avril dernier, continue à être dénoncé par les partis progressistes et les militants des droits humains comme passéiste, liberticide et en contradiction avec la loi suprême et les   conventions internationales ratifiées par le Maroc. Les inquiétudes des critiques   du gouvernement Benkirane portent   notamment sur le maintien de la peine   de mort alors que celle-ci connaît un moratoire depuis 1993 (date de la dernière   exécution, celle du commissaire Tabet) et que le débat sur son abolition avait sensiblement avancé. Idem pour le maintien de la criminalisation de l’homosexualité, du prosélytisme, de   la rupture du jeun en public pendant   le ramadan ou des relations sexuelles   hors mariage. Plus préoccupant encore, l’introduction de circonstances   atténuantes en cas de crime d’honneur ou passionnel, et leur élargissement   aux autres membres de la famille en   plus de son chef, comme c’est l’usage   dans certains pays moyen-orientaux. Qualifiée également de moyenâgeuse par les progressistes, l’introduction de «l’offense aux religions» (article 219), passible de 5 ans de prison, alors même que la Constitution plébiscitée en juillet   2011 garantit la liberté d’expression et de culte. Cette nouvelle disposition   vient s’ajouter au tout aussi flou   «ébranlement de la foi d’un musulman   » (article 220 du Code actuel), à   l’origine de l’incarcération de plusieurs Marocains convertis au christianisme, le législateur sanctionnant le prosélytisme et non l’apostasie. Si le projet de M. Ramid est adopté, ses détracteurs   craignent que celui-ci n’ouvre le champ aux interprétations abusives et arbitraires de la part d’agents d’autorité ou   de magistrats zélés. D’où la nécessité vitale et impérieuse d’un débat national   sur la refonte du Code pénal et plus globalement sur la réforme de la Justice,   attendue depuis plusieurs années   par les Marocains.

Moralisation de la vie   publique, numéro vert et carton   rouge  

Dans le cadre de cette même réforme judiciaire, il est prévu un durcissement   des sanctions contre la corruption, le détournement de fonds publics et   autres voies d’enrichissement illicite. Ce dernier, jusque-là impuni par le législateur, devrait désormais faire l’objet d’un article spécifique dans la   nouvelle mouture du Code pénal. En   vertu de l’article 256-7 de l’avant-projet présenté par le ministre de la Justice,   les fonctionnaires publics incriminés écoperont ainsi de 2 mois à un an d’emprisonnement et de 5000 à 50.000 dirhams d’amende. Dans le même souci de moralisation de la vie publique et   de lutte participative contre la corruption, en juin dernier, les autorités   judiciaires ont mis en place un numéro vert (0800004747) pour encourager les citoyens à dénoncer sous anonymat les actes de corruption et autres trafics d’influence. Un outil bien pensé, les appels des témoins étant automatiquement transférés à des magistrats   spécialisés, qui transmettent ensuite les dossiers au Parquet compétent. La ligne a déjà permis l’arrestation en flagrant délit de trois fonctionnaires en juillet dernier, en l’occurrence un employé de l’administration des Douanes dans la métropole économique à Casablanca, un président de commune à Meknès et un moqaddem à Casablanca. Des   débuts encourageants, sachant que le phénomène est aussi tabou qu’endémique. En effet, malgré la progression du Royaume dans le classement de Transparency International (passant en 2014 de la 91ème à la 80e place de l’indice sur la corruption) et les initiatives des gouvernements successifs visant à endiguer ce fléau, celui-ci   continue à gangréner tous les secteurs   d’activité, publics comme privés, et tous   les échelons de la société.

Travail des enfants, droits   des mineurs  

Le travail des enfants mineurs figure parmi les débats les plus vifs qui agitent les médias nationaux. Et pour cause. Les chiffres font froid dans le dos. Ainsi, selon le «Collectif pour l’éradication du   travail des petites bonnes», entre 60.000 et 80. 000 fillettes de 8 à 15 ans, issues   pour la plupart de milieux ruraux et pauvres, sont exploitées comme domestiques   à travers le pays. Déscolarisées très jeunes par leurs familles, elles sont placées par des intermédiaires (les   fameux samsaras) chez des familles citadines des classes moyenne ou aisée en contrepartie d’un salaire mensuel excédant rarement les 500 dirhams, et sont souvent victimes de traitements dégradants voire de maltraitance physique et sexuelle. Suite à l’indignation générale suscitée par la mort de petites bonnes   torturées par leurs patrons ces dernières années, le législateur a décidé de durcir   le ton à l’encontre des employeurs. Ceux-ci, en vertu du projet de loi 19-12, risquent désormais des peines de un à   trois ans de prison. L’âge de recrutement sera de 16 ans au moins, avec contrat de travail, salaire minimum et indemnités de licenciement. Ceci dit, comme dans   tous les autres domaines, il reste à combler le fossé entre l’adoption de la loi et   son application effective.