Bibi Seck « La créativité doit être intelligente ».

'Pour le célèbre designer sénégalais Bibi Seck, « le design, c’est résoudre un problème dans un contexte qui dérange ». Rencontre avec un artiste hors norme qui cherche à améliorer le quotidien des gens à travers la création d’objets pratiques.'

 

Né à Paris d’une mère marti­niquaise et d’un père séné­galais, Bibi évolue dans le monde du design depuis plus de 17 ans. Après avoir obtenu un master en design industriel en 1990, il conçoit pendant 13 ans des voitures pour Renault avant de créer en 2004 son agence de design basée à New York. Pour lui, l’objet créé, ce n’est pas juste un objet d’exposition, c’est aussi un objet utilisé. Sa collection « Tabou­ret et Table Taboo »*, en plastique recy­clé, exposée à la Villa des Arts de Rabat jusqu’au 21/05/2015 illustre bien son souci permanent de donner une deu­xième vie aux déchets du quotidien et d’exhorter ainsi les gens à vivre leurs cultures en utilisant toutes les pièces de leur immobilier.

L’observateur du Maroc et d’Afrique. Qu’est ce qui a inspiré votre collection en plastique recyclé exposée à Rabat ?

Bibi Seck. Au début, j’avais créé ce modèle de tabouret en métal, puis un   ami m’avait parlé d’une dame qui tenait une usine à Dakar et qui fabriquait des fausses sceptiques et des citernes d’eau en plastique. Je suis allée la voir et on s’est bien entendu dès le départ. Je lui ai demandé si elle pouvait faire mon tabouret en métal en plastique recyclé, et c’est comme ça que ça a commencé.

Pourquoi le choix du plastique recyclé ?

Parce qu’on en a trop à Dakar. C’est dans les poubelles, c’est partout. C’est le meilleur moyen pour nous de donner une deuxième vie à une chaise en plastique, ou à un bidon d’huile à travers un mobilier. Je trouve que c’est bien.

C’est un peu votre côté engagé en tant qu’artiste?

Oui, je trouve que c’est intéressant de pouvoir réutiliser nos poubelles plutôt qu’elles nous envahissent dans la rue. L’utilisation du plastique recyclé, ce n’est pas innovant en Afrique, déjà en Europe, c’est une préoccupation, le recyclage du plastique, du papier…mais c’est bien que nous aussi, puissions gérer nos déchets (alimentaires ou autres) et les réutiliser. Oui je militerai pour cela.

Le fait d’exposer au Maroc, ça vous fait quoi?

Je trouve que c’est bien. Aujourd’hui, il y a des expositions sur l’art africain en Allemagne, à New York,… mais c’est bien de s’organiser ensemble pour des choses qui nous concernent. C’est très démocratique, vous savez, les Japonais peuvent venir dessiner en Afrique, ça ne me dérange pas du tout, parce que nous aussi, on peut aller dessiner chez eux. Le fait que l’initiative vienne du Maroc ou d’une organisation basée en Afrique, je trouve que c’est très bien.

Vous pensez que le Maroc pourra, dans les années à venir, concurrencer l’Afrique du Sud?

Je pense qu’il concurrence déjà l’Afrique du Sud, moi, ça ne m’a pas vraiment ébahi ! Chaque pays a ses propres besoins.

Quel est selon vous, le rôle du designer au sens politique du terme:

Je voudrais que le design en Afrique soit complètement vulgarisé. On fait un travail pour révéler les valeurs de notre métier. On est encore dans un phénomène de mode et politiquement parlant, il faut en profiter pour éduquer les consommateurs. Nous devons aussi travailler avec les industriels et s’associer avec les artisans. On a des artisans qui maîtrisent le savoir faire mais qui ont besoin d’une formation en design, donc, on devrait orienter l’éducation du design sur les artisans, pour qu’ils apprennent à avoir une démarche créative et intelligente. Il faut que la créativité soit intelligente.

Il y a un manque criant d’écoles de design en Afrique.

Oui, il est important d’éduquer les gens au design et de créer des écoles en Afrique. Mais il n’est pas forcément nécessaire de prendre un module européen et l’intégrer chez   nous. Il faut penser aux besoins.

Qu’est ce qui vous séduit dans la dimension graphique?

En Afrique, le graphisme est très important. On a beaucoup de papier, des affiches et du packaging à faire, une industrie agroalimentaire qui se développe. Je pense que 90% des activités du design en Afrique seront orientées, dans 10 prochaines années, vers le graphisme. On devrait être capable de dessiner nos propres produits, avec notre âme, puis les fabriquer en Chine ou ailleurs.

Vous n’aimez pas trop l’étiquette « Design africain »?

Oui, le design est d’abord une discipline. Il y a des objets africains dont on ne soupçonne pas l’origine et ils pourraient être commercialisés aussi bien en Inde qu’en Amérique du Sud. C’est l’environnement dans lequel l’objet va être utilisé qui fera de lui un objet africain ou sénégalais. Il y a des objets qui n’ont pas de nationalité ou d’appartenance ethnique. Un designer malien peut très bien dessiner une chaise au Suède. Moi, j’ai dessiné des voitures chez Renault, rien de ce que j’ai dessiné n’était africain!

Cela fait 15 ans que vous vivez à New York.

Oui, dans le quartier artistique de la ville, à 4 blocks de l’Empire state bulding. Je vis entre Dakar et New York. New York, c’est comme Dakar, au Sénégal, ça bouillonne, ça bouge, ça déborde d’énergie ✱