Crise des migrants : L’onde de choc

Aylan a changé quelque chose dans le monde. Ce Syrien de trois ans, retrouvé mort, le visage enfoncé dans le sable de la plage turque de Bodrum, a provoqué un véritable électrochoc planétaire.

Depuis que la photo du petit cadavre d’Aylan a été révélée le 2 septembre, les actions de solidarité avec les réfugiés syriens se sont intensifiées d’une manière spectaculaire à travers le monde. Elles sont initiées, le plus souvent, par de simples citoyens qui se mobilisent d’abord sur les réseaux sociaux, avant de se rendre sur le terrain. Encore aujourd’hui, à travers les images qui continuent à défiler sur les chaînes internationales de télévision, comme sur les sites web, on peut voir certains parmi ces milliers de bénévoles accueillant des réfugiés syriens ou leur apportant une quelconque aide.

A Paris comme à Frankfurt, les caméras s’arrêtent surtout sur des enfants à qui des bénévoles tendent un sandwich, une couverture ou un jouet. Des «Bienvenue» et des «Welcome» écrits en grand sur des écriteaux en carton ou sur des bannières en toile sont aussi bien mis en exergue. Voilà qui donne de l’Europe une impression nouvelle. Celle d’un continent plus chaleureux et plus ouvert que jamais.

Les politiques ne pouvaient donc pas rester insensibles à cet élan solidaire d’envergure mondiale. Ils ont vite fait de changer leurs discours. Ce n’est donc pas par hasard qu’au lendemain de la diffusion du cliché du petit Aylan, le Président français et la chancelière allemande ont annoncé une initiative commune en faveur des réfugiés.

Même si elle est bien calculée, cette générosité vaut à la chancelière un nouveau surnom : Mama Merkel. Calculée parce que tout le monde sait que les firmes allemandes ont besoin de main-d’oeuvre, que les caisses sociales ont grand besoin de cotisants et que toute l’Allemagne se trouve dans une impérieuse nécessité de trouver des remèdes à son déclin démographique. D’ailleurs, ce n’est pas sans raison que le principal syndicat allemand, IG Metall, a annoncé son soutien à la nouvelle politique migratoire. Cette union des travailleurs a déjà signé un chèque de 500.000 euros pour offrir des stages en faveur des réfugiés au niveau des différentes localités.

Certes la France ne se trouve pas dans la même situation que l’Allemagne, mais elle ne compte absorber que ce que son économie peut digérer. Dans ce sens, des rapports comme celui de l’OCDE montrent que l’Hexagone a une bonne marge de manœuvre. Paradoxalement, les annonces faites en Allemagne comme en France n’ont rien d’impressionnant quand on sait que la petite Suède, qui compte 10 millions d’habitants, a répondu favorablement, depuis le début du conflit en 2011 en Syrie, à 30.000 réfugiés en provenance de ce pays. Sans faire de bruit, les Suédois sont donc plus généreux que les Français et les Allemands.

Encore moins généreux, les Etats-Unis ne comptent accueillir que 2.450 réfugiés syriens supplémentaires. Le pays n’en a accueilli, en tout et pour tout, que 1.500 depuis 2011. Le Québec veut égaler le pays d’Obama en annonçant sa volonté d’accueillir 2.450 réfugiés supplémentaires d’ici la fin de cette année. L’Australie, elle, a annoncé sa décision d’accueillir 12.000 réfugiés supplémentaires, en précisant bien qu’il s’agit là d’une réponse à la crise des migrants fuyant la Syrie et l’Irak.

Tiens ! L’Irak. Ce pays est le grand oublié dans ce nouvel élan de générosité. Sinistre ironie de l’histoire, deux enfants irakiens, (Zainab, 12 ans et Haidar, 8 ans) étaient, selon leur mère, dans le même bateau que le petit Aylan. Comme lui, ils sont morts noyés, mais ils ont échoué dans un endroit où il n’y avait ni cameraman, ni photographe.

Faut-il le rappeler, en Irak, mais aussi en Libye et dans certains pays africains comme la Centrafrique, des milliers de réfugiés fuient chaque jour la guerre. Eux aussi demande d’êtres secourus, au nom de l’humanisme. Mais tant que ces autres candidats à l’asile resteront loin de l’Europe, personne ne pensera à eux. Même pas le président de la Commission européenne. Devant les représentants de l’UE, Jean-Claude Juncker n’a parlé, le 9 septembre, que des 160.000 réfugiés arrivés sur le sol européen.

Tri confessionnel

Le Premier ministre slovaque a affirmé que son pays ne veut accueillir sur son sol que des chrétiens. Ce responsable n’a fait que dire tout haut ce que de nombreux Européens pensent tout bas. Dans le vieux continent, la peur de l’islam radical reste dominante. Du coup, même en Allemagne et en France, le critère religieux pourrait bien peser dans l’instruction des demandes d’asile. Surtout que dans les médias, passée l’émotion, des analystes commencent à prévenir de la possibilité pour les Daechistes de se glisser dans les rangs des demandeurs d’asile.

Appel aux anciens migrants qui rejettent les nouveaux migrants

Jonathan Sacks, grand rabbin de Londres de 1991 à 2013, a signé, le 6 septembre, une tribune dans The Guardian au sujet de la crise des migrants. Son principal message : «Aimez l’étranger parce que vous étiez un jour l’un de ces étrangers qui nous interpellent actuellement !» Pour rafraîchir les mémoires, l’ancien rabbin rappelle la grande opération de sauvetage, dite Kindertransport. Elle a été l’œuvre de la Grande-Bretagne, neuf mois avant la seconde guerre mondiale, et a permis le sauvetage de pas moins de 10.000 enfants de l’Allemagne nazie. Sacks affirme que ces rescapés ont aimé le pays qui les a sauvés et ont tout fait pour contribuer à son développement. «Nombreux sont ceux qui, comme moi, ont grandi dans cet amour», témoigne-t-il en plaidant pour le triomphe de la sagesse sur l’opportunisme politique et l’indifférence. Jonathan Sacks prévient enfin ceux qui attendent de voir pour qui sonnera le glas, que leur tour pourrait vite arriver.