Des élections sans bain de sang c’est possible en Afrique - Par Venance Konan
Venance Konan, DG, directeur de publication du quotidien ivoirien Fraternitu00e9 Matin et u00e9crivain.

Le 28 mars dernier et les jours qui ont suivi, le monde entier a assisté à quelque chose d’incongru, d’aberrant, dans le pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigeria. Ce jour-là, il s’est déroulé des élections présidentielles et législatives dans ce pays, et, tenez-vous bien, il n’y a eu que 7 morts pendant les opérations de vote.

Les jours qui ont suivi, pendant que tout le monde attendait les résultats, tous les observateurs parlaient de la tension qui était qualifiée de «palpable» ou «vive». Et l’on se disait qu’à la proclamation des résultats, c’est sûr, ceux qui avaient fait le déplacement pour compter des morts en auraient pour leur argent.

Eh bien, le Président sortant a perdu, ce qui est assez exceptionnel en Afrique, mais pire, ou mieux, il a reconnu sa défaite avant même qu’elle ne soit annoncée officiellement, a félicité son tombeur et a appelé ses partisans au calme. En fin de course, il n'y a eu aucun mort après la proclamation des résultats. C’est à peine si certains n’ont pas crié à l’escroquerie et exigé d’être remboursés.

Il faut savoir qu’à la précédente élection, on avait compté environ 800 morts, que la secte de malades mentaux appelée Boko Haram avait promis un bain de sang lors de cette élection, et dans ce domaine on pouvait compter sur elle pour tenir parole.

On s’est donc rabattu sur le Togo qui n’est pas loin du Nigeria et qui votait le 25 avril. Il y avait de quoi espérer. Lors de la première élection qui avait porté le Président actuel au pouvoir en 2005, on avait compté 500 morts et des soldats avaient ajouté du piment à la sauce en s’enfuyant avec des urnes devant des caméras de télévision.

En 2010, il n’y avait pas eu de morts, juste des manifestations dispersées à coups de gaz lacrymogène après l’annonce des résultats. Hélas ! Le Togo aussi a voté dans le calme et on n’a déploré aucun mort, même pas un coup de matraque. On a parlé de fraudes, mais on pourrait dire que crier à la fraude après une élection fait partie du folklore local sur notre continent.

En serait-il terminé des élections suivies de bain de sang qui caractérisent l’Afrique ? Souvenez-vous de la Côte d’Ivoire, en 2010-2011. On avait dénombré 3000 morts, après la contestation des résultats de l’élection présidentielle, et ce pays qui, du temps de son premier Président, avait fait de la paix sa seconde religion faillit se retrouver pris dans une guerre dévastatrice.

Après les élections au Nigeria et au Togo, nous étions en droit de penser que l’Afrique avait exorcisé ses vieux démons, mais malheureusement, nous sommes obligés de constater que les cas nigérian et togolais ne sont que des exceptions.

Nous avons tous suivi les élections au Burundi, avec son lot de morts avant, pendant et après le scrutin, et la cohésion sociale qui est tellement atteinte que tout le monde se demande si ce pays ne va pas à nouveau basculer dans la guerre civile.

A côté du Burundi il y a la République Démocratique du Congo où la prochaine élection a déjà causé des morts. Il y a la Côte d’Ivoire, où nous nous trouvons aujourd’hui, et où l’élection présidentielle qui se tiendra dans un mois et quelques jours a déjà causé deux morts, et où l’on entend toutes sortes de menaces proférées par certains candidats.

Et puis, il y a le Burkina Faso, où le coup d’Etat, qui est de façon évidente liée aux élections qui devaient se tenir dans moins de trois semaines, nous prive de l’agréable et enrichissante compagnie de nos amis du journal Sidwaya, dont le directeur général est le secrétaire général de notre Groupement. Je vous prie d’avoir une pensée pour eux.

Y aurait-il une fatalité africaine qui nous empêcherait d’appréhender la démocratie dans toutes ses dimensions et de faire des élections de simples formalités destinées à renouveler le personnel politique, comme cela se fait dans les pays civilisés ?

Au mois d’octobre, c’est-à-dire demain, il devrait y avoir trois élections présidentielles dans trois pays qui se touchent, à savoir, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Et jusqu’à la fin de 2016, c'est une quarantaine de pays africains qui organiseront des élections. Au Burkina Faso, le scrutin est fortement compromis par le coup d’Etat de la semaine dernière. Qu’en sera-t-il dans les autres pays ?

Je suis persuadé que comme moi, vous ne croyez pas un seul instant en une fatalité africaine, une incapacité de nos populations à organiser des élections sans que la cohésion de nos sociétés n’en souffre.

Les exemples des pays où des élections sont régulièrement organisées sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré, sans qu’une seule goutte de sang ne coule sont là pour nous en convaincre. Alors, pourquoi donc dans d’autres pays, les élections tournent au drame au point où, lorsqu’elles approchent, ceux qui en ont les moyens choisissent de s’éloigner du pays ?

C’est pour répondre à ces questions que le Groupement des Editeurs de Presse Publique d’Afrique de l’Ouest (GEPPAO) auquel s’est joint le groupe de presse marocain l’Observateur du Maroc et d’Afrique, et avec l’appui très appréciable du Conseil économique et social de Côte d’Ivoire ont décidé d’organiser ce forum, le premier de notre groupement, qui entre dans notre vision de contribuer à notre manière à l’émergence démocratique de notre continent.