Le terrorisme en Tunisie est-il importé ?
Des Tunisiens manifestant contre le terrorisme.

Le problème du terrorisme en Tunisie est-il lié à ses frontières poreuses, d’un côté avec l’Algérie et de l’autre avec la Libye, ou la vérité serait ailleurs ?

Journaliste à France 24, Wassim Nasr est spécialiste des mouvements jihadistes. Le tableau qu’il brosse, au lendemain des attentats de Bardo, sur la question du terrorisme en Tunisie va à contresens de nombre d’avis d’autres experts.

A la question de savoir si le terrorisme dans le pays de Béji Caïd Essebsi est importé, sa réponse est tranchante : « Le problème ne vient pas de l’étranger, mais de l’intérieur ». Son principal argument : « Quand il y a 3000 Tunisiens qui sont prêts à combattre en Syrie et en Irak, cela veut dire qu’il y en a autant qui sont prêts à se battre chez eux ». D’où sa conclusion : « Le risque est intérieur avant tout, comme pour tous les pays, le terrorisme ne vient pas de l’extérieur. C’est toujours facile de dire que le problème vient de l’étranger. C’est plus rassurant, mais ce n’est pas vrai. En France, les terroristes étaient français, au Danemark c’était un danois... »

Comment alors expliquer que la paisible et pacifique Tunisie en est-elle arrivée là ? Réponse de Wassim Nasr : « Il y avait des islamistes qui n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient de la révolution tunisienne et ils ont donc rejoint les groupes jihadistes. Plus globalement, c’est un problème socio-politique, ce n’est pas un simple problème de criminalité propre à la Tunisie. Il touche tous les pays. Ça touche toutes les sociétés sans exception. Cela concerne aussi bien une société laïque comme la France ou une société basée sur un modèle communautaire comme la Grande-Bretagne ou encore musulmane comme la Tunisie. On a changé de peuple! Les clefs de ce problème sont dans la société, ce n’est pas un problème militaire ou de frontière. C’est un problème que rencontrent toutes les sociétés. On est dans une époque propice à ces idées-là, il y a un vide idéologique, qui est comblé par l’idée du jihad et d’un retour du califat. Tout simplement le jihad est devenu audible pour une partie de la population ».

Maintenant que le problème se pose avec autant d’acuité, que faudrait-il alors faire ? Là encore, Wassim Nasr reste catégorique. A son avis, le risque réel du terrorisme va s’accentuer. La solution : « Il faut d’abord que les autorités tunisiennes admettent la présence de l’Etat Islamique sur leur territoire. Jusqu’ici les autorités affirment que c’est Al-Qaida qui est à l’origine de l’attentat contre le musée, ce n’est pas du tout vrai. Ils sont dans le déni comme les Libyens et les Syriens avant eux… le problème est là! Il y a eu trois revendications solides de l’Etat Islamique alors qu’Al-Qaida n’a rien revendiqué ».

Concernant le jihadisme lui-même, Wassim Nasr affirme que c’est tout une idéologie, tout un système politique qui est en train d’être monté. Il va encore plus loin en soulignant : Au début du XXe siècle, il y a eu les nazis et les communistes, là c’est pareil, c’est un nouveau système politique qui veut se mettre en place. Il en donne pour motifs : l’injustice, les promesses non tenues, un rêve de remettre le califat à l’ordre du jour, l’âge d’or de l’islam pour les jihadistes.

Toutefois, l’injustice sociale n’explique pas tout pour Wassim Nasr. « Il y a des gens très bien loties qui viennent de familles aisés et qui rejoignent le jihad. Que ça soit en Arabie Saoudite, en Tunisie, en France ou ailleurs. Ce ne sont pas que des « bras cassés » et des anciens criminels. Il y a des gens vraiment motivés et séduits par ces idées-là », insiste-t-il.

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Larbi Chouikha, politologue et chercheur tunisien à l’université de La Manouba :

« C’est le dispositif sécuritaire qui pose problème en Tunisie »

Entretien réalisé par notre correspondante à Paris, Noufissa Charaï

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Les autorités tunisiennes s’attendaient-elles à un attentat de l’ampleur de celui qui a été perpétré à Bardo ?

Larbi Chouikha : Les risques d’un attentat planaient déjà sur nos têtes depuis plusieurs mois, il y a déjà eu des attaques contre nos agents de polices, nos militaires,… Mais c’est la première fois qu’un attentat est perpétré dans la capitale tunisienne. Ce qui nous pose le plus problème c’est le dispositif sécuritaire et notamment celui du Bardo qui était à vrai dire quasi inexistant. Il faut absolument que les autorités en tirent les conclusions nécessaires.

Comment interprétez-vous le choix du musée Bardo par les terroristes ?

Ce lieu est hautement symbolique et ce, pour deux raisons au moins; il abrite l’histoire et la mémoire de notre pays dans lesquelles convergents les civilisations qui ont traversé la Tunisie et incarne aussi sa diversité. Ce musée abrite l’une des principales collections de mosaïques au monde et c’est la raison pour laquelle les touristes le fréquentent lors de leur passage en Tunisie. Par ailleurs, ce musée n’est pas loin du siège du Parlement tunisien.

Justement, le projet de loi sur le terrorisme en discussion le jour de l’attentat répond-il au besoin sécuritaire du pays ?

S’il répond au besoin sécuritaire, il suscite aussi la crainte des défenseurs des droits de l’homme puisqu’il donne de larges prérogatives aux forces de la sécurité et constitue une menace aux libertés individuelles. Mais le texte est encore en discussion et même dans le conseil des ministres certaines dispositions liberticides font débat. Il ne faut pas que cela empiète sur notre liberté.

Hormis la question sécuritaire que peut faire le gouvernement tunisien pour limiter l’enlisement des jeunes dans des mouvances terroristes ?

Une réforme radicale du système éducatif à tous les niveaux, une réactivation des maisons de culture dans tout le pays, surtout, dans les régions et les quartiers défavorisés, une politique de réformes économiques et de justice sociale à l’adresse des régions intérieures en vue d’absorber les disparités régionales, une politique publique pour les jeunes plus audacieuses et plus ouvertes à leurs potentialités et leurs besoins.

Y aura-t-il un avant et un après Bardo ?

J’espère que ça sera le cas dans le registre sécuritaire où il y a des leçons à tirer à propos du dispositif sécuritaire dans son ensemble. Mais dans l’action citoyenne et politique, cet acte terroriste a fortement soudé les rangs des Tunisiens et de la classe politique dans son ensemble.

Le chaos politique qui a eu lieu après la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, le temps de la transition démocratique, a-t-il permis à certains groupes longtemps réprimés de renforcer leur rang ?

Probablement, mais encore faut-il disposer de données fiables et vérifiées pour le confirmer. On peut toutefois le supposer. Il semblerait que du temps de la troïka, il y a eu des mesures d’amnistie pour certains islamistes radicaux.