L’Inde à la conquête de l’Afrique

'C’est un tournant décisif pour le trio Maroc-Inde- Afrique. Ces partenaires veulent accentuer leurs échanges. Aux opérateurs économiques de profiter de ce vent favorable !'

Etant une puissance émergente, l’Inde a besoin, à la fois, de matières premières pour maintenir sa croissance, et de débouchés pour écouler ses productions. « Aujourd’hui, avec un commerce et des investissements considérables, l’Afrique est un horizon de nouvelles opportunités », a affirmé le ministre indien des Affaires étrangères, Sushma Swaraj, devant les représentants africains réunis lors du troisième Sommet Inde-Afrique, qui s’est tenu du 26 au 29 octobre, à New Delhi. Une volonté certaine a été reconfirmée de donner un nouvel élan aux relations afro-indiennes. «Le partenariat économique entre l’Inde et l’Afrique va au-delà du commerce et de l’investissement. Il se prolonge jusqu’au transfert des technologies, au partage des connaissances et au renforcement des capacités, et le nombre important de représentations africaines au Sommet 2015 est une opportunité à saisir dans le sens du renouvèlement et de l’accélération du partenariat Afrique-Inde», a affirmé le Premier ministre indien. Pour rappel, après les deux précédents Forums des Sommets Inde-Afrique de 2008 et 2011, l’Inde a accordé 7,4 milliards de dollars de crédits concessionnels pour l’amélioration des secteurs des infrastructures, de l’agriculture, de l’industrie, de l’énergie et de l’eau, dont 300 millions de dollars pour la construction d’une ligne de train entre l’Ethiopie et Djibouti. Une aide d’un montant de 1,2 milliard de dollars a été accordée pour développer les ressources humaines et soutenir plus d’une centaine d’institutions spécialisées en ressources humaines. Selon Sushma Swaraj, plus de 100 projets indiens sont en cours d’exécution dans plus de 40 pays africains aujourd’hui.

Investissements indiens en Afrique

Les entreprises indiennes sont parties depuis longtemps à la conquête de l’Afrique. En effet, le groupe Tata y est présent depuis 1960 et y a investi dans de nombreux domaines dont, notamment, la sidérurgie, les télécommunications, l’hôtellerie et l’automobile. Sont également présents en Afrique, le groupe Mahindra, fabricant de voitures, le Jindal Steel and Power Limited (JSPL) qui est une entreprise de production d’acier, et puis l’Indo-Singa pourien Olam International qui opère notamment dans la transformation du bois. Il y a également Oil and Natural Gas Corporation ou Indian Oil Corporation, le géant de l’acier, Arcelor Mittal et le groupe Vedanta, spécialiste du charbon. Pour Etienne Giros, président délégué du Conseil français des Investisseurs en Afrique (CIAN) : « Les Indiens s’implantent localement. Ils créent des filiales et viennent s’installer. Ils s’intéressent à deux secteurs : l’industrie et le commerce. C’est là qu’ils sont forts. Ils ont une manière de travailler, une manière de se comporter qui leur permettent de s’adapter un peu partout. Ils ne sont pas rigides et leur positionnement sur les marchés est bon ». Au total, les investissements indiens directs en Afrique oscillent entre 30 et 50 milliards de dollars, soit un sixième des investissements chinois.

Relations win-win

L’Afrique et l’Inde ont beaucoup à donner et à recevoir l’une de l’autre. D’après Aissatou Diallo, Chargée du Programme « Mondialisation, Nouveaux acteurs émergents et Commerce Sud-Sud » à Enda Syspro, l’Afrique pourrait en particulier s’appuyer sur l’Inde pour accéder à des technologies simples et à bas coûts, notamment dans le domaine des NTIC, dans la formation et le transfert de connaissances, que ce soit à travers l’octroi de bourses ou la mise en place de projets à l’image de Pan-Africane-Network. Le continent noir pourrait aussi, selon Aissatou Diallo, avoir accès au savoirfaire de l’Inde en matière de formation de la main d’oeuvre, de promotion des technologies agricoles abordables, d’exploitation des terres bénéfique aux populations, et enfin, en matière de formation d’ingénieurs agronomes. «L’Afrique pourrait en outre s’appuyer sur la stratégie indienne de développement d’un secteur privé national performant capable non seulement de tirer la croissance intérieure vers le haut, mais aussi, tenir la compétition sur la scène internationale », insiste Diallo. L’ancien Président ghanéen John Kuffour avait trouvé la meilleure formule de ce que devait être la stratégie africaine dans ses relations avec l’Inde, en ces termes : « Marier la technologie indienne aux ressources africaines ». Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’elles n’y paraissent. De l’avis des co-fondateurs du Centre d’études sur le Partenariat indo-africain, Pooja Jain et Alioune Ndiaye, la question de l’accès au marché indien devrait aussi être posée par les pays africains. «Malgré la révision, en août 2014, du régime d’accès au marché en franchise de droits pour les PMA qui a été l’une des principales décisions du Forum de 2008, les exportations africaines, notamment agricoles, ne sont pas encore à un niveau satisfaisant. Cela s’explique surtout par l’exclusion de certains produits (café, thé, légumes, épices etc.) pour lesquels, l’Inde est soit en concurrence directe avec les pays africains, soit ne veut pas aller à l’encontre de ses coopératives agricoles. Il faut noter d’ailleurs que pour la plupart des produits couverts par le régime préférentiel (noix de cajou, minerais d’aluminium), l’Inde a un intérêt réel puisqu’elle les réexporte vers les pays du Nord », notent-ils. D’où leur appel à la diversification. «La coopération Afrique-Inde s’est souvent limitée à la relation de l’Inde avec les pays anglophones d’Afrique, où l’on note la présence d’une importante diaspora indienne. L’Ile Maurice et l’Afrique du Sud restent des pays privilégiés dans le partenariat Afrique-Inde. La diversification de la coopération indienne dans les pays francophones et lusophones est néanmoins nécessaire pour donner une nouvelle dynamique au partenariat », soulignent Pooja Jain et Alioune Ndiaye.

Maroc-Inde-Afrique, trio gagnant

Dans sa stratégie africaine, l’Inde peut compter sur le Maroc. Grâce à la longueur d’avance qu’il a prise sur le marché africain, le Royaume a tous les atouts pour constituer pour l’Inde une plateforme attrayante et une porte d’entrée pour la conquête du marché africain. D’ores et déjà, l’Inde est le 4e client du Maroc et son 22e fournisseur. En revanche, le Maroc est le 42e fournisseur de l’Inde et son 71e client. 81% des exportations marocaines vers l’Inde sont des produits chimiques et 15%, des minerais. Toutefois, si les phosphates figuraient parmi les produits phares des échanges entre les deux pays, ces derniers se sont étendus à la faveur des politiques sectorielles marocaines, à d’autres secteurs, comme les industries automobiles, chimiques, textiles, NTIC, Offshoring, produits pharmaceutiques et tourisme. Pour développer davantage les échanges maroco-indiens, une quarantaine d’entreprises marocaines ont participé au « Forum d’affaires Inde-Afrique », organisé en marge du Sommet. Il est clair que le Maroc et l’Inde veulent élargir les perspectives de leur coopération, d’où l’appel lancé par le ministre délégué marocain en charge du Commerce extérieur à « identifier les projets d’investissement et de partenariat à même de renforcer la solidarité et les projets de développement commun entre l’Inde, le Maroc et les pays africains frères » ✱