Mélita Toscan Du Plantier : « Le festival est à l’image du Maroc, un pays d’accueil, de partage »

'La directrice du festival de Marrakech partage avec nous sa passion pour le Maroc et le cinéma, et rappelle comment en terre d’islam, il est encore possible d’échanger sur des valeurs universelles de paix et de tolérance.'

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Quelle est la valeur ajoutée aujourd’hui du festival pour le cinéma marocain ?

Mélita Toscan Du Plantier : Quand le festival de Marrakech a commencé en 2001, il devait y avoir 5 films marocains par an, aujourd’hui, on compte près de 25. En plus de montrer des films marocains, ça permet aux réalisateurs marocains de rencontrer des producteurs français et étrangers. Et comme les films marocains sont plus coproduits par la France, il y des accords comme l’aide spéciale Cinéma du monde, et le Maroc en fait partie.

Qu’est ce qui fait la spécificité du festival en dehors de la ville?

Marrakech est une ville magnifique certes, mais si tous ces grands metteurs en scène viennent au festival, c’est d’abord parce qu’ils le respectent. Si M. Scorcesse ou Francis F. Coppola viennent ici plutôt qu’ailleurs, c’est qu’ils y trouvent une particularité, un sérieux et une qualité de programmation. De plus, ce qui les touche, c’est le public dans les salles. Dans la plupart de autres festivals (Cannes), il n’y a pas de vrai public, à Berlin, les projections publiques sont payantes. Le festival est aussi un festival sans censure parce que sinon, on n’aurait pas tous ces réalisateurs qui défendent la liberté d’expression.

Justement, est ce qu’il y a un film subversif qui sera projeté cette année ?

Dans les films en compétition, il y a des scènes subversives, comme tous les ans d’ailleurs, parfois des scènes ne plaisent pas à certains, ça arrive partout, même à Cannes. D’ailleurs, les films sont interdits au moins de 18 ans. Je n’ai pas envie de parler de Much Loved, je ne l’ai pas vu, en tout cas, on n’a pas envie que le festival soit pollué par ce film, je pense qu’on en a assez parlé. Moi, je fais ce festival parce que j’ai la liberté de le faire. On a une liberté de choix des invités, on a rendu hommage à de grands metteurs en scène pointus qui font un cinéma parfois subversif, Abel Ferrara en particulier.

Est ce que vous ne trouvez pas qu’en invitant toujours presque les mêmes, le festival de Marrakech risque de devenir un festival des abonnés, tout comme Cannes d’ailleurs ?

Je dirais plutôt qu’il y a des amis du festival, et quand ils s’appellent M. Scorcesse ou F. F. Coppola, tous les festivals du monde seraient ravis de les avoir tous les ans. Fatih Akin par exemple est un grand metteur en scène, il a eu de grands prix internationaux et à chaque fois qu’il sort un film, il est à Cannes. De plus, quand on a des invités de qualité comme Abbas Kiarostami, on ne va s’empêcher de les inviter, les films sont choisis pour leur qualité et s’il y a une personne qui fait successivement de grands films, elle sera la bienvenue. Vous savez, cette question revient souvent à Cannes, mais il faut savoir qu’on invite avant tout ceux qui font du bon cinéma.

Vu le contexte actuel, est ce que c’était dur pour vous de convaincre les stars de venir?

Oui, bien sûr, beaucoup d’invités ont eu peur de voyager, nous avons été choqués, et aujourd’hui, j’ai peur quand ma fille prend le métro à Paris. En fait, je me sens plus en sécurité au Maroc qu’à Paris, pendant le festival, en tout cas. Après les attentats, j’ai dû rassurer du mieux que je pouvais, les membres du jury, les invités. Nous avons eu quelques annulations, mais nous avons une chance inouie d’avoir un président du jury qui n’a jamais eu de doute et je crois que si le festival se tient aujourd’hui, c’est grâce à lui. Ça fait 3 semaines que je me bats pour ce festival, et comme j’ai vécu 2001, c’était important de montrer, encore une fois, qu’en terre d’islam, nous pouvions avoir un événement culturel, multiethnique, multiconfessions, multinationnalités et être tous autour d’une table pour partager, échanger sur des valeurs universelles, sur la culture. Et pour moi qui ai un grand respect de la religion musulmane, au-delà de mon amour pour le Maroc, c’était aussi important de montrer dans la presse la vraie image du monde musulman. Et même si ce n’est pas mon travail, j’ai dû parler de sécurité et de politique parce que c’était important de maintenir ce festival, que les personnalités internationales présentes (36 nationalités) retournent dans leur pays et parlent de ce festival et du Maroc, car pour moi, le festival est vraiment à l’image du Maroc, qui est un pays d’accueil, de partage. C’est vraiment la plus belle image du Maroc.

Le fait d’être une femme fait-il la différence?

Je pense que dans un pays musulman, c’est admirable qu’une femme dirige un festival. C’est une décision de SM Mohammed VI et de SAR Moulay Rachid, une décision qui allait dans le sens de ce qu’a fait sa majesté avec l’émancipation et les droits des femmes. D’ailleurs, à l’étranger, le fait que je sois française rassure les internationaux. Coppola m’a même dit : « j’ai presque plus de chance de me faire abattre par un dingue avec une arme à feu aux USA qu’ailleurs ». Et c’est vrai, la sécurité a été renforcée pour rassurer les in vités.

Vos ambitions pour les éditions futures?

Le plus important, c’est de voir les salles pleines. Mon mari serait ravi aujourd’hui de voir que la demande répond à l ’offre ✱