Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre française de l’écologie : «Les pays développés ont une dette écologique à l’égard de la planète»

Dernière ligne droite au Bourget pour la COP 21. Vendredi 11 décembre, un accord final sera soumis aux négociateurs des 195 pays qui ont participé à cette grande conférence pour le climat. Paris a pour ambition initiale d’aboutir à un pacte mondial qui limiterait le réchauffement climatique. Une des questions à trancher reste le niveau d’ambition : faut-il limiter le réchauffement climatique à 1,5 ou à 2°C d’ici à 2100? Un tel objectif nécessite des engagements forts des Etats, particulièrement des pays riches, principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, au cœur des négociations, il y a le principe de «la différenciation», c’est-à-dire les efforts demandés aux pays en fonction de leur responsabilité historique dans le réchauffement climatique, impliquant un aspect financier important. Alors que la droite républicaine française a été très silencieuse durant cette COP 21, Nathalie Kosciusko-Morizet a, quant à elle, exprimé sa volonté de voir un accord contraignant conclu à Paris. L’ancienne ministre de l’écologie se prononce en faveur du principe de pollueur payeur pour les Etats. Mardi dernier, au café Bourbon, en face de l’Assemblée nationale, Nathalie Kosciusko-Morizet a accordé un entretien à notre correspondante à Paris.

 

Entretien réalisé par notre correspondante à Paris, Noufissa Charaï et paru dans le magazine L’Observateur du Maroc et d’Afrique le 11 décembre 2015, sous le titre : «Je suis d’un pessimisme actif pour la COP 21»

 

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Quel serait pour vous un bon accord de la Cop 21 ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : Un bon accord serait un accord ambitieux, qui affiche un niveau de réduction des émissions compatible avec l’objectif de limitation du réchauffement à 2°C, ou si ce n’est pas le cas qui soit proche de cet objectif et qui prévoit une clause de revoyure pour pouvoir y arriver. Et contraignant, car vu la difficulté d’atteindre ces objectifs, la seule logique de l’engagement volontaire de chaque pays ne sera pas suffisante et sera battue en brèche à la première difficulté.

Quelles sont les mesures qu’il faudrait prendre prioritairement ?

Il est nécessaire de savoir par avance à quelles sanctions nous nous exposons si nous ne respectons pas les engagements pris. Sur ce point, j’ai une vraie divergence avec la position française qui souhaite un Conseil de sécurité environnemental. Je ne crois pas que cela puisse fonctionner. Nous n’allons pas envoyer les casques bleus pour des problèmes d’accords environnementaux ! Je crois davantage à la conjugaison des questions environnementales et des questions commerciales.

Un accord contraignant implique des sanctions. Comment peut-on contrôler les engagements des Etats ?

Concrètement, c’est quelque chose qu’il faut négocier conjointement avec l’Organisation

Mondiale du Commerce (OMC). Un Etat dont nous importons, par exemple, de l’acier et qui ne respecterait aucun engagement en matière de lutte contre le changement climatique, celui-ci pourrait se voir ses exportations taxées en fonction d’un barème décidé par l’OMC. Cela serait l’application du principe pollueur payeur aux États, en quelque sorte.

En tant que ministre de l’écologie et même avant, vous avez déjà participé à des négociations sur le climat, concrètement comment ça se déroule ?

Ce sont des négociations de très longue haleine, qui ont lieu toute l’année. Des négociateurs du monde entier rédigent, en amont, un texte qui comporte des parties entre crochets. Ce sont des points qui sont à soumettre à la négociation politique. Au moment de chaque COP, il y a des discussions pour enlever les crochets et supprimer certaines options pour aboutir à un texte d’accord. Cela marche... Ou pas! C’est cela un processus de négociation. Souvent cela se joue dans la dernière ligne droite. Quand il n’y a pas d’accord, on peut finir avec une simple déclaration, sans engagement réel.

Vous êtes optimiste pour l’accord de Paris?

Pour avoir participé à plusieurs négociations climat, ma position est celle d’un pessimisme actif. Il faut bien se rendre compte que nous sommes très loin du compte mais il faut quand même essayer d’agir pour y arriver.

Selon un rapport publié deux semaines avant le lancement de la COP21 par l’Overseas Development Institute et de Oil Change International : Les pays du G20 soutiennent la production d’énergies fossiles à hauteur de 452 milliards de dollars par an contre quatre fois le montant total des subventions mondiales aux énergies renouvelables qui est de 121 milliards de dollars. Le rapport peut-il changer ?

Ce ne sont pas seulement les subventions, en fait c’est également le cas en matière d’investissement mondial : pour un dollar investi dans l’énergie renouvelable, vous avez quatre dollars investis dans l’énergie fossile. Il faudrait inverser cette proportion si nous souhaitons atteindre les 2 degré maximum de réchauffement climatique.

Quelle est la responsabilité de la société civile ?

Nous avons besoin de la mobilisation de la société civile et des collectivités territoriales mais bien souvent les grands choix d’infrastructures, notamment énergétiques, sont étatiques. C’est la raison pour laquelle il faut vraiment que les Etats s’engagent à Paris.

Comment convaincre les pays producteurs d’énergie fossiles de la nécessité d’une transition énergétique? Peuvent-ils bloquer l’accord ?

Il y a bien sûr la méthode classique, en mettant la pression sur ces Etats, et sur ce point les COP sont importantes, car personne ne peut y fuir ses responsabilités. Dans une COP, les négociateurs ont devant eux les dix pays les plus impactés par le climat, parmi lesquels six sont en Afrique. Il y a une autre dimension, plus techniques. La molécule du pétrole est extrêmement sophistiquée. Il y a de meilleures utilisations à en faire que de la brûler, dans un monde où elle va être de plus en plus chère. C’est une idée à laquelle je crois beaucoup. Nous allons chercher le pétrole de plus en plus loin, c’est de plus en plus compliqué, cela pose de plus en plus de problèmes pour l’environnement, comme les huiles de schiste ... et pour en faire quoi ? Le brûler! Brûler une molécule aussi sophistiquée!

Je pense qu’à terme la bonne utilisation du pétrole, c’est de réserver cette molécule qui est d’une très grande richesse pour en faire une matière première et de produire de l’énergie autrement, par exemple des énergies renouvelables à un prix qui est maintenant tout a fait modéré, notamment avec le solaire et l’éolien. Nous devons aller dans ce sens, d’autant plus qu’il y a toute une économie qui se développe autour du renouvelable.

Il y a une dimension financière importante. Les pays pauvres et émergents, notamment d’Afrique, demandent un engagement au-delà de 2020 pour signer un accord. Pensez-vous que les pays riches sont disposés à le faire ?

C’est indispensable de s’inscrire dans le long terme. D’où l’importance de prévoir des sanctions. Il ne faut pas reproduire les mêmes erreurs que celles faites lors du protocole de Kyoto. Après la fin du protocole en 2012, il n’y a pas eu de renouvellement si ce ne sont des engagements volontaires.

J’attends de Paris des engagements fermes, une clause de revoyure, un dispositif indépendant de mesure et des sanctions le cas échéant.

En 2010, l’ensemble du continent africain a produit 930 millions de tonnes de CO2, alors que dans la même période, les États-Unis seuls en étaient à 5.359 millions de tonnes, soit six fois plus, et la Chine 7.300 millions de tonnes ! Etes-vous favorable au principe du pollueur-payeur. Cela vous semble t-il applicable au niveau des Etats ?

Evidement ce n’est pas applicable aux États comme à un particulier mais sous des formes adaptées, oui ! Je reviens sur le principe de sanctions commerciales que j’évoquais. L’idée derrière est de pouvoir tenir un discours au Etats du type : soit vous prenez des engagements pour la lutte contre les changements climatiques et vous les tenez, soit vos produits seront surtaxés par rapport à ceux provenant de pays «propres».

Êtes-vous d’accord avec François Hollande lorsqu’il dit : « Nous avons une dette écologique à l’égard de l’Afrique »?

Les pays développés dans leur ensemble ont une dette écologique à l’égard de la planète et cette dette écologique se calcule. Depuis l’ère préindustrielle, les pays qui ont fait leur révolution industrielle ont relâché des gaz qui sont encore stockés dans l’atmosphère.

Pensez-vous que l’objectif de limiter le réchauffement climatique mondial à 2°C d’ici 2100 est atteignable ?

Oui c’est techniquement atteignable avec de grosses réductions d’émissions. Nous savons dans quelles conditions c’est possible, ces choses-là sont maintenant très documentées. En revanche, nous sommes loin des engagements nécessaires.

Laurent Fabius a annoncé que les pays développés ont déjà mobilisé 10 milliards d’euros de financements publics pour soutenir une initiative africaine de développement des énergies renouvelables. L’Afrique peut-elle réussir son électrification en évitant de devenir pollueur ?

Je fais le parallèle avec la téléphonie en Afrique où il y a eu un développement d’une téléphonie mobile immédiatement sans passer par la téléphonie filaire. Ce n’était évidemment pas une chance d’avoir un tel retard de développement, mais de fait l’Afrique a pu sauter une étape. Et a ainsi transformé ce qui était un handicap en une vraie opportunité. Il faut imaginer la même chose pour l’électrification. C’est-à-dire passer directement à une énergie décentralisée et propre. C’est un enjeu majeur.

Le Maroc a annoncé que 52% de  la production énergétique sera de source renouvelable à l’horizon 2030. Le Royaume souhaite, à terme, être exportateur d’énergie renouvelable. Est-ce plausible et est-ce cela allier écologie et économie ?

Cela semble plausible. Je crois au mariage entre l’économie et l’écologie. Notre système est à bout de souffle. Cela peut être une chance pour l’écologie.

Le Maroc organise la Cop 22 à Marrakech l’année prochaine. Pourquoi est-ce important que cela se déroule en Afrique?

Sur les dix pays les plus touchés par le changements climatiques six se trouvent en Afrique. Nous savons bien que dans les COP, c’est un moteur que d’avoir en face de soi les États vis a vis desquels nous avons une responsabilité.

Il y aura, selon l’ONU, 250 millions réfugiés climatiques en 2050, si rien ne change. La question des migrations forcées ne figure pas au menu des négociations climatiques. Faut-il reconnaître dès aujourd’hui le statut de réfugié climatique ?

C’est vraiment un sujet dont L’ONU doit se saisir. Lorsque j’étais ministre, j’avais fait produire un rapport sur ce sujet pour trouver les bases de ce qui nous permettrait de créer un statut de réfugie climatique. Nous avons besoin d’avancer sur ce point, c’est une réalité et nous voyons bien que lorsque les problèmes migratoires ne sont pas anticipés, cela peut créer de grands désordres.

La question de la protection de la biodiversité est également absente des négociations, pourquoi ?

Les questions sont toutes liées. La biodiversité est liée aux activités humaines mais elle est aussi liée au changement climatique. Pour avancer sur un sujet, il faut savoir limiter les débats, je ne milite pas pour que la question de la biodiversité soit inscrite dans la COP 21.

L’agriculture biologique sans engrais et pesticides est également un enjeu majeur. Comment accompagner les pays pauvres dans lesquels les lobbys industriels de l’agroalimentaires sont déjà très implantés ?

Ce sont des choses qui se construisent dans la durée mais aujourd’hui il faut aller le plus vite possible. Il faut aussi regarder d’où l’on vient. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser il y a 20 ans à la lutte contre les changements climatiques, les gens confondaient l’effet de serre et les pluies acides. Sur les enjeux environnementaux, le paradoxe c’est que ça va à la fois très lentement au niveau des Etats et très vite au niveau de la nature.

 Si vous étiez encore ministre de l’environnement qu’auriez-vous fait différemment de Ségolène Royal qui est actuellement en poste ?

Je trouve dommage que ce gouvernement ait renoncé à organiser les négociations climatiques sous la tutelle du ministère de l’écologie. En 2007, les négociations étaient menées par le ministère de l’écologie, alors que François Hollande a choisi de les remettre au quai d’Orsay. C’est une erreur, cela permettait de mettre de la cohérence.

Par ailleurs, je regrette également l’abandon de l’écotaxe. Il ne se passe rien en matière d’écologie au niveau national, ce n’est pas bon en terme de crédibilité au moment des négociations internationales.

Justement sur le plan national, à Paris où vous étiez candidate pour la mairie, Anne Hidalgo s’est prononcée en faveur d’un Paris sans diesel. Ça vous parait possible ?

Cela aurait été mieux si ça avait été anticipé et travaillé en amont! Anne Hidalgo a été première adjointe de Bertrand Delanoë pendant 14 ans. 14 années pendant lesquelles ils ont acheté des véhicules diesels. La ville de Paris a pris énormément de retard alors que ces politiques publiques ne peuvent s’envisager que dans la durée.

A part vous, la droite est restée très silencieuse durant cette Cop 21. Nicolas Sarkozy a nommé Maud Fontenoy en charge l’environnement au sein de votre parti. Une personne pro gaz de schiste et pro diesel. Quel signal a-t-il envoyé ?

J’ai des désaccords avec Maud Fontenoy sur le fond des positions. Mais ce qu’il y a d’important, c’est que la droite reste très mobilisée sur les questions environnementales car elle a dans l’histoire politique de notre pays toujours été à l’origine des grandes réformes en faveur de l’environnement. De la charte de l’environnement au Grenelle.

Peut-on dire que la planète est en «Etat d’urgence» ?

Oui bien sûr ! Mais il ne suffit pas de le scander. Il faut se donner les moyens d’agir.