Jean-Pierre Jeunet « Je ne dirais pas non pour tourner à Marrakech »

'Membre du jury de la 15e édition du festival de Marrakech, le réalisateur du « Fabuleux destin d’Amélie Poulain » nous confie son faible pour le style cinématographique. '

L’observateur du Maroc et d’Afrique: Comment s’est passée votre expérience en tant que membre du jury du FIFM 2015?

Jean-Pierre Jeunet : On a beaucoup débattu, avec Francis Ford Coppola, j’ai piqué pleins de petits détails dans ses films que je lui balançais avec parcimonie, il me regardait en se disant : « comment il a vu ce détail ? » En fait, je suis fan de Coppola, c’est pour cela que je suis là. Pour ma part, j’attache beaucoup d’importance à l’aspect cinéma, je veux être surpris et c’est le style qui m’intéresse. A Deauville, il y a 2 ans, « Whiplash » m’avait tué ! Mais c’est sûr qu’à 62 ans, je suis moins surpris par les films, je connais toutes les références, Scorcesse disait à Lyon qu’il avait eu un moment de lassitude et ce n’est qu’en montrant les films à sa fille qu’il a retrouvé la passion. Je pense souvent à Tabarly qui dit : « ce n’est peut-être pas la mer que j’aime, c’est plus le bateau » ; pour moi, ce serait plus faire des films que d’aimer le cinéma.

Quel a été votre 1er choc en tant que cinéphile ?

Mon 1er choc, c’était « Il était une fois dans l’ouest », j’avais 17 ans, et je n’ai pas pu parler pendant 3 jours. D’ailleurs, ça reste mon film préféré, je le revois tous les ans, avec toujours la même émotion. Le 2e était un film d’animation, mais le moment le plus important, c’est lorsque j’ai essayé à 16 ans une caméra super 8, prêtée par les amis de mes parents, c’était comme des éclairs qui tombaient du ciel, je travaillais à l’époque aux PTT, j’ai acheté l’écran, la visionneuse, la colleuse,…et je suis devenu metteur en scène. Et c’est ce que j’essaie de communiquer aux jeunes : faîtes-vous plaisir.

Dans quel univers vous vouliez évoluer ?

A 12 ans, je faisais déjà des tas de marionnettes, j’avais un vieux matériel, je changeais l’ordre des images, je les projetais, j’enregistrais mes copains, je faisais des semblants de films, mais je ne savais pas que ça s’appelait metteur en scène !

Dans vos films, il est toujours question d’un univers fantastique. Pourquoi ?

Probablement parce que je viens de l’animation où on a envie de tout faire soi-même et de tout contrôler, c’est plus ludique. Le cinéma du réalisme par contre, qui est très français, ce n’est pas ma tasse de thé. Je n’ai pas envie de reproduire la réalité, ça m’ennuie, à la limite, je préfèrerais des documentaires parce que c’est plus vrai. J’ai besoin d’avoir un regard sur le monde comme les peintres, ce qui m’intéresse c’est de décaler la réalité.

Vous avez tourné le 1er pilote de la série tv Casanova, le choix de la techno pour la musique, c’était un peu osé ?

Justement, ce n’est pas moi qui ai choisi la musique, là bas, le metteur en scène, c’est juste un employé. Ils prennent vos images, ils changent tout derrière, ils ont recadré mes images, ça m’a beaucoup énervé, mais c’était un exercice intéressant, avec l’opérateur canadien, on a fait du beau travail.

Cinématographiquement parlant, qu’évoque pour vous Marrakech ?

Visuellement, tout est beau et étonnant et je ne dirais pas non pour tourner ici. Il y a une attirance pour tourner ailleurs, Paris, je n’en peux plus, j’y ai tourné 3 films, j’ai tourné le moindre recoin que j’avais, c’est fini. Le prochain, j’aimerais le situer en Aix-en Provence, j’habité à moitié en Provence, pas très loin d’Aix, ça s’y prêterait parce que ça serait un sujet sur la sensualité et la sexualité, avec un ton améliesque.

Comment choisissez-vous les scripts qu’on vous envoie ?

En France, je reçois très peu de scripts parce que les Français comptent plus sur les metteurs en scène pour cela. C’est plutôt une tradition américaine. Moi, j’essaie d’éviter de faire des films américains parce que j’aime trop la liberté. Et celle que j’avais à l’époque d’« Alien la résurrection », je ne l’aurais plus aujourd’hui, à l’époque, j’étais tout seul sur le plateau, il n’y avait pas de producteur, aujourd’hui, il y en a 10 sur le plateau, et ça, je l’ai vécu avec Casanova. En France, même quand j’avais de gros budgets, pour « Un long Dimanche de fiançailles » par exemple, j’avais une grande liberté. Cela dit, dans le contexte actuel où le terrorisme prime, la kalachnikov est plus puissante que le cinéma, si on me propose de mettre en scène Mahomet, je dirais non par prudence, par peur, parce que je n’ai pas envie de finir sous les balles somme Cabus, je serais terrorisé. Je ne suis pas militant dans l’âme, je fais des films ludiques, chacun ses limites !

C’est pour cela que vous avez refusé de réaliser Harry Potter ?

Oui et aussi parce que tout était déjà prêt, les costumes, les décors, les acteurs, tu n’as plus qu’à dire : Moteur… Moi, j’aime bien créer l’univers moimême, après, j’ai un peu regretté parce qua j’ai travaillé 2 ans sur l’histoire de Pie, c’était trop cher et ils l’ont fait finalement fait pour le double.

Le film que vous aimez le plus ?

« Amélie » est le plus personnel, les autres, c’est des adaptations, en plus, c’est devenu un succès immense et le rêve de tout créateur. Au début, je ne m’attendais pas à un tel succès, mais si ça a marché, c’est que ça parle de générosité gratuite, une générosité universelle qui touche beaucoup, qu’on retrouve un peu dans « Bienvenue chez les Chtis » ; il y a aussi le fait d’apprécier les petits plaisirs de la vie, c’est souvent la somme de 2 ou 3 idées qui fait que ça plait, et c’est tombé au bon moment, l’aspect parisien a sans doute joué aussi.

Ça vous fait quoi que votre style soit copié ?

Ça m’énerve un peu mais Coco Chanel disait : « Tout ce qui n’est pas volé n’est pas intéressant ! »

Les films qui vous inspirent ?

J’ai toujours été attiré par les films d’imagination, ou si on est sur la réalité, de les décaler, pour qu’ils ne soient pas réalistes. Toscan Du plantier m’avait fait un bon compliment en voyant Amélie : « C’est du Carné, du Prevert avec les technologies d’aujourd’hui » et Carné à l’époque, on appelait ça : du réalisme poétique, il fallait poétiser, par l’image, par les dialogues, et souvent avec Guillaume Laurent, mon partenaire d’écriture, je lui dis : ce n’est pas assez Prevert ça, il faut qu’on preverise, c’était le cas pour Amélie.

Si vous n’étiez pas réalisateur ?

Je serais peut être artiste naïf, d’ailleurs, en ce moment, je conçois des petites bestioles pour les mettre en scène dans un court-métrage d’animation ✱