Iran-Arabie Saoudite: Les coûts d’une tension
Ahmed Charau00ef

En exécutant Baker Nimr, dirigeant et opposant chiite, Ryad a élevé d’un niveau la tension avec l’Iran, ce qui a provoqué la rupture des relations diplomatiques et l’alignement des monarchies du Golf et du Soudan, qui était d’ailleurs prévisible. Réduire cette tension à un conflit confessionnel seulement serait une erreur. Il s’agit d’un conflit politique, entre deux ambitions régionales, qui recouvre la problématique confessionnelle. Ce conflit est d’abord exacerbé par l’accord sur le nucléaire. Ryad s’y est opposé farouchement. Téhéran va récupérer 37 milliards de dollars gelés dans les banques occidentales. Il va aussi et surtout revenir, pleinement, sur le marché des hydrocarbures et disposer d’une assise financière. En même temps, l’Arabie Saoudite voit ses revenus fondre, avec la chute du cours du pétrole, alors qu’elle mène une guerre difficile au Yémen et qu’elle soutient, à bras le corps, l’économie égyptienne. Le premier coût de cette tension est économique. Les marchés internationaux ont anticipé le retour de l’Iran. Deux millions de barils par jour en plus, dans un marché où l’offre est pléthorique, où le schiste américain fait des ravages pendant que la consommation chinoise et hindoue est en baisse, cela fait beaucoup. Le premier résultat c’est d’abord la fin de l’OPEP. Les pays producteurs, du fait des aléas politiques, ne maîtrisent plus rien et ne font plus le marché en régulant l’offre. Avant la fin de l’année, le baril sera à 20 dollars, c’est le pronostic des spécialistes. Des économies vont s’écrouler. L’Arabie Saoudite envisage l’entrée en bourse à travers la société étatique de production pétrolière, ce qui est une privatisation et un revirement stratégique. Mais c’est l’unique perspective pour maintenir l’économie saoudienne debout et préserver son influence, tout en finançant ses engagements régionaux. Toutes les économies dépendantes des hydrocarbures, qui ont renforcé la rente pour acheter la paix sociale, sont au pied du mur ! On peut penser à l’Algérie par exemple, mais aussi au Venezuela. Deux pays où la situation politique est loin d’être d’une stabilité absolue. Si l’effondrement des cours perdure, on pourrait assister à une vague de privatisations et à un retour du contrôle des sept majors sur la ressource dite or noir, quarante ans après les nationalisations. Les pays importateurs affichent leur bonheur, mais pas pour longtemps. Ces marchés en contraction, liés au ralentissement de la croissance chinoise, constituent un phénomène qui ne va pas tirer la croissance mondiale vers le haut. La tension entre Ryad et Téhéran n’est plus diplomatique, elle est militaire, et ce par procuration. En Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, à des degrés divers, les belligérants sont adossés à l’un des deux sponsors. Il est évident qu’on se dirige vers des Etats confettis à caractère confessionnel, ce qui n’est pas un gage de paix. En attendant, les Kurdes engrangent les points. Ils contrôlent Kirkouk, qui n’est pas Kurde, et exportent le pétrole sans passer par l’Etat central irakien. Ils sont adoubés par les grandes puissances dans la lutte contre Daesh et Poutine vient de déclarer qu’ils ont droit à un Etat. C’est aussi une conséquence stratégiquement importante, parce qu’elle remet en cause les équilibres nés de la seconde guerre mondiale et met au défi la Turquie pour qui c’est une ligne rouge. L’affrontement Téhéran-Ryad a des impacts stratégiques historiques, mettant en cause la stabilité de toute la région. La communauté internationale ne peut rester spectatrice de cette énorme déflagration.