Douar Ouled Azzouz : Une expulsion sans relogement

Les habitants du douar Ouled Azzouz sont sur le point de se retrouver à la rue. Leur terrain est racheté par un promoteur. La justice ayant ordonné leur expulsion sans qu’aucune alternative ne soit proposée, ils se battent pour obtenir leurs droits.

Nous sommes à Douar Ouled Azzouz Dhouba, à quelques kilomètres de Casablanca, juste à côté du cimetière Errahma. 33 familles ont déboursé toutes leurs économies pour acquérir un toit au cours des années 90, se partageant en tout un millier de mètres carrés. Des parcelles de terrains, appartenant à la famille Eddahbi, allant de 50 à 80 mètres carrés transformés en petites baraques construites avec soin. Des contrats de vente signés et légalisés attestent l’accomplissement des transactions. Seul hic, pas d’enregistrement effectué auprès de la conservation foncière.

Tout allait bien dans le meilleur des mondes. Les hommes allaient travailler, les femmes, majoritairement au foyer, et les enfants scolarisés à proximité. Les prémices d’une imminente tempête frappent dès l’année 2013, lorsqu’une mystérieuse société de promotion immobilière, dénommée Kamam, rachète un terrain de 11 hectares pour le transformer en projet résidentiel. Lequel terrain englobe les 1000 mètres carrés, où sont édifiés les baraques des concernés.

«Les représentants de la société sont venus et nous ont rassuré au départ et promis une indemnisation ou un relogement», raconte Abdelhak, l’un des habitants du douar. Surprise : les propriétaires reçoivent l’année dernière une ordonnance d’expulsion signée par un juge du tribunal de première instance de Casablanca. Les riverains se battent depuis contre ce promoteur qui veut les chasser de chez eux, sans indemnités ni solution de relogement.

Les familles ne savent plus à quel saint se vouer ! Ils accusent les autorités de vouloir garnir les poches des géants de l’immobilier. «L’espace est considéré comme vierge, car c’est un vaste domaine qui n’abrite que 33 maisons. C’est tout ce qui les intéresse. On veut nous expulser pour le profit des promoteurs», lance Latifa l’une des victimes regrettant que le sort des siens ne soit pas pris en compte dans le traitement judiciaire de cette affaire. «De quelle manière ce projet va-t-il répondre aux besoins en logement? (...) Les gens ordinaires comme moi ne peuvent que rêver de se payer les appartements qui seront construits ici», s’insurge un autre habitant exprimant le sentiment des autres qui sentent que l’étau se resserre sur eux.

Enjeu foncier

Censée être un débouché urbanistique, notamment pour les anciens résidents des bidonvilles casablancais, la ville d’Errahma a tout pour plaire aux géants du béton, surtout que les prix, à deux pas de là, sont au moins le triple. «Beaucoup de douars ont subi le même sort que celui d’Ouled Azzouz. Pressions, menaces, agressions sont devenues le quotidien des propriétaires qui tentent toujours néanmoins de lutter», nous confie un représentant des autorités de la bachawiya de Dar Bouazza dont le chef prétend ne pas avoir pris connaissance de ce dossier. Pourtant, les habitants, d’après leurs dires, l’ont sollicité à maintes reprises. Une source au conseil de la ville ajoute que «les promoteurs sont en réalité parfaitement conscients du caractère fantoche des contrats d’achat des habitants : ce qu’ils recherchent dans l’affaire, c’est obtenir l’accord et le soutien des autorités locales pour la suite des événements. Leur but est de récupérer des terrains constructibles le plus rapidement possible, et au coût le plus bas possible. Ceux qui en payent le prix seront, dans l’idéal, les petits propriétaires, soit la partie la plus désarmée de l’équilibre de forces subtil qui se met en place». Ainsi, les promoteurs ont un but simple : récupérer les terrains et détruire ce qui y existe le plus rapidement possible, pour reconstruire et revendre. «La terre, devenue un enjeu foncier, appartient au marché immobilier qui ne poursuit qu’un seul objectif : le profit», reconnait notre interlocuteur. Et de renchérir : «Même si Kamam dispose d’un titre foncier, elle n’a pas le droit de chasser ces familles de la sorte. Et si elle le fait, elle doit indemniser les habitants. Il faut stabiliser les lieux de vie et sécuriser les personnes et ne pas expulser sans offrir de solutions».

L’Observateur du Maroc et d’Afrique a tenté en vain d’avoir la version du promoteur Kamam. Quant aux vendeurs, la famille Eddahbi, à en croire leur représentant Said Eddahbi, la société lui a déduit quelques 3 millions de dirhams, du prix de vente convenu à presque 40 MDH, pour indemniser les «sinistrés». D’ailleurs, c’est mentionné noir sur blanc sur le compromis de vente entre les deux parties, dont l’Observateur du Maroc et d’Afrique détient une copie. «Le vendeur déclare qu’une partie de droits indivis faisant l’objet des présentes correspondant à une superficie approximative de 1000 mètres carrés consistant en un terrain sur lequel sont édifiés une vingtaine de baraques, que l’acheteur déclare bien connaitre et prend en charge le bidonville de sorte que le vendeur ne soit jamais inquiété ni recherché à ce sujet», peut on lire sur le document. Devant cette impasse, les riverains lancent un cri de détresse pour sauver leur douar de ce qu’ils appellent «prédateur immobilier». Des sits-in ont été organisés devant la commune de Ouled Ahmed, de laquelle ils relèvent pour demander un arbitrage royal. Un rassemblement de femmes et d’enfants, à la main le drapeau marocain et les photos du souverain, qui crient haut et fort «hada 3ar, douarna fi khatar » traduction «c’est honteux, notre douar est en danger».

Avis de Maitre Karim Adyel, Docteur en droit, spécialisé en Droit du Commerce International & Droit Maritime, avocat au barreau de Casablanca

En droit foncier Marocain, le contrat de vente pour être parfait et opposable aux tiers, il faut obligatoirement qu’il soit enregistré et que le titre foncier soit inscrit à la conservation foncière.

À défaut il ne pourra juridiquement produire son plein et entier effet. L’immatriculation est donc une procédure administrative qui permet d’inscrire et d’enregistrer sa propriété sur des registres, appelés titres fonciers. La propriété n’est reconnue d’une manière absolue par la loi comme étant la sienne qu’il s’agisse d’un immeuble ou d’un terrain, sans cette immatriculation. L’enregistrement de sa propriété permet de protéger son patrimoine contre toute éventuelle revendication ou éviction.

Ces habitants n’ont pas malheureusement accompli la démarche. Et nul n’est censé ignorer la loi.