Les larmes de l’impuissance
Jamal Berraoui

Barack Obama, le Président des USA et donc, virtuellement, l’homme le plus puissant du monde, qui pleure face à la caméra, ce n’est pas anodin. Il l’a fait en dénonçant l’incapacité des institutions américaines à affronter le puissant lobby des armes. Malgré tous les drames quotidiens, malgré les tueries massives, au moins 3 morts par jour, touchant souvent des écoliers, aucune réelle législation n’est envisagée.

Le lobby des armes est puissant, il finance les campagnes électorales des deux bords, pour s’assurer que l’amendement sur le droit au port d’armes ne sera pas touché. Et il y arrive au point que même chez les démocrates les positions d’Obama, sur des restrictions à envisager ne sont pas majoritaires. Mais le plus inquiétant c’est l’opinion publique.

En dehors de quelques grandes villes, des cercles d’intellectuels et artistes, l’immense majorité de l’Amérique profonde est opposée à toute limitation de la vente des armes, y compris lourdes. La société se refuse à l’idée d’une seule violence légitime, déléguée à la force publique qui serait chargée d’assurer la sécurité de tous. Pour les Américains, le droit au port d’armes, c’est le droit à se protéger et à protéger sa famille.

Même l’argument des tueries, occasionnées par des forcenés ayant acquis librement des armes est inefficace. Il est contourné par une réponse qui fait mouche, dans le contexte américain : «Si les gens étaient armés, ils se seraient défendus.» Barack Obama a donc décidé de contourner le congrès, en promulguant des décrets pour exiger, non pas l’interdiction de la vente d’armes, mais juste le contrôle des antécédents psychotiques et judicaires.

Donald Trump a déjà annoncé qu’il abrogerait des décrets s’il était élu. Nul doute que la question s’imposera lors de la campagne électorale, étant donné l’état de l’opinion publique, on voit mal Hillary Clinton se mettre sur les pas d’Obama, sans précaution. C’est peut-être la raison de l’émotion du Président des USA. Après 7 ans de combat, il n’a pas pu faire bouger d’un iota son pays sur une question sociétale qui lui tenait à coeur, parce qu’elle a fait des milliers de morts durant ces deux mandats.

Enormément plus que le terrorisme, ou que les morts Américains en Irak. C’est bien là un cas d’école américain, un lobby hyper structuré, très riche, en travaillant l’opinion publique a tenu en échec un président deux fois triomphalement élu.

En France, Mitterrand avait aboli la peine de mort, contre l’avis de la majorité écrasante de ses propres citoyens. Mais le fonctionnement démocratique n’est pas le même. La constitution américaine fixe les règles fondamentalement et celles-ci sont immuables. Les notions de fonctions régaliennes de l’Etat ne sont pas les mêmes qu’en Europe.

Comme on l’a vu sur le dossier de la couverture médicale, pour les Américains, la responsabilité individuelle prime sur la solidarité collective. L’histoire de la constitution de cette nation et de la conquête de l’Ouest imprègnent l’ADN de ce pays. Ce n’est ni bien ni mal, c’est juste un fait historique.

Par ailleurs, le mille-feuilles institutionnel est prévu comme frein à l’omnipotence d’un Président même élu. Cela fonctionne rapidement et efficacement quand un puissant lobby s’y emploie et qu’il est soutenu par l’opinion publique. Le lobbying aux USA est une activité transparente, honorable, légale.

Les larmes d’Obama sont celles de son impuissance, sur un sujet qui lui tient à cœur. Il peut mener des guerres, mais pas interdire la vente d’armes à un forcené. C’est un travers de la justice.