Alaa Zouiten Un virtuose du luth à Jazzablanca

'Connu pour son style jazz arabo-andalou, le luthiste mandoliniste et compositeur marocain nous parle de «Talking Oud », son dernier album métissé mêlant rythmes jazzy, Flamenco, Gnaoua et rock progressif. '

Né en 1985 à Casablanca, Alaa Zouiten découvre sa passion pour la musique dès l’âge de 6 ans lorsqu’il tombe sur un vieux piano chez sa grand-mère. Elève brillant et studieux, il obtient son baccalauréat avec mention, entame des études en médecine à Marrakech et sort du conservatoire premier de sa promotion. Fasciné à l’époque par la musique arabo-orientale classique, il se découvre un penchant pour le Oud et rêve de suivre le pas de ses luthistes idoles comme Farid Al Atrach, Munir Bachir, Naseer Shemma ou Said Chraibi. En 2008, il rejoint le groupe de fusion marocain Jbara qui lui permet d’acquérir une nouvelle expérience musicale et le propulse sur le devant de la scène nationale et internationale. L’artiste décide alors de tout plaquer pour se consacrer à sa passion de toujours, le oud et entame des études musicales en Allemagne. En 2010, il enregistre « Un oud fou » dans un style jazzy arabo-andalou. Epris de flamenco, Alaa s’intéresse à plusieurs styles musicaux, notamment le Rock progressif, le Reggae, le Blues, la musique baroque, médiévale et classique, ainsi que les musiques traditionnelles marocaines tel que le « gharnati », « Gnaoua » ou « Ayta ». Inspiré par Miles Davis, l’artiste découvre l’esprit du jazz et crée un style personnel qui s’ouvre à une multitude de possibilités musicales. En 2012, il sort « Hada Makan », un opus enregistré en Allemagne où il repousse les limites du oud pour accoucher d’un style métissé résolument contemporain oscillant entre musique arabo- andalouse, flamenco, Jazz et Rock. Avec son dernier album « Talking oud » (2014), Alaa continue son processus expérimental, libère les cordes de son oud pour mieux saisir l’ambre du flamenco. Son passage très remarqué à la 11e édition du Jazzablanca restera longtemps dans les annales.

L’observateur du Maroc et d’Afrique : Qu’est ce qui vous a inspiré pour « Talking Oud » enregistré en Allemagne ?

Alaa Zouiten : C’est un album que j’ai enregistré avec les musiciens du groupe allemand « For free hands » que j’ai rencontré en 2014 au Jazz au Chellah. Je voulais présenter toute une palette musicale où le oud peut s’exprimer et parler plusieurs langues. Pour moi, au-delà de son histoire, le oud est avant tout un moyen d’expression. Je suis un musicien du 21e siècle qui évolue dans un contexte de mondialisation et ce qui émane de moi doit être en harmonie avec mon vécu quotidien. J’ai donc proposé un style arabo-andalou avec des morceaux plutôt Big Band, Gnaoui, rock progressif… En fait, je parle avec le oud en adoptant plusieurs langages musicaux.

Pourquoi il y a toujours cette touche jazzy qui caractérise votre métissage musical ?

Je prends l’esprit du jazz, son côté improvisation -qu’on retrouve d’ailleurs dans la musique araboandalouse-, son esprit d’ouverture et de partage, et je le mélang e avec d’autres styles, arabo-andalou ou autre. Actuellement, je prépare un Master en ethnomusicologie en Allemagne et ça me permet non seulement d’analyser la musique traditionnelle mais aussi de découvrir de nouveaux styles musicaux. J’ai toujours comparé la musique à la cuisine, c’est un art culinaire qui nous permet d’essayer plusieurs recettes avec plusieurs sauces. Cela dit, il faut savoir rester humble !

C’est facile d’improviser sur scène ?

C’est essentiellement technique à la base, car, pour improviser, il faut énormément répéter. Et des fois sur scène, l’imprévisible prend le dessus et c’est ce qui fait le charme de la musique ; c’est un domaine où on apprend en permanence.

Pourquoi cherchez-vous à repousser les limites du Oud ?

Parce que ça ne sert à rien d e recopier ce qui a déjà été f ait, et aujourd’hui encore, je ne sais pas pourquoi j’ai opté pour cet instrument ! A 6 ans, j’ai commencé à faire du piano, puis j’en ai fait aussi en Allemagne, mais le oud pour moi a été un véritable moyen d’expression. Ceci étant, je ne suis pas obligé de jouer comme les puristes ; d’ailleurs, tout ce que j’écris, je le compose à la base sur piano, après, je le transpose au oud, et c’est ce qui crée le nouveau !

Vous avez été énormément inspiré par Miles Davis ?

Oui, j’aimais sa philosophie qui consistait à ne choisir que les belles notes au lieu de jouer 1000 notes/ mesure pour laisser le tem ps au silence ; c’est un exercice assez difficile ! Ce qui me fascinait aussi chez lui, c’est qu’il est passé du swing, au Hip Hop jusqu’au Rap en passant par l’électro-jazz, il était à la pointe de toutes les révolutions du jazz. Sa fascination pour Jimmy Hendricks l’a amené à jouer du jazz rock… Il détectait facilement les talents et donnait la chance aux jeunes de s’exprimer.

Fardi Al Atrach était votre idole ?

Au départ, j’adorais 4 oudistes : Farid Al Atrach parce qu’il avait cette incroyable capacité de se détacher du lyrisme arabe, Munir Bachir, parce qu’il est l’un des premiers qui a fait connaître le oud à l’étranger ; Naseer Shemaa, qui avait une maîtrise incroyable de la technique et Feu Said Chraïbi, qui incarnait l’identité musicale marocaine puisqu’il était un des rares oudistes à s’inspirer de notre patrimoine traditionnel et c’est ce qui manque cruellement au Maroc ! On a toujours été influencé par les écoles orientales et on nous a longtemps endoctrinés musicalement avec pour seules références Abdelhalim, Oum Keltoum ou Farid Atrach, …Du coup, on tournait en rond et personne n’osait proposer du nouveau.

Vous cherchez à occidentaliser le oud finalement ?

Non, je ne pars pas d u principe de l’identité dans la musique. Je suis né dans une culture marocaine où on écoutait andaloussi et gharnati pendant les fêtes, dans les maria ges, on écoutait aita, chaibi, gnaoua et ça serait aberrant d’occulter notre éducation musicale et de partir vers autre chose. C’est ancré en moi, cela dit, rien ne pourrait m’empêcher d’inclure de la musique cubaine ou chinoise. J’aime beaucoup le Flamenco, mais j’ignore toujours la raison de cette passion ; l ’année dernière, à Grenade, je me suis senti chez moi. L’essentiel, c’est de capter ces émotions et de les transférer dans un processus de création.

Vous aimez bien les mélodies joyeuses.

Oui, les morceaux mélancoliques me soulent, c’est trop cliché ! C’est pour ça que je me lance dans la salsa ou le rock. Je n’aime pas l’émotion unidimensionnelle, la musique est très vaste, elle peut incarner l’érotisme, la colère…

Vos projets ?

Je négocie toujours avec des labels pour commercialiser « Talking Oud » on line. Sinon, je prépare un prochain album qui serait une vraie fusion Flamenco-arabe, avec un côté berbère, juif,... je vais me concentrer cette fois-ci sur une seule direction parce que dans la majorité des projets de métissage, on attend à ce que l’autre s’adapte et joue nos rythmes et mélodies alors qu’il faut s’ouvrir aux autres formes musicales (la Buléria, la Soleá…), être capable de les jouer pour pouvoir par la suite, rajouter sa propre sauce ✱