Noëmi Waysfeld « Pour moi, le yiddish est une évidence, une nécessité »

Habitée par ses origines russes et polonaises, la jeune chanteuse et comédienne française a envoûté le public du Chellah avec son chant théâtral et profond, ses mélodies poignantes et son fado en yiddish, une langue émotionnelle qui lui permet d’échapper à toutes les territorialités forcées.

Que vous inspire un lieu mythique comme celui du Chellah ? Quand on joue dans un lieu habité, qui a une histoire et un vécu, qu’on est face à un ciel pur, à une écoute très particulière du public, ça donne tout un sens à la musique. J’ai l’impression qu’il n’y a plus rien à créer, à inventer, il n’y a qu’à être, parce qu’on est dans un lieu qui déjà, porte tout. C’est très inspirant.

 

Pourquoi chanter en yiddish ? Le Yiddish pour moi et une évidence, une impossibilité de faire autrement, c’est une nécessité et une obligation, mes origines sont de l’Europe de l’Est et même si je suis née dans une famille assimilée, parisienne, j’ai vite senti depuis tout jeune que je ne pouvais pas vivre sans musique, j’étais initiée au chant très tôt dans ma vie, et naturellement, c’était ces chants là, dans mon histoire, que j’ai eu besoin de chanter, et au fur et à mesure de mes voyages antérieurs et réels et du fait de grandir et avancer, là, j’ai pu m’ouvrir à d’autres cultures et de m’intéresser au Fado, au Rebetiko, là on se dirige vers des rythmes flamenco par la suite, mais toujours avec un filtre qui est moi, en partant de mon histoire et des langues qui ont été présentes dans ma famille, je peux m’ouvrir au monde. Sans ça, je ne vis pas !

 

Vous avez été initiée au chant toute petite ? Oui, c’est ma sœur aînée Chloé que j’ai perdu qui m’a initiée dès l’âge de 3 ans. C’est elle qui m’a tout appris, tout transmis, et maintenant, je l’honore autant que je peux.

Si vous deviez définir votre dernier album Aflama ? Quand les gens ne connaissent pas, on dit que c’est du fado en yiddish. En fait, le fado m’a bouleversé d’une manière extrêmement familière, je ne suis pas une fadista mais quand j’écoutais ce style, j’entendais aussi de la musique de l’Europe de l’Est, dans la profondeur des chants, parfois dans les mélodies, j’entendais ce côté complètement arraché qui est très typique de la musique de l’Europe de l’Est. Sinon, je dirais que c’est un voyage féminin et chaloupé au pays des femmes tantôt portugaises, tantôt polonaises.

 

Que représente Césaria Evora pour vous ? C’est une des chanteuse que j’écoute le plus, si je pouvais me télé transporter dans une autre voix, une autre langue et une autre histoire, j’aimerais connaitre ça. D’ailleurs, dans un de mes projets,  je vais chanter un peu cubain, mais vous savez, après mon 2e album, je me suis dit : « Cesaria Evora, la mama capverdienne, c’est que pour des gens initiés? » Ben non, ce n’est pas pour rien que le monde entier est à genou devant elle. Pour moi, c’est cette même dimension que tout chant populaire vient parler au cœur des gens qui sont disposés à ça, alors on peut ouvrir tous les ports du monde et voilà, elle est dans le fado, dans le yiddish, dans le russe…

Les textes que vous chantez sont poétiques et mystiques, c’est vous qui faîtes ce choix là ou ça s’impose par le style musical ? Au sein du groupe, on a chacun pris nos places très naturellement, sauf quand il s’agit des compositions, … Pour ce qui est des textes, c’est mon choix, j’ai fait beaucoup de théâtre dans ma vie, je me produis aussi en tant que comédienne, mais sans musique, la vie me semble impossible. Ce sont les mots qui d’abord me parlent, il me faut une dimension qui va permettre que la musique soit au-delà des mots mais il faut que le propos me parlent, me touchent, m’emportent, me fassent réfléchir, me dérangent.

 

Sur scène, vous avez joué un cocktail de tout ce que vous faites : du fado en yiddish…J’ai fait quelque chose d’un peu inhabituel, puisque normalement, on présente nos disques comme un voyage, un spectacle…Pour l’instant, nos deux albums sont pensés comme une unité, mais là, on a amené les chants les plus mystiques, les plus intérieurs, et du coup, on a puisé dans chacun des albums mais aussi dans d’autres ; certains morceaux ne figuraient pas dans nos disques, dans notre répertoire à nous, donc, c’est inhabituel, mais en même temps, on a tellement travaillé qu’on n’a pas du tout l’impression de faite autre chose, on est resté dans notre histoire.

 

Vous avez une facilité pour les langues (yiddish, allemand, portugais, russe,…) ? Oui, j’ai fait une sorte d’équivalent de Master à l’Inalco, à la faculté des langues étrangères et orientales de Paris. J’ai une facilité pour les langues qui je n’ai pas en mathématiques, par exemple, j’en parle quelques unes, j’adore cela, mais il faut que je ne fasse que ça pour être bilingue dans toutes les langues qui m’intéressent parce que ça ne s’arrête pas, j’ai tout le temps envie d’en apprendre d’autres. C’est un endroit où je suis plus chez moi que quand on m’explique des formules.

 

Pour votre prochain projet, vous allez chanter en allemand ? Oui, je vais travailler avec un pianiste qui est un des invités de notre 2e album, qui est Guillaume de Chassy avec qui on est en train de monter notre voyage d’hiver à nous, de Franz Schubert qui est un cycle de 24 leider et on a pris une douzaine, et à notre façon. On est dans un respect absolu du mot, du texte, de la mélodie et très souvent de l’accompagnent, mais simplement, on la fait à notre façon.