Une radicalité sociale
Ahmed Charau00ef

De passage à Paris, et sur ma route vers l’aéroport, j’ai échangé avec un chauffeur de taxi, d’origine maghrébine, sur l’état de la France mais surtout sur le terrorisme. Son constat est effrayant et sans appel. «Prenez une valise avec des liasses d’argent et vous pourrez recruter des terroristes dans toutes les banlieues, par centaines. C’est ce que font les recruteurs depuis très longtemps». Il explique que ces jeunes sont désocialisés, sans aucun repère ni espoir et que l’argent joue un rôle plus important que la spiritualité. «Ils ne connaissent même pas le Coran, mais ils haïssent le monde entier. Les recruteurs leur permettent d’exprimer cette haine au nom d’une cause...‘l’islam’.» C’est une perception qui bouscule un certain nombre de certitudes. Le discours sur la déradicalisation, la citoyenneté, paraît éloigné de la vérité. Selon cette version des faits, le noeud du problème serait celui de l’intégration et de son échec. Les profils des terroristes qui ont frappé en France et à Bruxelles tendent à renforcer cette thèse. Nous sommes en face de délinquants, donc déjà en rupture avec la société, qui basculent dans l’horreur terroriste sans passer par la moindre recherche de spiritualité. Leurs motivations ne reposent que sur des slogans, souvent liés à des situations de guerre, et sans référence, aucune au sacré. Le fameux loup solitaire n’existe qu’au moment du passage à l’acte. Tous les terroristes baignent dans un magma hideux où la frustration se transforme en haine explosive, d’abord de soi, ensuite des autres, de tous les autres, car il ne faut jamais perdre de vue que ce sont les musulmans qui payent le plus lourd tribut au terrorisme. L’expérience a démontré qu’on ne peut pas apporter des réponses simplistes à un phénomène aussi complexe. Il est évident que certaines interprétations des textes sont en question. On ne peut pas, non plus, occulter les questions identitaires, souvent alimentées par l’histoire ou par les conflits en cours. Ce sont les fondements des organisateurs et de leur encadrement. Mais les jeunes issus de l’immigration ont d’autres parcours. La question identitaire, pour eux, est liée d’abord à leur situation sociale. Les discours stigmatisants, l’essentialisme, les renvoient à leur religion, à leurs origines. Il est facile pour les recruteurs de lier les deux et c’est ce que fait Daesh. «S’ils ne vous acceptent pas, c’est parce que vous êtes musulmans et qu’ils sont les ennemis de l’islam». Des individus, psychologiquement fragiles, cèdent à ces sirènes. Le cas des convertis prouve que les recruteurs savent déceler les fêlures. Ils proposent aux jeunes en situation d’échec d’échanger une vie insignifiante contre le «martyr» élevé au rang de gloire suprême, récompensée par le paradis et ses plaisirs éternels. La question de l’intégration est donc primordiale. Non pas pour justifier l’injustifiable, tenter de trouver des circonstances atténuantes aux criminels, mais pour appréhender correctement un phénomène appelé à durer, malgré les efforts sécuritaires. C’est un travail de longue haleine qui nécessite la mobilisation de l’école, des politiques publiques, d’investissement, du logement dans le sens de la mixité, etc. Mais surtout, il faut sortir de la stigmatisation, par un discours sans concession aucune, mais inclusif. L’on se rend bien compte que politiquement, une telle vision n’est pas porteuse dans l’immédiat, l’extrême-droite avançant partout en Europe. Entre temps, les réponses simplistes ne font qu’élargir le terreau et offrir plus de possibilités aux recruteurs.