Une lettre décOUVERTE de Ridouane Erramdani à monsieur le chef du gouvernement

A monsieur le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane,

Après quelques mois, votre mandat à la tête du gouvernement va arriver à échéance. Vous ambitionnez assurément de rempiler. Mais en attendant que ce souhait se réalise ou que vous quittiez votre poste, selon ce qu’en décidera le verdict démocratique suprême des urnes, il serait utile de vous adresser cette lettre «décOuverte».

Monsieur le chef du gouvernement,

Nous savons, comme vous le savez aussi, que vous êtes arrivé à votre poste dans des circonstances très particulières. Nous connaissons, comme vous la connaissez aussi, l’histoire du printemps arabe, celle du 20 février et celle encore de la rue qui bouillonnait. Sans oublier l’histoire de la marmite marocaine qui a failli brûler sous un feu qu’elle ne pouvait plus supporter.

Nous connaissons, comme vous le connaissez aussi, le discours du 9 mars, la constitution du 1er juillet 2011.

Nous savons, comme vous le savez aussi, que nous n’avons appris qu’une infime partie de ce qui a suivi tout cela. Vous en savez davantage puisque vous étiez dans les coulisses des coulisses.

Vous avez voté par un «Oui» empressé pour la nouvelle constitution. C’est tout ce que nous savons. D’où de nombreuses interrogations qui taraudent notre esprit sur certains détails. Mais c’est-ce pas là que se cache le diable ?

Peut-être voudrait-il mieux fermer cette parenthèse puisqu’il est devenu inutile aujourd’hui de rappeler que la marmite a failli cramer. Il serait plus opportun de rendre grâce au Bon Dieu pour notre salut et de se tourner vers l’avenir. Parler nous a certes fatigué, mais la parole n’est pas encore terminée.

Monsieur le chef du gouvernement,

Nul besoin de louer votre personne et votre maîtrise de la communication. Nul besoin non plus de louer votre grande capacité à gérer les crises, votre sens de la négociation, votre patience… Trop de louanges tuent les louanges, n’est-ce pas ? Vous avez surtout besoin, en ce moment, de quelqu’un qui puisse vous parler en toute neutralité, loin de «l’appareil», de l’idéologie et des intérêts matériels ou moraux.

Ces cinq années de votre vie, de la nôtre et de celle du pays durant lesquelles vous êtes à la tête du gouvernement, avec des hauts et des bas, nous confèrent le droit de vous demander des comptes et d’émettre quelques petits reproches et critiques, en attendant l’épreuve des urnes.

Monsieur le chef du gouvernement,

Nous nous rappelons, comme vous devez aussi vous rappeler que votre slogan de campagne lors des dernières législatives était la lutte contre la «prévarication et la tyrannie». Joli slogan. Séduisant. Seuls de vils obstinés pourraient lui résister. Le résultat a été d’ailleurs à la hauteur de ce slogan, de vos espérances : plus de 100 sièges au parlement et le poste de chef du gouvernement. Cinq après, qu’est-ce qui a été réalisé ?

Vous pourriez répéter à l’envi, monsieur le chef du gouvernement, que la grande «poche» du gouvernement a recouvré son équilibre, que la Caisse de compensation a été réformée, que des concours ont été imposés pour les recrutements dans l’administration publique, que vous avez pensé aux veuves, aux divorcées, aux étudiants, etc.

Monsieur le chef du gouvernement,

Personne ne peut nier ce que vous pourriez considérer comme des réalisations gouvernementales. Mais, on attendait beaucoup plus de votre part. Ne croyez donc surtout pas que ce que vous avez fait est suffisant. Vous nous avez vendu un bien gros slogan qui nous autorise à vous dire aujourd’hui que la déception est, elle aussi, grande.

Nous savons ce que vous allez répondre : «Ils ne nous ont pas laissé travailler. Il y a deux Etats, l’un dirigé par le Roi et l’autre, mystérieux, nous ne savons pas qui le dirige». Vous allez reparler de crocodiles, de démons, de grenouilles, de dirigisme, d’Etat profond, d’Etat parallèle.

Monsieur le chef du gouvernement,

Cette logique pourrait être un «fonds de commerce» porteur politiquement et électoralement, mais elle n’est d’aucune portée dans le vrai travail politique. Cette logique est porteuse surtout de suspicion et condit à la déliquescence de la politique.

Le combat du «haut» vous fait perdre les gens d’en «bas», sachant que ce sont ces gens qui vous ont conduit en «haut».

Les allusions en politique, monsieur le chef du gouvernement, sont certes attrayantes, mais elles ne permettent pas toujours d’atteindre l’objectif escompté. Elles provoquent plutôt, le plus souvent, le vertige.

Monsieur le chef du gouvernement,

Le combat politique autorise bien des choses, mais il y a des limites. Vous avez le droit de faire de la lutte contre le dirigisme votre nouveau slogan de campagne, mais permettez-moi de vous poser cette question : Ceux qui refusent le dirigisme, s’il existe, négocieraient-ils en dehors de la logique des urnes ?

Assurément non ! Ils refusent le fait accompli puisque leur seule référence ce sont les urnes, sinon ils sont indignes de confiance.

Visiblement, à vous en croire, le gouvernement ne se forme pas sur la seule base des résultats des urnes. Il y a les coulisses. C’est ce que vous avancez ou du moins, c’est ce que nous avons compris en vous écoutant.

Nous avons compris aussi qu’il y a des noms auxquels a été refusée la «ministrabilité». Comment alors ce refus a été levé ?

Nous avons compris que votre gouvernement était menacé de destitution. Comment alors a-t-il été sauvé par un parti pourtant proche d’une formation que vous accusez de dirigisme ?

Nous avons compris que vous renoncez à certaines de vos prérogatives pour éviter tout clash avec la monarchie, mais dites-nous pourquoi vous le faites en vérité ?

Nous avons compris bien des choses, mais nous n’avons pas encore assimilé qui refuse, qui émet des réserves, qui négocie, qui complique la tâche et qui la facilite.

Quelque soit votre réponse, vous êtes partie de cette réalité, si toutefois elle est vraiment telle que vous la dessinez.

Monsieur le chef du gouvernement,

Il est vrai que tout est possible en politique. Mais on ne peut pas se mettre à taper du poing sur une table alors qu’on s’était pendant longtemps plu à s’asseoir dessus.