Turquie : Erdogan, l’apprenti sorcier
Le pru00e9sident turc Recep Tayyip Erdogan

C’est au moment où la Turquie renoue diplomatiquement avec Israël et se rapproche de la Russie, deux anciens alliés avec lesquels elle était en froid (depuis six ans, concernant l’Etat hébreu), qu’un terrible attentat a frappé, le 28 juin 2016 au soir, l’aéroport international d’Istanbul, faisant 44 morts (dont 19 étrangers) et 260 blessés.

Les autorités turques accusent l’Etat islamique d’être derrière la fusillade perpétrée par les trois kamikazes : un Russe, un Ouzbek, un Kirkize, qui se sont faits ensuite exploser. L’acte terroriste n’a pas été revendiqué, comme ne l’ont jamais été, en Turquie, les attentats attribués à l’EI. Est-ce à dire que les tueurs ont agi à leur initiative sans ordre venu du califat ? C’est possible. La Turquie abrite des djihadistes de nombreuses nationalités qui ont transité par son territoire avant de rejoindre les troupes de Daech. Elle en paie le prix au moment où le porte-parole d’Al-Baghdadi a recommandé de frapper partout et de faire régner la terreur pendant le ramadan.

C’est depuis juin 2015 que la Turquie est plongée dans une spirale de violences. Elle a fait plus de 200 morts et des centaines de blessés. Mais la politique menée par Recep Tayyip Erdogan, le président turc, est largement responsable de ce déchainement de violences qui fragilise aujourd’hui son pays.

En 2011, Erdogan, l’islamiste a cru pouvoir surfer sur la vague des Printemps arabes pour devenir le «sultan» sunnite qui redorerait le blason turque et écraserait définitivement les autonomistes Kurdes - en guerre avec Ankara depuis 1984 - mais avec lesquels des négociations de paix étaient en cours. Peu importait au président turc que son ennemi syrien s’enfonce alors dans la guerre civile et que l’Etat islamique y étende son califat. Il fermait les yeux sur les agissements de Daech et laissait ouverte aux combattants étrangers qui transitaient par la Turquie pour rejoindre l’EI, sa frontière avec la Syrie. En Turquie même, Daech disposait de cellules clandestines, de réseaux qui prenaient en charge les djihadistes étrangers en transit et de filières de recrutement des locaux turcs et kurdes.

Car Erdogan avait un ennemi prioritaire : le parti des travailleurs kurdes (PKK), hier partisan de l’indépendance du Kurdistan turque. Le souci d’Ankara était donc, non pas de lutter en priorité contre Daech, mais de contrecarrer la lutte des Kurdes de Syrie contre l’EI. Les autorités turques craignaient que la victoire des Kurdes syriens n’entraine la création d’une zone autonome kurde en Syrie, sur le modèle irakien, et qu’elle serve, ensuite, de base arrière au PKK (le parti des travailleurs du Kurdistan). L’armée turque se lançait alors dans une guerre terrible contre les bastions du PKK au sud de la Turquie, bombardant villes et villages, tuant les civils. En réaction, deux attentats revendiqués par un groupuscule lié au PKK, les Faucons de la liberté du Kurdistan, frappaient Ankara et Istanbul en mars et juin 2016 (47 morts).

Dés 2015, sous la pression internationale, Erdogan devait changer son fusil d’épaule. Durant l’été, la Turquie avait rejoint la Coalition internationale contre le terrorisme et mis plus ou moins fin à l’arrangement implicite qui existait avec l’EI. Daech s’est alors vengé. En 2015, les djihadistes avaient organisé des attentats au sud de la Turquie contre leurs ennemis, les Kurdes (en juin et en juillet 2015), puis étaient accusés d’être à l’origine de la terrible attaque-kamikaze survenue au milieu d’un rassemblement pro-kurde en octobre 2015 à Ankara (103 morts).

En 2016, l’EI a changé de stratégie. Il vise désormais directement le pouvoir turc à travers les touristes. Des kamikazes se sont faits exploser dans des quartiers touristiques en janvier et en mars derniers, à Istanbul. Puis ce fut, le 28 juin, dans l’aéroport Atatürk de la capitale économique. Une triple fusillade dont le mode opératoire est le même que celui des attentats de Paris, en novembre dernier, et celui, cette année, de l’aéroport de Bruxelles.

En relançant sa guerre contre les Kurdes au détriment de la lutte contre Daech, Erdogan a ouvert une boite de Pandore. Il ne sait plus comment la refermer.