Oumou Sangare, ambassadrice du Wassoulou

'Représentante des rythmes traditionnels du Wassoulou, la diva malienne appréciée pour son timbre vibrant est réputée pour son combat contre la polygamie, son engagement auprès des femmes et sa promotion de la paix. Rencontre avec une artiste attachée à son identité culturelle mais ouverte sur l’occident.'

Agée de 48 ans, Oumou Sangare est issue d’une famille originaire du  Wassoulou, une région historique au sud du fleuve Niger où la tradition s'inspire directement des chants de chasseurs. En accompagnant sa mère, la chanteuse Aminata Diakité, aux mariages et baptêmes, elle apprend vite à chanter et à l’âge de 5 ans, elle remporte la finale des écoles maternelles de Bamako et se produit au Stade Omnisports devant 3 000 personnes. À 16 ans, elle part en tournée avec le groupe Djoliba percussions. Sa rencontre en 1987 avec le producteur sénégalais Ibrahima Sylla est déterminante pour sa carrière et son 1er album rencontre un succès fulgurant. A 21 ans, elle devient une star internationale grâce à Ali Farka Touré et sa signature avec le label anglais World Circuit Records. Sensible à la cause des femmes, la chanteuse qui compte 9 albums à son actif, s’insurge contre la polygamie et les mariages arrangés. Fidèle à son rôle de porte-voix, celle qui a été ambassadrice de bonne volonté de la FAO en 2003 et qui a reçu le prix de l’INESCO (2001) ne manque jamais l’occasion de prendre la parole pour dénoncer la situation qui prévaut au Mali. Très attachée à ses origines musicales traditionnelles, elle se définit comme « une artiste ouverte » sur les rythmes modernes occidentaux. En témoignent ses nombreuses collaborations avec des musiciens de renom, notamment Tony Allen, Fred Wesley, Pee Wee Ellis ou Bela Fleck.

Vous avez chanté dans les opéras du monde entier (Sidney, Bruxelles, USA, …), ça vous fait quoi d’être invitée plusieurs fois au Maroc (Essaouira, Fès…) ? Je suis un peu habituée, mais ça fait toujours plaisir. Pour moi, le Maroc, c’est l’Afrique, c’est un pays voisin du Mali, donc, ça fait toujours plaisir de se retrouver chez soi.

En tant que business women citoyenne défendant la cause des femmes, un thème comme celui du dernier festival de Fès « Femmes fondatrices » doit vous toucher particulièrement ? Oui, ça m’a beaucoup touché parce que ça montre que l’effort fourni par les femmes n’est pas vain ; c’est une sorte de reconnaissance. Tout commence par la femme, tout repose sur ses épaules, donc, si on commence à honorer la femme dans des festivals, ça ne peut que me donner plus d’énergie.

Vous êtes une artiste engagée, vous avez toujours défendu la cause des femmes, vous aviez dit que vous vouliez être « la voix des sans voix » ? Oui, c’est une tâche difficile que je me suis assignée, mais il fallait que quelqu’un se sacrifie pour les autres. J’ai pris des risques en dénonçant haut et fort certaines choses, j’ai ramassé beaucoup de pots cassés mais ce n’est pas grave.

Est-ce que c’est parce que vous aviez une enfance un peu difficile, à 5 ans, vous chantiez déjà pour aider financièrement votre maman ? C’est ça qui m’a poussé à être un peu rebelle, à dénoncer et à critiquer certains faits de notre société. C’était ma manière d’aider les autres enfants à mieux vivre et leur éviter ce que j’ai subi.

L’objectif du chant Wassoulou, c’est justement de conseiller le public ? Oui, au Wassoulou, les femmes n’avaient pas de voix, c’est toujours les hommes qui décident de tout, les mariages étaient pour elles la seule porte de sortie. Entre femmes, elles se regroupaient pour créer leurs propres chansons, elles pouvaient ainsi partager leur souffrance en chantant leur douleur. Les cérémonies étaient le seul endroit où elles pouvaient s’exprimer devant tout le monde. C’est une vieille tradition chez nous que j’ai voulu utiliser pour parler de la souffrance faite aux femmes.

Que représente le Wassoulou pour vous? C’est chez moi, c’est mon village, c’est un petit cercle du Mali très riche en musique.

Vous restez attachée à la musique traditionnelle ? Oui, je suis une femme très attachée au chant traditionnel parce que c’est ma mère qui me l’a appris lorsque le l’accompagnais dans les cérémonies tout comme ma grand-mère d’ailleurs. Vous savez, j’étais tout le temps collée à ma mère, je n’allais pas jouer comme les autres enfants de mon âge. Abandonnée par mon père, elle devait nourrir 6 enfants, des fois, elle s’absentait pour aller faire les petits commerces dans les pays voisins, et lorsqu’il y avait des mariages, les gens m’invitaient à sa place.

Vous la remplaciez ? Oui, j’ai commencé à chanter très jeune, à 5 ans, j’ai remporté un concours pour les petits enfants de la maternelle. Quand j’ai gagné le prix, ils étaient tellement subjugués par ma voix qu’ils ont décidé d’organiser un concert au stade Omnisport de Bamako devant 3000 places. Quand j’ai vu tout ce monde, j’ai pris la fuite, ils m’ont rattrapé dans le couloir, ils m’ont placé sur la table et m’ont tendu le micro, ma mère m’avait dit de « fermer les yeux et de crier dans le micro » et c’est ce que j’ai fait et ça a marché.

Dans votre dernier album, vous parlez d’amour mais aussi vous conseillez les femmes pour ne pas tomber dans le piège des coureurs de jupons ? Exactement, toutes les femmes passent par là et comme j’ai la chance d’être écoutée, j’en profite pour glisser ce message.

Vous aimez mélanger le style traditionnel et moderne ? Oui, d’ailleurs, sur scène, je joue avec un Guadeloupéen qui joue la batterie, j’ai des instruments traditionnels et des instruments modernes mais qui vont tous parler le même langage. C’est un peu du traditionnel moderne. J’ai commencé à faire ce mélange il y a longtemps, déjà pour mon 3e album "Worotan"(1996), j’avais collaboré avec Pee Wee Ellis, l’ex saxophoniste de James Bond et Nitin Sawhney. Je suis une chanteuse ouverte mais j’essaie de faire attention à ma tradition et de la protéger minutieusement.

Quelles sont vos ambitions aujourd’hui pour les femmes maliennes ? Je veux qu’elles se développent plus ; en 10 ans, il y a eu beaucoup de changement, la femme malienne a énormément évolué, elle occupe des postes au sein du gouvernement mais elle travaille dur à côté, on la retrouve dans tous les domaines : le textile, l’écriture, le théâtre, le cinéma,… on doit serrer la ceinture parce que c’est un combat qui n’est pas facile, on est dans un monde de males !

Vous êtes aussi une business women très active. C’était facile pour vous ? Pas du tout mais rien n’est facile dans la vie, il faut s’accrocher et croire en soi, il faut se battre pour se faire une place.

Avez-vous pensé à faire de la politique ? Non, jamais. En politique, on ne peut pas dire ce qu’on pense, on ment à la population et moi, je ne suis pas faite pour mentir !