La chute et l’envol de Karim Marrakechi

Architecte de formation, K. Marrakechi présente ses œuvres à partir du 20 octobre dans son lieu de création à Casablanca (CIL). Mises en scène par Myriem Baadi et Malak Marrakchi, le parcours sensoriel de l’exposition nous transporte dans un univers fantasmagorique propre à l’artiste. Tantôt réel tantôt loufoque et onirique.

 

 

Vous êtes architecte de formation. D’où vous vient cette passion pour la peinture ? J’ai toujours été passionné par la peinture et ce, depuis mon plus jeune âge. Lorsque j’avais 10 ans, j’ai peint mon 1er tableau, j’adorais la simplicité et la beauté de l’art japonais, après, je me suis plus orienté vers l’expressionnisme, j’ai suivi des cours d’Arts Plastiques du Pr Henri Martin. J’ai toujours peint même en étant architecte, ceci étant, la peinture me permet plus de liberté. En architecture, c’est beaucoup plus rigoureux. J’adore la peinture, parce que c’est un tout ; c’est la poésie, l’histoire de l’art, la nature…

C’est ce qui explique en partie votre attirance pour l’expressionisme allemand ? J’ai une grande admiration pour le courant expressionniste allemand, j’adore Anselm Kiefer parce que justement, il n’est pas que peintre, il est aussi professeur, et c’est surtout quelqu’un qui peint dans une totalité ! Je trouve que l’expressionnisme est beaucoup plus fort chez eux que dans le monde. Pour moi, la peintre est expressionniste, elle n’est pas esthétique, je ne peux pas être esthétique, autant en architecture, on doit respecter des critères de normes, de proportion, de beauté… la peinture, c’est avant tout un moyen d’expression.

On a l’impression que vous racontez une histoire, savez-vous dès le départ où vous allez? Ça dépend. Vous savez, je peins par étape, j’écris, et avant de peindre, j’élabore un scénario, exactement comme un film. J’ai une thématique de départ, il y a des photos que je découpe, puis je fais le montage. En fait, je dessine  avant de laisser les couleurs s’exprimer en toute liberté.

Comment choisissez-vous vos matériaux ? J’utilise des tranches d’arbre, des écorces, je fais beaucoup de collage et de séchage, des fois, je découpe des photos et des tissus que je recolle par la suite. Souvent, je dessine, j’écris puis il y a tout un travail de composition qui suit, je démarre d’un fait réel puis je laisse libre court à mon imagination. Le choix des matériaux se fait en fonction des envies, des fois, ce n’est qu’en peignant que le choix s’impose, ce n’est pas voulu. C’est un mélange entre une volonté, une philosophie, un thème et le moment présent ; c’est totalement intuitif. C’est comme ça que je travaille en tant qu’architecte, j’essaie de marier deux univers opposés entre une volonté, un besoin, un programme très strict et un peu de folie. En architecture, il y a moins de folie, en peinture, c’est l’inverse, c’est pour cela que je peins.

Comment s’opère l’agencement des couleurs ? C’est quelque chose qu’on ne peut pas expliquer, c’est comme la musique, ça se développe au fur et à mesure. Quand j’avais 20 ans, à Paris, j’avais développé pendant un an le sens des couleurs des plus fortes, aux plus dégradées, des nuances…j’essaie d’être dans une totalité, de part ma culture, mes voyages et ma passion pour l’histoire de l’art,... J’essaie de faire tout converger tout en cassant les styles !

Les thématiques qui vous inspirent ? Il y a d’abord le thème de la spirale qui a toujours été ma symbolique, renvoyant à l’âme qui se déploie comme une spirale, avec à chaque fois une amplitude, puis, il y a l’enfance, la solitude, l’enfermement, la rébellion « Le rebel dans la forêt », la passion, l’amour avec son côté voluptueux mais aussi infernal, l’amour platonique, la philosophie, les relations du couple, les relations entre mère et fille,…Je me serre aussi des animaux (chat, chien, poule, cheval, oiseau, dauphin…) tels des contes visuels pour critiquer de manière ironique certains sujets. Souvent, je rentre dans la peau de mes personnages, tout comme un acteur qui rentre dans la peau de quelqu’un d’autre.

Certaines de vos toiles font référence à Matisse. Pourquoi ? Toute ma peinture crée des dialogues avec de grands peintres. J’ai souvent repris Matisse parce qu’il a beaucoup peint la femme orientale, marocaine, il a énormément travaillé sur la danse. C’est aussi un peintre joyeux doté d’une grande sagesse connu pour sa grande spiritualité. En plus, il a peint jusqu’à très tard…

On remarque une certaine évolution dans votre style. Avant, j’étais très rigoureux, maintenant, je me lâche plus, je suis plus libre. J’essaie de marier le fantastique et le réel. Je me rapproche de la peinture du groupe Cobra, j’essaie d’aller vers le côté mystique, spirituel, vers la nature, des choses plus simples… Je ne prends pas une direction donnée, je refuse de m’enfermer dans un cadre donné.

Votre livre « Il était une fois. Un chemin vers le réenchantement » qui accompagne votre exposition renvoie au thème de l’enfance. Oui, c’est grâce à ma fille Malak que ce projet a été concrétisé puisqu’elle adore le côté enfant qui prédomine dans certains de mes tableaux. Pendant longtemps, ma peinture se résumait à ce langage avec l’enfant, un thème qui a d’ailleurs inspiré nombre d’écrivains comme Baudelaire ! Il s’agit d’une chute et un envol. Il faut accepter la chute, la vivre bien pour avoir l’envol. Les 2 poèmes d’Icare et l’albatros qui y figurent résument un peu l’esprit de ma peinture.

Diriez-vous que votre peintre est plus mature ou plus folle ? Chaque période a son charme, ça dépend comment on l’a vécu. C’est vrai avec l’âge, on a plus de maturité, mais chaque chose a sa place, tout comme dirait Hermann Hesse dans « Eloge de la vieillesse ».