Visionnaire, Natasha Novak !
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Originaire de Slovénie, N. Novak est réputée pour ses peintures visionnaires. Créant un pont entre le passé et le présent, son style figuratif avant-gardiste se rapproche du courant Pop Surréaliste. Ses créations mêlant subtilement contes de fées, folklore et mythologie slovènes sont d’une sensibilité saisissante et d’un misérabilisme éclatant.

Pourquoi avoir quitté la Slovénie pour le Maroc ? Au début, J’y étais invitée plusieurs fois pour participer à des expositions collectives, à Rabat, à Asilah puis à Essaouira. Et comme je préparais ma première exposition solo à Casablanca, c’était plus pratique pour moi de rester sur place. J’ai par la suite travaillé comme designer puis directrice artistique et donc j’ai décidé de m’installer à Mohammedia. Je me sentie plus libre au Maroc qu’en Slovénie parce que ne comprenant pas bien l’arabe et le français, rien ne semblait réellement me déranger, et puis quand je me suis rendue compte qu’il y a avait tellement de choses à explorer ici, surtout en voyant la situation de l’art visuel, j’ai eu l’envie de créer quelque chose pour et avec ce pays.

Racontez nous un peu votre histoire d’amour avec la peinture ? J’ai toujours eu cette fibre artistique depuis mon plus jeune âge mais commeje vivais dans un village jusqu’à mes 15 ans, je ne savais pas qu’une école d’art pouvait exister ! A 17 ans, j’ai commencé à participer à des expositions collectives puis j’ai suivi des cours dans une Académie d’art, mais cela ne me permettait pas de me développer assez rapidement en tant qu’artiste, c’était théorique et ennuyant…alors je me suis arrêtée un peu pour m’occuper de mon enfant avant de reprendre plus tard. La peinture pour moi, est une façon de vivre et une manière de m’exprimer. Après avoir manipulé les couleurs, j’ai découvert la peinture mais je voulais aller au-delà du 2D, je voulais expérimenter les formes alors j’ai rajouté des techniques sculpturales à mes peintures. Quand j’ai rejoint le groupe artistique « Groupe Terre », j’ai découvert l’argile et les pigments naturels. L’art me consume tellement, c’est devenu ma vrai vie, c’est comme une extension de moi-même, un lien qui me permet de me connecter avec mon « moi supérieur ». Le processus créatif profondément issu de la méditation m’a transformé mentalement, émotionnellement, spirituellement et physiquement parlant.

Vos œuvres créent un pont entre le passé et le futur ? Pendant très longtemps, ça concernait le passé, mais maintenant, c’est comme si je créais mon avenir. Mes peintures sont devenues visionnaires.

Vous avez une série de portraits d’enfants. Vospersonnages sont à la fois bizarres et beaux ; tristes, profonds et choquants ? Jusqu’en 2009, mon style était plus académique, je me suis inspirée d’artistes européens expressionnistes, abstraits et surréalistes. Je voulais me défaire de cet art académique car ce que je peignais n’était pas vraiment moi ! Et c’est en puisant au fond de moi-même que cette idée de portraits d’enfants a surgi. Ces portraits sont très personnels car j’avais enfin le courage de montrer qui j’étais réellement sans me soucier de l’avis des autres. Lorsque j’ai découvert le courant moderne et les portraits d’autres peintres, je me suis rendue compte que j’étais sur la bonne voie. Et c’est cette liberté que j’ai trouvé au Maroc. En Europe, je sentais qu’ils voulaient absolument me catégoriser dans un style donné mais ce classement était loin de ce que je peignais, vu que je m’écartais du style académique. Alors qu’en exposant à Maroc, les gens se sont identifiés à mes peintures, ça les a beaucoup touchés et j’étais ravie.

Il y a beaucoup de souffrance qui s’en dégage ? On a tous été des enfants innocents avant d’être influencé par notre société mais cette innocence et cette pureté restent en nous même quand on grandit. Mes personnages qui ressemblent plus à des avatars de notre « moi supérieur » que n’importe quels autres vrais gens, surgissent du background sombre et obscur de la vie, leur visage illuminé et leur corps sont souvent couverts d’empâtements et de fleurs. C’est comme si je m’immisçais dans l’intimité des gens pour les mettre à nu. C’était comme si je faisais quelque chose d’interdit et de provocateur et en même temps exaltant et extrêmement important. Mes personnages sont des observateurs curieux, ils ont tous cette expression, comme s’ils savaient et voyaient tout ! Vous savez, la douleur et la tragédie font partie la vie mais moi, je voulais donner de l’espoir et c’est ce qui touche les gens !

Les grands yeux dans vos peintures ressemblent étrangement de ceux peints par Margaret D. H. Keane ? Je connais bien « Bigeyes » de M. Keane. Plusieurs peintres impressionnistes et même avant-gardistes (peintures ludiques) ont eu les enfants, comme thème principal de leurs œuvres. C’est une façon de montrer comment l’art peut défier la manière traditionnelle de pensée ou de peindre. J’ai toujours été fascinée par la dualité du célèbre et magnifique clown triste de Pierrot, et quand j’ai commencé mes portraits, j’imagine que tout ceci était emmagasiné dans mon subconscient. Lorsque j’ai commencé à avoir mon style, j’étais plus inspirée par notre folklore et notre mythologie slovènes, surtout par les masques étranges et effrayants du « Kurent », que l’on portait lors d’un festival qu’on organise chaque année pour chasser l’hiver et accueillir le printemps et donc pour annoncer une nouvelle vie, un nouvel espoir. Mes portraits renvoient un peu à l’idée de ce festival.

Votre style se rapproche finalement du « Pop surréalisme » ? Ça se rapproche mais ce n’est pas tout à fait ça. Mon art est toujours en train de se développer, mais je ne pense pas qu’on puisse lui donner une étiquette. D’ailleurs, au Maroc, cet un art assez nouveau !

Vous avez une nouvelle série autour de la nature et des fleurs. C’est plus spirituel que ce qu’on peut penser. Certains verront un bouquet de fleurs, moi, je vois une âme épanouie. Les fleurs représentent une âme et dans ma peinture, elles flottent puisqu’elles ne sont pas dans un vase. Mes nouvelles peintures sont un mélange de fleurs et d’enfants, c’est comme un réveil, qui symbolise le « soi authentique », de qui on est réellement. Au départ, les enfants dans mes portraits étaient curieux, exploreraient le monde et disaient « regarde moi, je suis là, j’existe », maintenant, ils sont devenus des portraits de grands yeux. Dans ces portraits monumentaux, je me suis concentrée sur les yeux, comme une sorte de fenêtre qui donnerait sur les âmes, à travers les yeux, ce n’est plus « regarde qui je suis » mais « rentre en moi pour voir qui je suis, joue et crée avec moi ».

Vous êtes aussi directrice artistique du nouveau concept store de décoration « Asala* » qui vient d’ouvrir ses portes à Mohammedia. Oui j’essaie de combiner mon art et mon savoir-faire avec l’art traditionnel marocain. Cette idée de Hany Edress m’a beaucoup séduite car elle me permettait non seulement de m’exprimer en tant qu’art designer, mais ça permettait aussi d’avoir une approche différente du tapis berbère car l’idée n’était pas seulement de vendre des tapis mais plutôt de raconter aux gens l’histoire de ces femmes qui ont conçu ces tapis qui sont avant tout des œuvres d’art. En fait, on veille à préserver l’art traditionnel brut et c’est ce que j’essaie de reproduire dans mes produits. Je combine l’art marocain authentique avec mon idée du design, je prends par exemple un tapis et je change sa fonctionnalité en chaise ou autre objet fonctionnel et c’est qu’on appelle des « tapis détournés ». J’anime également des ateliers de poterie pour enfants et adultes.

Les peintres marocains que vous aimez ? J’adore l’art naïf brut de Chaïbia. Je l’admire pour son courage, sa liberté et son côté « je menfoutiste ».