Béla Tarr « Un film est la mise à nu d’un cinéaste »

Connu pour sa maîtrise du plan séquence et ses films visionnaires, le cinéaste hongrois, président du jury du FIFM 2016, orfèvre perpétuellement traversé par la question de la condition humaine, dont le cinéma est empreint d’ironie et d’un désespoir incandescent, nous révèle son penchant pour les films vrais et souligne la difficulté pour un réalisateur à saisir les émotions.

En tant que président du jury, sur quoi vous basez-vous pour juger un film ? Je pencherais pour celui qui me touche le plus. Juger des films, c’est une tâche très difficile car nous sommes tous différents. Chaque film, chaque réalisateur a une expérience, une existence complètement différente, nous avons des histoires, des passés différents à offrir. Après, c’est le public qui ressent de l’empathie avec tel ou tel réalisateur à travers l’œuvre qu’il a créé. Un film n’est finalement que la mise à nue d’un cinéaste, il s’agit avant tout de créer ce lien d’empathie, de vérité entre un spectateur et un artiste, donc notre tâche ici, c’est de voir dans quelle œuvre il y a cette authenticité là.

Qu’est ce qui vous a inspiré dans les films que vous avez visionné ici ? C’est difficile à dire, je suis une personne simple. Un film doit surtout me toucher, d’ailleurs, tout ce qui est vrai et humain me touche, je suis sensible aux situations réelles, aux vrais drames humains, ça peut être la joie, le désir, …je veux juste voir la vie à l’écran. En fait, je n’aime pas les choses très sophistiquées, je n’aime pas sentir que ça a été fabriqué, j’aime que ça soit fluide, je dois sentir que ça se fait devant moi et c’est cela la chose la plus dure à réaliser.

Cela fait des années que vous avez arrêté de réaliser des films. Quel effet ça vous fait ? Je me sens comme un Junkie qui n’a plus rien. En fait, faire des films c’est comme une sorte de drogue, ça me manque mais je suis une personne forte. J’ai fait cela pendant 30 ans et je devais arrêter parce que je ne voulais pas me répéter et encore moins copier quelqu’un d’autre. Vous savez, après mon 1er film, j’avais de nouvelles questions et donc, il fallait trouver de nouvelles réponses et petit à petit, j’ai construis mon langage, ce que je filmais reflétait un peu ma façon de voir la vie, puis, j’ai eu ce sentiment que j’avais fait le tour et que le travail était achevé. Cela dit, ça me réjouit de voir encore des jeunes s’émerveiller devant mes films.

En 2012, vous avez créé la Film Factory (cursus doctoral) à Sarajevo. Vous avez toujours affirmé qu’il n’y avait pas de règles au cinéma. Quel genre d’enseignant êtes-vous finalement ? Je ne suis pas un enseignant mais plutôt un libérateur. Au 21e siècle, vous pouvez faire un film avec votre Ipod, il n’y a vraiment pas de règles, mon but ce n’est pas d’éduquer les gens mais de les libérer. C’est une école pour les braves parce que la vie est dure. Je leur montre comment ne plus être provincial, comment ne plus se référer qu’à leur pays ou leur culture, parce que le monde est si grand… les gens viennent de partout, du Japon, de la Corée, de Singapour, d’Inde, d’Argentine, de Colombie, du Mexique, des USA, d’Europe, pour collaborer ensemble, on n’a pas d’enseignants, je ne fais qu’inviter des réalisateurs talentueux pour coordonner les travaux pratiques de nos étudiants. Ce dernier semestre, on a eu Pedro Costa, Carlos Reygadas, Apichatpong, …vous savez, c’est une grande chance pour un jeune réalisateur de travailler avec Carlos Reygadas du Mexique ou Apichatpong de Thaïlande car ils ont des visions et de langages différents mais le sens est le même. En fait, lors de nos ateliers, on parle de l’être humain et du respect de la vie. Malheureusement, l’école va fermer en décembre faute de moyens financiers.

Vous vous êtes toujours battus contre les lois ? Oui, en Hongrie, si vous voulez accomplir quelque chose, il faut se battre pour. C’était dur des fois mais tout est question de passion, ça fait partie du monde. Je suis fier de faire partie des 5 personnes qui figurent sur la liste noire. Ceci étant, je compte retourner à présent en Hongrie parce que c’est chez moi.

Pensez-vous que l’argent est important pour faire des films ? On a besoin d’argent mais heureusement maintenant, faire des films ne coûte pas très cher, on peut tourner avec un Ipod, et faire du bon travail.  Les jeunes ont peu de budget mais beaucoup d’énergie !

Comment dirigiez-vous vos acteurs ? Je dis toujours à mes acteurs : ne jouez, soyez juste vous-mêmes, l’idée c’est de créer une situation humaine normale. D’ailleurs, quand ils sont devant la caméra, vous pouvez saisir de vraies émotions, juste en filmant leurs yeux et c’est ce qui est le plus touchant.

Qu’est ce qui vous rend heureux ? La vie me rend heureux, mais aussi le fait de réussir un bon plan. Réaliser des films, c’est comme si vous étiez hanté, vous devez attendre et attendre que la situation s’y prête pour capturer la vraie vie, et une fois que vous la mettez en boîte et que vous l’emmenez au labo pour la visionner, c’est parfait.

Vos projets ? Le 21 janvier 2017, je vais faire une exhibition dans un musée à Amsterdam. C’est un plan de 11 minutes que j’ai tourné à Sarajevo. Si vous voulez savoir de quoi il s’agit, venez à l’exhibition !