Sanaa Marahati « Le Melhoun, le Chegouri…c’est une bouffée d’air pur »

Appréciée pour sa voix céleste et gracieuse, la diva du Melhoun et du Gharnati connue pour son style mêlant subtilement modernité et tradition partage avec nous son penchant pour le Chegouri.

D’où vous vient cette passion pour la musique judéo-andalouse ? Je suis née à Sefrou, une ville où il y avait une forte communauté juive, tout comme Essaouira, une ville de tolérance où juifs et musulmans cohabitaient en paix. En plus, mon père est un mordu de la musique chaâbi, il écoutait Samy El Maghribi, Haïm Botbol, Lili Boniche, Reinette l’Oranaise, donc pour moi, la musique judéo-andalouse c’était comme une berceuse, je l’ai toujours écouté et c’est naturel que je la chante aujourd’hui.

Vous avez donc baigné depuis toute petite dans ce milieu. Vous avez toujours su que vouliez chanter ? A la maison, c’est toujours moi qui faisais l’animation, surtout lorsqu’on recevait un invité.  Je chantais, je dansais, …et comme je vivais loin de la ville,  en pleine nature, je n’écoutais que de la bonne musique, raffinée. A 11 ans, mon père a vu que j’avais la capacité de chanter mais il voulait que je me concentre sur mes études. Une fois, il m’a entendu chanter Abdelwahab, il m’a dit : «  si tu veux briller dans ce domaine, il faut sortir du lot et défendre ton patrimoine »…alors il a commencé à me faire découvrir des Qsaweds de Malhoun que je n’aimais pas particulièrement. Les paroles étaient difficiles et les textes très longs, une fois il m’a donné une cassette de Mohamed Bouzoubaâ, j’étais complètement subjuguée, je passais la journée entière à écouter Qssidat « Demlij », puis, j’ai décidé de chanter Melhoun à sa façon et ma version a beaucoup plu aux gens. A 13 ans, il m’a fait écouter Samy El Maghribi et là, c’était le coup de foudre !

Vous êtes l’une des rares chanteuses qui maîtrise le répertoire de Samy Al Maghribi  à qui vous avez rendu hommage au dernier festival d’Essaouira : J’ai commencé à chanter Samy lorsqu’on m’a invité il y a quelques années à la 8e édition du festival des Andalousies d’Essaouira. Il a toujours été mon idole, c’est un artiste complet qui a une voix exceptionnelle, il écrit, compose et a sa propre touche. Il a chanté plusieurs thèmes : l’amour maternel, l’amour, les séparations, les retrouvailles… J’aime aussi « Salouni Nass » qui parle de comment il conciliait entre son métier de chanteur et celui de chantre à la synagogue.

Votre papa est un féru du Melhoun et votre grand-père un parolier ? Oui, mon père est un conservateur, il a une bibliothèque de Melhoun qui regroupe des milliers de Qssaweds connues et peu connues et plusieurs manuscrits, c’est un grand fan du Mehoun. Mon grand-père lui, bien qu’il soit analphabète, nous dicte ses Qssayeds et nous, on les éternise sur le papier.

Vous avez commencé avec Melhoun avant de Bifurquer vers le Chegouri. Expliquez-nous un peu de quoi il s’agit ? Le Chegouri est l’appellation qu’on donne aux chansons juives marocaines, comme « Qeftanek Mehloul », …c’est un mélange de Qssayeds en arabe avec un air des chants juifs. Ben Omar Ziani chante Chegouri aussi.

Pour vous, le Melhoun, le Chegouri, ça représente quoi ? Une bouffée d’air pur, j’ai un travail très stressant, dans notre quotidien, on n’écoute pas forcément de la bonne musique, quand j’écoute Melhoun, Gharnati, ou des chansons algériennes comme Abdelkader Chaou, Dahman Herrachi, Naïma Dzairiya, … ça me transporte vers un autre monde, c’est comme une sorte de refuge pour moi. En plus, c’est un univers très poétique plein de sensations.

J’imagine que vous ne vivez pas de votre art ? Oui, c’est très frustrant, je chante depuis que j’ai 13 ans, aujourd’hui, j’en ai 32, ça fait 19 ans de carrière ! Je suis peut être financièrement plus à l’aise mais je ne suis pas épanouie, c’est très difficile de faire le choix. Je travaille dans l’immobilier de luxe, au département commercial et c’est un métier très stressant et ingrat. Ceci étant, au Maroc, la musique traditionnelle ne paie pas bien.

Vous avez souvent fait des duos avec Benjamin Bouzaglo. Pourquoi ? C’est un grand chanteur qui a une voix extraordinaire, c’est un honneur pour moi d’être avec lui sur scène, ce qui me plaît chez lui, c’est qu’il est natif de Paris, il habite en France et pourtant, il parle très bien la darija, il chante des classiques parfaitement bien, il connait des chansons que moi-même j’ignore. Des fois, je lui donne les paroles de certaines Qssayeds, lui, il me transmet son savoir, c’est un échange de procédés. C’est ce que je fais aussi avec Marouane Hajji et Abir Abeid, il n’y a pas la concurrence entre nous et si on voulait juste faire de l’argent, on aurait chanté Cha3abi mais notre priorité c’est de sauvegarder notre patrimoine.

Pendant la dernière édition du festival des Andalousies, vous avez également fait une fusion avec la danseuse de Flamenco Rosario Toledo, c’était difficile ? La préparation s’est faite en 25 minutes et comme la musique est une langue universelle, on s’est vite compris, chacun s’est concentré sur son texte et sur scène, on sentait qu’il y avait une compatibilité. C’était un texte andalou, du coup, j’ai essayé de faire le Mawal en Flamenco pour que ça soit homogène. Et ça par contre, c’était de la pure improvisation.

Vous pensez  composer un jour ? Plus tard, si j’ai le temps. On a déjà les textes, ce qu’il nous faut, c’est de la bonne musique. On ne manque pas de Qssayeds, il faut juste les rendre plus accessibles aux jeunes. Il ne faut pas que ça reste un art élitiste, il faut le vulgariser. Quand j’ai fait la fusion de « Fatma » avec BIGG, ça avait beaucoup plu, certains chanteurs l’ont même repris par la suite, comme Nabila Maân, qui l’a interprété à sa façon.

Comment la femme est-elle perçue dans le Malhoun ? Vous avez fait une licence à ce sujet d’ailleurs…Le Malhoun c’est un ancien genre musical et contrairement à ce qu’on peut penser, le poète du Melhoun a toujours respecté la femme et l’a toujours placé très haut. Il n’a pas parlé de la femme juste comme une belle créature avec ses formes et sa beauté, pour lui, la femme est beaucoup plus sacrée que ça, quand on prend Qssidat « Rayet Malika », on croit que ça parle de Malika mais au milieu du poème, on se rend compte qu’il s’agit de la Mecque, en fait, la femme symbolise un lieu sacré. Le poète de Melhoun a parlé du rôle de la femme dans la société marocaine, dans la promotion de l’islam et ça la plupart des gens l’ignorent.

Les styles musicaux que vous aimez ? J’ai découvert récemment le chant bulgare, j’aime le chant pakistanais, indou, j’adore le Jazz, le Flamenco, le Fado.

Vous avez fait une fusion Melhoun Jazz ? Oui, l’année dernière, j’ai fait une tournée en Hollande où j’ai fait une fusion avec « Ahaddaf Quartet », je vais le refaire au mois de mai ou juin prochains. C’est un style nouveau qui a beaucoup plu.

Les chanteurs avec lesquels vous aimeriez faire un duo? Andrea Bocelli est un chanteur qui me transporte, j’adore sa voix. J’aime beaucoup Belkiss du Yémen, je sais qu’elle peut chanter Chegouri, sa voix se rapproche de celle d’Asmaâ Lemenouar, j’adore la texture de sa voix, elle est très reposante. Et bien sûr Marisa pour le Fado.