Paul Haggis « Une bonne histoire dévoile qui nous sommes »

Oscarisé pour le meilleur film et scénario original pour Crash en 2005, le réalisateur canadien et scénariste de Million Dollar Baby, a partagé son savoir-faire avec les cinéphiles avertis, le temps d’une masterclass lors du dernier festival du film de Marrakech.

En animant une masterclass, quel est le message le plus important pour vous à transmettre ? C’est important pour les gens de comprendre que nous nous battons tous pour les mêmes choses, en tant qu’écrivains, scénaristes ou réalisateurs, on se bat pour raconter une bonne histoire, il faut le faire le plus honnêtement possible. Les gens croient qu’en étant connu, on ne fait plus d’efforts pour raconter une histoire, c’est faux. Des fois, il nous arrive d’échouer mais nous apprenons de nos erreurs.

Qu’est ce que c’est une bonne histoire pour vous, vous êtes sensible au côté émotionnel ? Bien sûr, le film est un média émotionnel, si vous pensez le contraire, vous allez vous planter, donc il faut trouver une histoire qui dévoile qui nous sommes, une histoire qui pose de nouvelles questions ou même des questions anciennes mais d’une manière nouvelle. Le récit doit vous faire penser à quelque chose à laquelle vous n’avez pas forcément pensé avant, doit ébranler vos croyances.

Comment créez-vous vos personnages ?  Pour chaque personnage, je conçois d’abord son histoire individuelle, puis après, j’en rajoute celle d’un autre, ensuite, je les fais rencontrer et je vois si ça fonctionne ou pas.

Qu’attendez-vous de votre présence à Marrakech ? J’adore voir les films du monde entier, rencontrer des réalisateurs, voir différentes perspectives et différentes façons de faire des films. Quand j’étais ado, j’adorais voir les films de la nouvelle vague aux USA, ainsi que ceux des grands réalisateurs italiens et espagnols qui racontaient les histoires de manière différente. Et c’est intéressant de voir comment des réalisateurs marocains, iraniens ou asiatiques voient le monde et comment ils racontent leurs histoires. Les films sud-coréens et japonais sont très touchants.

Vous étiez membre de l’église de Scientologie, comment ça a influencé votre façon de filmer ? C’était une grosse erreur, mais bon, j’ai beaucoup appris sur moi-même. Vous savez, les êtres humains adorent avoir raison et se conforter dans leurs certitudes, le plus important, c’est d’avoir de l’empathie pour les autres, de continuer à se demander si la façon dont on fait les choses est la meilleure des façons. D’ailleurs, on voit cela aujourd’hui en politique et dans la religion.

Nous vivons dans un monde trouble. Comment cela affecte t-il votre travail ?  « In the Valley of Elah » (2007), un des films dont je suis fier a été réalisé quand la guerre en Irak était très populaire aux USA. Vous savez, je fais partie de la société et mon boulot est de poser des questions.

Que préférez-vous le plus : réaliser, écrire ou produire ? J’adore ce que je ne fais pas. Quand je réalise, l’écriture me manque et vice-versa. En fait, j’adore réaliser parce qu’on s’amuse énormément à tourner un film, il y a beaucoup de pression certes mais il s’agit plus de jouer. En fait, tout le monde vous dira que réaliser un film est la chose la plus facile, écrire une histoire est la chose la plus difficile.

Vous avez souvent travaillé avec Clint Eastwood. Que genre de personne est-il ? C’est une personne géniale, un grand artiste et un super ami. Je me sens vraiment béni de le connaître, c’est quelqu’un qui m’a énormément influencé dans ma vie personnelle et professionnelle.

Comment dirigez-vous vos acteurs ? J’adore collaborer de près avec les acteurs, j’apprends tout le temps et je continue à le faire. En fait, j’essaie de les mettre en confiance pour qu’ils puissent me surprendre et c’est cet effet de surprise qu’on recherche au cinéma.  Des fois, je les guide s’ils prennent la mauvaise direction, mais si vous les dirigez à la lettre, vous gâcherez cet effet surprise et vous détruirez de belles choses avant même qu’elles ne se produisent !

Quand vous écrivez, vous pensez aux acteurs ? Non, je pense au rendu visuel, je n’aime pas penser au casting quand j’écris, parce que si vous faites cela, vous allez vous retrouver avec du déjà vu, et l’acteur refusera le rôle parce qu’il l’aurait déjà fait auparavant, donc, je pense plus au personnage et quand c’est fini, je vois à qui il pourrait correspondre et c’est difficile à faire.

Dans vos films, vous avez beaucoup critiqué la politique de Bush, comment voyez-vous les choses aujourd’hui avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir ? Je pense que la politique étrangère des USA a eu pendant très longtemps de mauvaises habitudes, qu’on soit républicains ou démocrates, on a besoin d’un peu plus d’humilité et de curiosité et moins d’arrogance. Ma plus grande crainte c’est qu’il mette fin à l’accord avec l’Iran, c’est une énorme erreur car on ne peut se peut être impliqué dans une autre guerre, Obama a été très sage, mais c’est plus facile de vendre de la peur que du bon sens et de l’empathie !

Lorsque vous avez quitté le Canada pour les USA il y 30 ans, vous vous attendiez à un tel succès ? Du tout, je n’ai jamais eu de formation en réalisation ou en écriture, j’ai travaillé très dur, vous savez, c’est un secteur où il y a beaucoup de concurrence, donc, il faut travailler 10 fois plus pour s’imposer et réussir.

Comment gérez-vous votre succès ? C’est super quand les gens disent de bonnes choses concernant votre travail, c’est terrible quand ils disent le contraire, il faut juste ne pas faire trop attention à cela, car si vous le faites, vous allez commencer à croire ce qu’ils disent, puis vous finirez par croire que vous êtres un génie et c’est ce qui détruit l’artiste.

Quels genres de films vous touchent le plus ? Ceux qui mettent à nu la fragilité de l’esprit humain, comment les gens peuvent être braves dans les moments les plus difficiles.

Vos projets ? Je pense tourner un film au Maroc, mais je ne peux pas en parler pour le moment.