La pub des poètes

Blaise Cendrars, poète contemporain a écrit que «la publicité est la fleur de la vie contemporaine; elle est une affirmation d'optimisme et de gaieté; elle distrait l'œil et l'esprit…Oui, vraiment, la publicité est la plus belle expression de notre époque, la plus grande nouveauté du jour, un Art.»

Pour Paul Valéry, « la publicité insulte nos regards, falsifie les épithètes, gâte les paysages, corrompt toute qualité et toute critique ». Des propos certes excessifs, bien qu’ils contiennent une part de vérité, et que partage un large public dans notre monde moderne soucieux de son économie.

La publicité est un vaste sujet, une question inépuisable dont il est difficile de faire le tour. Blaise Cendrars en 1927, en fait l’apologie, il s’oppose ainsi à ses détracteurs très virulents. Il va adopter une position de défenseur ardent de la publicité pour ses qualités artistiques. Nous savons tous que la publicité correspond à une économie en marche, qu’elle tente de servir, ce qui va de pair bien sûr avec l’essor du commerce et la production de masse. Pour Cendras, le concept de publicité est annoncé par l’intermédiaire d’une métaphore. Il a même associé publicité et poésie autour de qualificatifs communs comme « esthétique », « variée », « surprenante », « inventive »,

« poétique », « artistique »…

Car il s’agit d’un Art, en effet, qui fait appel à l’internationalisme, au polyglottisme, à la psychologie des foules et qui bouleverse toutes les techniques statiques ou dynamiques connues, en faisant une utilisation intensive, sans cesse renouvelée et efficace, de matières nouvelles et de procédés inédits.

Ce qui caractérise l’ensemble de la publicité mondiale c’est son lyrisme quand elle touche à la poésie. Le lyrisme est une façon d’être et de sentir le langage, un reflet de la conscience humaine. La poésie fait connaître (tout comme la publicité un produit) l’image de l’esprit qui la conçoit.

Aujourd’hui la publicité est partout et concevoir un monde sans elle serait paradoxal, car cela ne reflèterait pas l’état d’esprit d’une société soucieuse de son économie. Un monde sans publicité est parfaitement inconcevable.

C’est l’une des manifestations les plus chaleureuses de la vitalité des hommes d’aujourd’hui, de leur puissance, de leur puérilité, de leur don d’invention d’imagination, et de créativité. Une belle réussite de leur volonté de moderniser le monde dans tous ses aspects.

Essayons d’imaginer la tristesse que représenteraient les rues, les places, les gares, les palaces, les foires, les cinémas, les voyages, les routes, sans les innombrables affiches brillantes et multicolores qui brisent les ténèbres de leur clarté. Ne seraient-ils pas lugubres sans ces manteaux hauts en couleur ? Par ailleurs, nombre de publicités font appel à des références artistiques, aux qualités esthétiques unanimement reconnues.

Il est indéniable que la publicité peut s’avérer très positive car elle a en premier lieu une fonction décorative simple et évidente en plus de la volonté de produire un effet par le recours intensif aux connotations. Les deux domaines se distinguent surtout par la nature de l'effet produit. Mais la publicité a pour but unique de provoquer un acte d'achat. Elle est tout entière orientée vers cet objectif.

Ainsi, écrivains et publicitaires, tous professionnels du langage et de l’image, jouent à séduire, tentent de convaincre ou divertir et alimenter une culture commune sur fond de complicité amusée, de fascination réciproque, de conflits ouverts ou d’une indifférence mutuelle.

Dans l’histoire des lettres, de grands noms d’écrivains ont été associés à la publicité comme premier métier ou activité marginale mais lucrative: Balzac et la pâte pectorale Regnauld, Zola chef de publicité chez Hachette, Victor Hugo associant sa signature à l’Encre Triple Noire, Edmond Rostand, Anatole France au vin Mariani, Colette et Paul Valéry à « l’eau de Perrier », Desnos, « sloganisant » pour Amer Picon, le vermifuge Lune, la lotion Marie-Rose, Cocteau pour les bas Kayser, Anouilh, rédacteur à l’agence Damour, Frédéric Beigbeder concepteur rédacteur chez CLM/BBDO et Young & Rubicam.

Mais pourquoi l’inconscient collectif s’efforce-t-il de séparer aussi distinctement le monde littéraire de la sphère économique, et par là même de la publicité ? Mysticisme ? Ou peut-être par peur de sacrifier une discipline noble au profit de basses considérations financières ?

La littérature est faite de mots. Les mots véhiculent des idées. Ils sont force de persuasion. Pourquoi circonscrire leur champ d’action à la seule et unique discipline littéraire ? La littérature et la publicité ne peuvent-elles pas trouver un terrain d’entente ? Toutes les bonnes accroches publicitaires puisent leur force dans la rhétorique et plus généralement dans la richesse de la langue.

Pour être clair, la publicité n’est pas de la littérature, mais elle en emprunte les procédés. Voici un exemple qui démontre que la littérature peut se mettre au service d’annonces intelligentes et agréables à lire (brochure publicitaire pour les Bahamas) :

« On le croirait inventé pour le rêve… Exclusivement pour le rêve, ce collier de perles lancé à la volée sur l’étendue de l’eau turquoise. Un univers au nom magique et luxueux, qui scintille dans la brise, comme des guirlandes du Nouvel An. Justement, la fête du corps et le repos de l’esprit commencent là : avec les premiers pas sur le sable blanc, aux Bahamas. Bahamas : l’archipel aux 700 îles ; il y en a forcément une pour vous ».

On pourra toujours dire que cette publicité n’est en rien assimilable à de la littérature pour la simple et bonne raison qu’elle a été créée de toute pièce pour assurer la promotion d’un service. Contrairement aux vers d’un poète, ce texte est sponsorisé. Est-ce une raison pour dire qu’il n’a aucune valeur ?

Blaise Cendras a décrit avec innocence et enthousiasme l'émergence d'une société cosmopolite, célébrant la poésie cachée du monde industriel, pour adhérer, comme son ami le peintre Fernand Léger, à l'esthétique de la machine et à celle du morcellement de la civilisation.

Sa réponse à une question sur la publicité en 1957 fût : Publicité = poésie.

Y a-t-il un poète dans l’entreprise ? translate website from russian to english