Assassinat de Choukri Belaïd : Le hold-up tunisien

L’assassinat de l’avocat tunisien Choukri Belaïd, militant de gauche, ne fait qu’effleurer le premier palier du paroxysme que pourrait atteindre la crise politique en Tunisie. Il est difficile de faire imputer au stade actuel des choses l’abominable attentat à une partie sans l’autre. Les islamistes sont au banc des accusés. Choukri Belaïd s’étant fait une spécialité de les descendre en flamme, on peut imaginer facilement les islamistes ou une frange de ces islamistes agir pour faire taire la voix dérangeante du chef de file du Parti des Patriotes Démocrates. De quatre balles deux coups : réduire au silence l’impénitent avocat et intimider une bonne partie de ceux qui empruntent sa voie d’opposition frontale à Annahda et consorts.

L’autre scénario est plausible. Des groupes d’intérêts mettant à profit la suspicion qui plane de fait sur les islamistes, passent à l’action pour ajouter au désarroi que connaît la Tunisie. Le mode opératoire, mafieux, utilisé dans l’assassinat de l’avocat, laisse dubitatif. Sauf que dans la confusion générale que vit le monde arabe et l’enchevêtrement qui caractérise la mouvance islamiste, on ne peut plus parler de modus operandi propre à un groupe sans un autre.

L’identification et l’arrestation des assassins pourraient aider à voir plus clair dans cet imbroglio. Sauf qu’arrêter les exécuteurs est une chose, arriver aux commanditaires en est une autre. Il se pourrait même qu’on ne connaitra jamais le fin mot de cette triste histoire.

Rached Ghannouchi, leader historique d’Annahda, est peut-être sincère quand il crie au complot. Il devrait cependant admettre que si le faisceau de présomptions s’est immédiatement projeté sur les mouvements islamistes, c’est parce que la violence est consubstantielle à leur discours et à leurs comportements. Les attaques des salafistes contre les personnes

« immorales » et les biens « sacrilèges » comme les mausolées, qu’a connues la Tunisie et que couvre de son indulgence Annahda, ne plaident pas en leur faveur. La rencontre du même Ghannouchi avec des jeunes salafistes ainsi que les propos qu’il leur avait tenus constituent dans ce contexte des circonstances aggravantes.

En dehors de la Tunisie, l’Egypte est un modèle de violence qui n’est pas fait pour rassurer. Le déchainement des prêches réclamant ouvertement l’exécution des opposants qui osent s’élever contre le pouvoir « légitime » en place, dépasse l’entendement. Plus inquiétant, l’ahurissant argument qui s’appuie sur « la légitimité des urnes » pour rendre passible de la peine de mort tout manifestant contre le président Morsi.

Le Maroc n’est pas en reste. Le crime de sang pour liquider un « impie » est déjà là en 1975 lorsque des islamistes n’ont pas hésité à poignarder le socialiste Omar Benjelloun. Dans les universités de Fès et d’Oujda, deux étudiants sont tués par des islamistes au début des années quatre-vingt-dix. Avec la fin de la même décennie, des assassinats qui ne seront élucidés que plus tard, sont commis à Casablanca par les groupes de Youssef Fikri, Mohamed Dmir et autres Salah Zarif. La violence islamiste culmine avec les attentats du 16 mai 2003. La suite est connue.

En Tunisie, « la révolution du jasmin » et l’arrivée d’Annahda au pouvoir devaient en théorie apaiser les esprits. La situation sur le terrain indique le contraire. Les islamistes qui ont cueillis les fruits du « printemps arabe » sont toujours dans une logique de conquête du pouvoir qu’ils veulent absolu. Ils préparent un deuxième hold-up après avoir commis un premier détournement. C’est le péché originel à la source de la crise tunisienne actuelle. En se rendant aux urnes en octobre 2011, les Tunisiens croyaient élire une constituante. Ils se sont retrouvés avec une assemblée qui se transforme en parlement. Il élit son propre président, désigne un nouveau chef d’Etat et nomme un premier ministre. En une année et demie la constituante a tout fait sauf la mission pour laquelle elle a été élue.

Paru dans le numéro 204 de L’Observateur du Maroc керамическое покрытие сковородок