« Le Maroc est à l’avant-garde de la lutte antidrogue »

Minutieux et fort d’une grande expertise, le chercheur maroco-canadien revient dans son livre « Drogues. La réalité marocaine » sur la problématique, ses tenants et ses aboutissants en termes sanitaires, économiques, juridiques et sociaux. Professeur de pharmacologie et toxicologie à l’Université de Montréal, Ben Amar compte 22 livres à son actif.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique. Qu’est-ce qui a motivé l’écriture d’un tel livre ? Mohamed Ben Amar. « Drogues. La réalité marocaine » est mon 22ème livre et le premier édité au Maroc. En plus du VIH et du cancer, l’un de mes trois domaines de spécialisation est la neuropharmacologie. De ce fait, je travaille sur les drogues depuis 25 ans. Mon début dans ce domaine a été fortuit. Un jour un collègue, qui enseignait avec moi à l’Université de Montréal, m’a demandé de le remplacer pour une expertise scientifique au tribunal, sur un dossier de conduite en état d’ébriété. Depuis ce témoignage, beaucoup d’avocats canadiens se sont rués sur moi pour m’engager en tant qu’expert. Au fil des expertises, je me sentais dans le besoin de produire un document susceptible d’informer la population sur les faits et les méfaits des drogues. Une idée qui aboutira en 1992 avec la sortie d’un premier livre, en collaboration avec deux avocats, intitulé « L’alcool, aspect scientifique et juridique ». Un premier travail qui m’a amené par la suite à approfondir mes recherches sur les psychotropes toutes catégories confondues (tabac, café, boissons énergétiques, drogues dures, cannabis...). Comment vous avez pu élaborer cet ouvrage axé sur la réalité marocaine alors que vous évoluez au Canada ? Ce livre vient en effet comme une suite à un livre précédent que j’ai déjà publié au Canada intitulé « Drogues, savoir plus, risquer moins » en 2001. S’adressant aux jeunes et aux moins jeunes, ce livre a eu beaucoup de succès avec plus de 700.000 copies vendues rien qu’au Canada. Le secret de ce succès, est en effet la vulgarisation scientifique sur laquelle j’ai basé ma mission d’information, de sensibilisation et surtout de prévention. Et c’est justement la motivation première de mon dernier livre qui a nécessité deux ans de travail. J’ai voulu effectivement fournir à mes concitoyens un outil informatif sur les méfaits de 16 substances. Dans cette optique, j’ai dû effectuer 5 voyages au Maroc en consacrant mes congés au recueil de témoignages d’experts marocains de toxicologie, à la collecte d’un nombre énorme de données et de statistiques issues de différents rapports et publications et un travail de terrain auprès des institutions de lutte antidrogues nationales. Très minutieux, j’ai d’ailleurs composé un comité scientifique de 5 experts qui s’est chargé de la révision de mon livre et de la vérification de sa concordance avec la réalité marocaine. D’après vos recherches, quelles sont les drogues les plus consommées par les Marocains ?

En tête des trois substances les plus consommées au Maroc, vient le tabac qui est le détenteur du plus grand taux de dépendance avec 31,9 %. Rarement considéré comme une drogue, il n’en est pas moins nocif. Quatre millions de Marocains en consomment et 75% des cancers du poumon au Maroc sont causés par la cigarette. Pire encore, 40% des Marocains sont exposés à la fumée secondaire. Rappelons que la cigarette contient plus de 7000 substances dont la majorité est très nocive pour la santé et dont une centaine de produits est connue pour être cancérigène. Un fumeur a une chance sure deux de mourir par une maladie causée par la cigarette. A mon avis, le problème numéro Un au Maroc est le tabac de par la gravité de ses méfaits, mais aussi à cause du nombre de consommateurs. Le deuxième au classement n’est autre que le cannabis. D’après les statistiques « officielles », ils seront 800.000 Marocains à en consommer. Des chiffres qui restent vraisemblablement loin de la réalité. Le cannabis est un psychotrope assez particulier qui est nocif certes, mais qui serait selon des études scientifiques source de bienfaits pour certaines maladies. J’ai eu le privilège d’être convoqué à double reprises au sénat du Canada en tant qu’expert pour témoigner dans le cadre de la légalisation du cannabis, qui est considérée actuellement comme acte criminel. Et ceci non seulement pour l’usage médical, mais aussi récréatif. Ceci dit, il faut savoir que le cannabis n’est pas inoffensif. Consommé avant 25 ans, il cause de graves atteintes au cerveau humain, il favorise l’apparition de troubles schizophrènes chez les sujets prédisposés génétiquement.

Consommé par les schizophrènes, il aggrave leur état considérablement. Mon message à ce propos s’adresse essentiellement aux jeunes : Une information juste et brute pour une prise de conscience et de décision libre et raisonnable.

En troisième place, vient l’alcool avec 500.000 Marocains (au minimum) qui en sont dépendants.  Causant des dommages irréversibles au cerveau, l’alcool expose les alcooliques au syndrome de Korsakoff en développant de la démence. Ceci sans parler de la cirrhose du foie et tous les autres cancers. Avez-vous pu quantifier le coût économique, sanitaire et social de l’addiction aux drogues au Maroc ? C’est là un point très important, mais malheureusement nous n’avons pas de chiffres précis au Maroc. En l’absence d’études, on ne peut avancer aucun chiffre mais on peut deviner que le coût est énorme ; à cause notamment de l’absentéisme, la démotivation et la léthargie causées par les drogues, des maladies graves et chroniques réduisant, voire stoppant la productivité des dépendants. Ceci sans parler de la facture énorme des soins sanitaires dans un système qui est déjà en souffrance faute de moyens… Une situation qui affecte profondément la vie sociale des drogués, mais aussi de leurs proches. C’est triste comment l’addiction peut briser des foyers et séparer des familles en causant la perte des liens et de la cohésion sociale. Comment évaluez-vous la lutte antidrogue au Maroc ?

Personnellement, je trouve que le Maroc est à l’avant-garde du problème de la toxicomanie par rapport à un bon nombre de pays arabes et musulmans. Heureusement, au Maroc, nous ne stigmatisons pas et les pouvoirs publics considèrent la chose comme un problème de santé publique qu’il faut absolument traiter. Ceci en y mettant tous les moyens possibles. La méthadone est déjà utilisée à grande échelle par des experts hautement formés. Le taux d’efficacité est entre 15 et 25% et c’est déjà un bon chiffre vu qu’il n’y pas de remède miracle.