Des révolutions en transition

Par Ahmed Charaï

Il y a deux ans, les révolutions de ce que l’on a appelé le printemps arabe soulevaient l’enthousiasme général. Les masses se soulevaient, pacifiquement qui plus est, pour balayer les dictatures. Aujourd’hui, on constate un désenchantement, tout aussi excessif que l’enthousiasme du début.

Les élections libres et transparentes ont porté au pouvoir les islamistes. En Egypte et en Tunisie, ces derniers sont accusés par leurs opposants de volonté hégémonique. Il est vrai que l’adhésion des islamistes aux valeurs de la démocratie est trop récente et donc suspecte aux yeux d’une partie de la population.

Mais réduire les convulsions actuelles à ce constat constituerait une erreur, en particulier pour les puissances occidentales. La démocratie ne se résume pas à une opération rotative, aussi transparente soit-elle. L’héritage de décennies de dictature est très lourd à tous les niveaux.

L’idée démocratique elle-même a été bafouée par le biais d’institutions peu crédibles, biaisée par les pouvoirs. Les oppositions, dites laïques, ont été, elles aussi pourchassées. Les islamistes grâce aux mosquées et à l’entraide sociale étaient les mieux préparés. Cela ne signifie pas que les sociétés, où la présence de la religion est une réalité, sont aussi acquises à leur projet politique.

D’où les convulsions actuelles qui divisent en Tunisie les islamistes eux-mêmes. Cette transition vers une démocratie mature, bâtie autour de notions de citoyenneté, de consensus autour de la nature de l’Etat et de son fonctionnement nécessite du temps et sans doute un accompagnement, mais inflexible.

Il ne faut pas oublier que l’une des causes des révolutions était l’accompagnement des richesses par une oligarchie liée aux dictatures. L’Etat, l’administration, les règles économiques étaient dévoyés, mis au service des dictateurs et non pas de la société. Reconstruire tout ce puzzle, dans un contexte de raidissement politique et alors que les nouveaux responsables n’ont pas nécessairement l’expérience de la chose publique, ne peut se faire en quelques mois.

Pour couronner le tout, les dictatures avaient aussi miné les économies. Ce sont les jeunes qui ont été les plus déterminés dans les deux révolutions. Or depuis, du fait même de la transition démocratique, la situation s’est dégradée en particulier, mais pas seulement, parce que les recettes touristiques ont fortement chuté et que le tourisme est un pilier important pour les économies concernées.

Comme on peut le voir, les situations sont d’une grande complexité que les jugements hâtifs ne permettent pas d’appréhender correctement.

L’expérience marocaine, bien que totalement différente dans sa nature, puisque le changement a eu lieu dans la continuité, vit, elle aussi, une période de transition. L’équilibre des pouvoirs entre les différentes institutions se réalise par la praxis, suscitant beaucoup de débats. Mais la stabilité des institutions est telle que la transition est plus douce et que la crise économique n’est pas aussi violente.

Développer un scepticisme autour du printemps arabe revient à nier ces transitions, les potentialités de changement qui s’en dégagent et finalement retarder les sorties de crise. Ces pays ont besoin d’un soutien économique d’urgence, d’une aide en termes de savoir-faire sur le plan de la gouvernance, de l’organisation administrative et d’une approche plus pragmatique des évolutions démocratiques. Il est de l’intérêt de tous que la région retrouve la stabilité, en répondant aux aspirations des populations, chaque pays aura son rythme pour y arriver.

Paru dans L’Observateur du Maroc n°205 внутренняя seo оптимизация