Les industriels marocains au bout du rouleau

Par Mounia Kabiri Kettani

Le gouvernement marocain vient de faire le point sur sa politique industrielle lors de la troisième édition des assises Nationales de l’Industrie. A l’heure où le ministre de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, Abdelkader Amara parle des prémices du «Maroc Industriel», les constats de certains opérateurs économiques sont sans appel. Divers obstacles handicapent encore le développement de certaines filières. Sollicités par L’Observateur du Maroc, des professionnels dressent un état des lieux et proposent des mesures concrètes pour relancer l’industrie nationale.

«Il faut redonner goût aux investisseurs pour investir dans le secteur industriel. Nombreux sont ceux qui ont, pendant de longues années, investi et qui ont fini par jeter l’éponge sans parler des détenteurs de capitaux qui préfèrent aller investir dans d’autres activités plus rentables plutôt que l’industrie», estime Abdelhamid Souiri, le président de la Fédération des Industries Métallurgiques, Mécaniques et Électromécaniques (FIMME). Un ex industriel qui a fini par baisser le rideau est catégorique : «aujourd’hui, les conditions ne sont pas favorables à l’essor d’une activité industrielle au Maroc», affirme-t-il. Point positif, le pays continue d’attirer massivement les investissements directs étrangers qui jouent un rôle moteur dans l’économie. Cette progression s’est notamment confirmée dans les quelques secteurs prioritaires du plan Émergence labellisés MMM autrement dit "Métiers Mondiaux du Maroc", c’est-à-dire, l’aéronautique, l’automobile, l’offshoring informatique qui devraient représenter 70% de la croissance industrielle au Maroc à partir de 2015. Néanmoins, en 2012, des secteurs comme le textile/cuir et l’électronique, pourtant eux aussi labellisés "MMM", ont vu leur activité et leurs effectifs reculer de 3 à 4% en 2012 sous l’effet de la crise européenne, de la compétition asiatique et d’une croissance divisée par deux en 2012 à environ 2,7% (4,8% sont attendus en 2013). Globalement l’industrie du royaume a perdu 38.000 emplois en 2012 et a vu sa part dans le PIB reculer.

Lorsqu’on voit le nombre d’entreprises qui ont mis la clé sous la porte, celles qui pâtissent des difficultés financières et ont du mal à maintenir leur compétitivité, on a le droit de se poser des questions. Nul ne peut ignorer l’électrochoc qu’a subi la filière du textile suite à l’affaire Legler ou encore celle de la sidérurgie suite aux difficultés de Maghreb Steel qui, aujourd’hui dans l’impasse, ne voit pas d’autres issues sans une intervention des pouvoirs publics. Certes, des efforts ont été consentis pour booster le secteur. Or, ceci semble insuffisant pour remettre l’industrie sur les bons rails. L’accès au foncier industriel, l’adéquation de l’offre de formation aux besoins de main d’œuvre des industriels, l’accès au financement, cherté des facteurs de production (énergie, transport, matières premières)…les facteurs de blocage ne manquent pas. «Des efforts ont été consentis certes pour attirer les industriels étrangers, mais c’est loin d’être la solution à l’industrialisation de l’économie marocaine», commente un professionnel du secteur.

Des freins contraignants

La rareté et la cherté du foncier vient en tête de liste des facteurs contraignants pour le développement des projets industriels. D’après Abdelhamid Souiri, les prix du foncier dans les zones industrielles sont exorbitants. «Il faut compter quelque 200 à 300.000 dirhams pour un local. Les prix varient entre 1500 et 2000 dirhams le mètre carré», déplore-t-il. «C’est décourageant pour un investisseur. Dans d’autres pays, on offre carrément le terrain», ajoute t-il avec regret. Ce sont près de 16 plateformes industrielles qui ont été lancées dans les villes de Kenitra, Tanger, Fès…mais elles n’arrivent toujours pas à attirer du monde.

Loin du foncier, les professionnels ne cachent pas leur inquiétude quant à l’accessibilité des intrants à la fois en matière de quantité, de qualité et de prix. Un industriel est ferme «La relance du secteur passe d’abord par l’accès aux matières premières». Dans les industries céramiques par exemple, l’un des rares secteurs où l’on utilise les hydrocarbures à la fois comme énergie et comme matière première, le coût de l’énergie est d’après Fouad Benzakour, président de l'Association professionnelle des industries céramiques, un réel frein à la compétitivité des entreprises et une entrave à l’investissement. «Au Maroc, le gaz GPL, par exemple, coûte 4 fois plus cher qu’en Europe, 10 fois plus qu’en Tunisie voire 40 fois plus qu’en Egypte», nous confie t-il, en recommandant l’activation de la mise en place d’un terminal gazier qui résoudra en partie les problèmes des opérateurs de la filiale.

Le financement

De l’avis de tous les professionnels sollicités par L’Observateur du Maroc, l’accès au financement constitue la principale «bête» noire. «Les banques refusent de nous accompagner. On ne peut faire cavalier seul. Ceci nous bloque et on se retrouve face à des difficultés financières qu’on ne peut surpasser tous seuls. Elles doivent nous faire confiance», déplore un textilien. Abdelhamid Souiri estime que les banques ne sont pas très friandes des projets industriels. Des programmes d’assistance technique et des fonds de garantie ont été mis en place pour accompagner le secteur, surtout les PME, encore faut-il alléger les conditions d’accès jugées draconiennes et assouplir les procédures. «Le succès de la stratégie fondée sur la mise à niveau nécessitait d’une part, la préparation stratégique des entreprises, et d’autre part, celle des pouvoirs publics pour que la concertation et la coordination des actions puissent aboutir», peut on lire sur un document portant sur les 50 ans de la politique industrielle au Maroc.

Contraintes spécifiques

Dans le secteur meunier, c’est toute une autre histoire. «Nous sommes un secteur industriel mais qui relève du ministère de l’agriculture. Ceci est notre principale contrainte. Ceci dit, le retard enregistré dans la mise en œuvre du Plan Maroc Vert, du fait des contraintes persistantes liées notamment à l’absence de visibilité, nous pénalise, sans parler de l’encadrement des prix des farines subventionnées et libres», assure t-on auprès de la Fédération nationale de la minoterie où on évoque aussi la surcapacité du secteur, génératrice d’un faible taux d’utilisation de la capacité installée.

Autres facteurs de blocage

Parallèlement, le manque de qualification de la main d’œuvre est un autre problème auquel les industriels font face comme le souligne Fouad Benzakour. «Qui dit productivité, dit main d’œuvre qualifiée. Nous nous retrouvons contraints d’investir dans la formation ce qui alourdit encore plus l’investissement initial», déplore un investisseur étranger installé au Maroc.

Un autre bémol s’ajoute, celui de la fiscalité. «Nous sommes confrontés à des taxes lourdes qui nous pénalisent. Nous ne demandons pas la défiscalisation totale, mais plutôt un allégement qui va encourager les investisseurs», réclame Rachid Berrioui, patron d’une PME de matériel de construction. Par ailleurs, la loi actuelle sur les délais de paiement, dont l’ambition est de résoudre le grave problème des retards de paiement, ne répond malheureusement pas aux besoins réels des entreprises, soutient Mehdi El Idrissi, président de la commission industrielle à la CGEM. D’ailleurs, l’un des patrons d’une grande entreprise de peinture estime que cette loi est pénalisante pour l’activité. «Je risque de perdre la moitié de mes clients si j’applique cette loi. Je travaille principalement avec des drogueries et celles-ci ne sont pas capitalisées. Donc, une telle loi encouragerait encore plus l’informel et des pratiques frauduleuses tels que le ‘noir’», assure t-il. «L’idéal serait de recourir à une mise en application progressive, comme c’est le cas en France, voire même des dérogations par filière», propose l’homme d’affaires.

Accords de libre échange

Sur un autre volet, aujourd’hui et plus que jamais, les entreprises nationales font face à des pratiques de dumping exercées par des entreprises étrangères. «Il faut accélérer les mesures de sauvegarde», préconise t-on auprès de la FEDIC. Même son de cloche chez l’AMITH et la fédération de la sidérurgie qui suggèrent la mise en place des mesures urgentes pour favoriser la production et la consommation nationales. Autrement-dit, appliquer la préférence nationale. Aux yeux des observateurs, les accords de libre échange ne profitent que dans un seul sens, aux partenaires au Maroc. «Nous sommes confrontés à payer des droits de douane très élevés en matière d’export. Le produit marocain exporté vers l’union européenne et les USA, n’est plus compétitif en termes de prix et de qualité. Le Maroc a choisi de signer avec des pays qui nous dépassent en matière d’avantages compétitifs et d’avancées technologiques», affirme le professionnel de textile. Solution ? «Il faut aller vers la conquête de nouveaux marchés et diversifier les débouchés comme le cas de l’Afrique du Sud», préconise Benzakour.

Abdelkader Amara a plaidé lors des assises de l’industrie pour donner du temps au temps. «Les bases de l’industrie marocaine sont jetées. Il faudra du temps pour arriver à maturité. Les pays de grande tradition industrielle ont commencé leur développement il y a plusieurs siècles». De façon plus concrète, le ministre de l’Industrie a annoncé que le secteur de la chimie/parachimie serait ajouté à la liste des Métiers Mondiaux du Maroc tout comme les industrie mécaniques ou la pharmacie. Au total ce serait une quinzaine d’activités qui seront concernés. Toutefois, le principal enjeu pour l’industrie du Maroc reste l’innovation.

Paru dans L’Observateur du Maroc n°206 туры в тайланд все включено цены