Entretien avec Pr Driss Moussaoui : «Nous manquons de tout»
Pr Driss Moussaoui, directeur du Centre psychiatrique universitaire Ibn Rochd.

L’Observateur du Maroc. Comment voyez-vous l'état actuel de la santé mentale au Maroc ?

Pr Driss Moussaoui. Je crois qu'il y a une amélioration importante concernant la prise de conscience des problèmes de la santé mentale et c'est déjà un point très positif. Durant ces dernières années, il y a eu deux événements marquants : l'enquête nationale sur la fréquence nationale des troubles mentaux qui a été faite en 2007 et qui a réveillé beaucoup de gens. Il y a eu également le rapport du CNDH qui a permis également de dévoiler une situation devenue inacceptable au niveau des institutions hospitalières. Que ça soit au niveau quantitatif ou qualitatif, nous manquons de tout. Nous avons un manque de lits en psychiatrie et un manque considérable de médecins et d'infirmiers. Certes les médicaments nous en avons un peu plus, mais nous avons toujours un problème de gestion et d'approvisionnement. Il faut aussi rappeler qu'il y a 14 provinces au Maroc qui ne disposent ni d'unités psychiatriques ni même de psychiatres. C'est dire l'importance des chantiers à venir. Mais quand on voit le ministre de la Santé déclarer au parlement que son département a deux priorités, en l’occurrence les urgences et la santé mentale, cela rassure. Quand on sait qu'il va y avoir, le 27 février, un forum national sur la santé mentale présidé par le ministre Houssaine Louardi avec la participation active de huit ministères qui s'engagent chacun d'élaborer un programme spécifique concernant la santé mentale, cela rassure. Tout autant que cette promesse du département de la Santé d'affecter 30 résidents annuellement à former en psychiatrie. On estime donc qu'il y a du positif dans l'air, même si nous pensons que ce n'est pas toujours suffisant. Il faut dire qu'il y a là un engagement ferme au niveau national et une certaine amélioration au niveau de la perception générale de la maladie et de l'implication des décideurs. Il nous reste toutefois un chemin considérable à parcourir.

Pourquoi le secteur de la santé mentale souffre-t-il d'autant d'insuffisances et d'handicaps dans notre pays ?

Ceci est valable dans tous les pays du monde. Il y a une sorte de stigmatisation, de discrimination, de mise à l'écart de la santé mentale et de la psychiatrie partout dans le monde. A titre d'exemple, l'OMS affirme que durant les trente dernières années, il y a eu plus de morts par suicide que par le SIDA. Pourtant, tout le monde parle du SIDA, mais personne ne parle de suicide. Or, nous savons que 80% des suicides résultent de problèmes psychiques. Plus encore, l'OMS relève qu'il y a plus de morts par suicide que de morts par accidents de la voie publique, par homicides ou par blessure de guerre. Au Maroc, nous voyons tous les jours des décès par suicide et nous avons l'impression que les gens sont aveugles face à l'ampleur du problème. La société continue à penser que la maladie mentale est une faiblesse de la personnalité et qu'il suffit de se secouer et d'avoir plus de volonté pour s'en sortir, ce qui est une erreur. Le trouble mental, quelque soit sa nature, est une maladie du cerveau. C'est une maladie comme les autres qui nécessite un traitement et un suivi médical. Toujours d'après l'OMS, la dépression vient en tête des maladies les plus lourdes à prendre en charge, toutes spécialités confondues. D'où la difficulté de s'approvisionner en moyens matériels et humains pour répondre à une demande qui est énorme.

Malgré la gravité de la situation, les décideurs s’intéressent peu à ce secteur, pourquoi donc ?

Au mois de mai prochain, l'OMS va demander à tous les pays d'octroyer à la santé mentale au minimum 5% de leur budget réservé à la santé. Au Maroc, nous en sommes à peu près à 4%. Ce qui n'est pas négligeable et si insuffisant en comparaison avec les pays développés qui consacrent de 10 à 12% de leur budget à ce secteur.

Que faire pour changer la vapeur et que peut-on attendre du forum du 27 février sur la santé mentale ?

Je crois qu'il y a d'importants efforts à déployer au niveau de la sensibilisation de tous les décideurs. D'où l'importance du rôle des médias. L'idée d'organiser ce forum en dit long sur le fort engagement du ministre de la Santé et de son département dans la mise à niveau du secteur. Ce forum est également un catalyseur de changements, à commencer par le statut de la santé mentale au niveau du ministère qui deviendra une direction ou une division à part entière doté de beaucoup plus de moyens matériels et humains. Pour les malades, si nous avons plus de personnel soignant, plus de lits, plus de médicaments, cette amélioration de moyens va se répercuter forcément sur leur situation. Aujourd'hui, nous renvoyons tous les jours des malades qui doivent être hospitalisés et qui peuvent représenter une menace pour leur sécurité et celle de leur famille. C'était le cas dans trois meurtres relatés par la presse. C'est malheureux, mais c'est la réalité.

Paru dans L’Observateur du Maroc n°206 туры в тайланд в феврале