Jean-Louis Guigou : « Le Maroc a l’avantage d’avoir un Souverain qui voit loin »
Jean-Louis Guigou, pru00e9sident-fondateur de l'Institut de prospective u00e9conomique du monde mu00e9diterranu00e9en (lpemed).

Pour avoir une analyse pertinente sur les relations franco-marocaines, L’Observateur du Maroc et d’Afrique a joint au téléphone, au cours de la matinée du jeudi 15 juin 2017, Jean-Louis Guigou, en sa qualité de président-fondateur de l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (lpemed). Au même moment, Emmanuel Macron, rentrait à Paris après sa première visite au Maroc en tant que président. Voici les réponses prospectives de Jean-Louis Guigou.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Le Président Macron a choisi le Maroc pour sa première visite, en dehors de l’Europe, quel message retenir de ce choix ?

Jean-Louis Guigou : Ce qui est sûr c’est que cette visite est le signe d’une volonté très claire de construire, avec Sa Majesté, un nouvel axe qui tient beaucoup à Macron : France-Europe-Méditerranée-Afrique. Durant sa campagne, il a beaucoup parlé de cet axe qu’il appelle : La route de la liberté. C’est son grand projet.  On passe de France-Afrique à Europe-Méditerranée-Afrique. Là-dedans, je n’ai aucun doute que le Maghreb a une position stratégique et que le Maroc a pris beaucoup d’avance par rapport aux autres pays pour faire le lien, le pivot entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne.

Pourrait-on alors s’attendre à des changements rapides dans les relations franco-marocaines ?

Sous François Hollande, hormis un petit moment de difficultés à cause d’un outrage à une haute personnalité de l’administration marocaine, les relations entre la France et le Maroc ont été bonnes, mon épouse [ndlr, Élisabeth Guigou] y a beaucoup œuvré.  Ce niveau va se renforcer, mais nous serons dans un renforcement dans la continuité dans la mesure où le président Macron affirme très fort qu’il veut assurer l’ancrage entre le continent européen et le continent africain. C’est là une œuvre herculéenne.

Les Amériques du nord et du sud coopèrent de plus en plus. Bravo au président Obama ! La Chine coopère de plus en plus avec les pays du sud-est asiatique. Bravo au président Xi Jinping ! Il nous manquait un président qui dise « je souhaite que l’Europe, avec ses 500 millions d’habitants, coopère avec l’ensemble du continent africain et que comme des Soyouz, on fasse l’arrimage entre les continents européen et africain : les interconnexions des réseaux, le développement du circuit bancaire, la sécurité des placements, la mobilité des capitaux et des compétences, l’harmonisation des normes, etc ». Tout cela représente un long processus d’intégration et on a un président qui dit : « L’avenir, c’est ce grand axe ! ».  Plus il veut aller dans cette intégration, nord-sud, Europe-Afrique, et plus le Maroc est là comme un interlocuteur privilégié. Tout le monde connaît cette belle citation de Hassan II : « Le Maroc est un pays qui a ses racines en Afrique et ses branches en Europe », et donc le Royaume est incontournable.

Est-ce l’économie, plus que la politique, qui est déterminante dans les relations entre la France et le Maroc ?

La question est pertinente, mais la réponse est délicate parce que les relations entre l’Europe l’Afrique ne sont pas des relations purement économiques. Hier comme aujourd’hui, on se connaît tellement bien entre nous. A l’heure actuelle, l’économie impose le retour de la proximité, de la solidarité et de la complémentarité. Donc les relations vont devoir s’enrichir par un « New deal » politique avec les Maghrébins, avec le Maroc, avec les populations du nord de l’Afrique et les populations subsahariennes. On veut faire un encrage, mais il faut changer de méthode. C’est le sens de ce new deal. Lequel impose un changement de regard, de comportement, de logiciel. Si tout est fait pour revenir en Afrique uniquement pour conquérir des parts de marchés, exploiter la main-d’œuvre bon marché et vendre nos produits, souvent fabriqués en Europe par des immigrés nord-africains, cela n’a aucun intérêt !

L’Afrique n’a pas besoin uniquement d’un plan Marchal. Ce qui me paraît déterminant, en tant que chercheur et en tant que promoteur de ce grand axe Afrique-Méditerranée-Europe, (dont l’abréviation est A-M-E, comme l’« âme »), c’est que nous voulons justement donner de l’âme à cette verticale.

Dans leurs relations avec les pays du continent africains, le Maroc et la France sont-ils inévitablement des concurrents ou pourrait-il y avoir un partenariat triangulaire France-Maroc-pays africains ?

La France et le Maroc sont des partenaires. Il faut qu’ils se considèrent comme tel et non pas comme des concurrents. Ils gagneront à travailler ensemble dans une sorte d’économie collaborative et non dans un capitalisme pur et dur.

Avec la révolution digitale et les plateformes numériques, le maître mot est la coopération. La concurrence c’était aux 19e et 20e siècle. Le 21e appartient à celui qui coopère le mieux avec les autres. Dans ce sens, le Maroc est trop bien placé géographiquement. Dans l’échiquier du monde arabe, c’est la monarchie qui donne de la stabilité. Le Maroc a, en plus, l’avantage d’avoir un Souverain qui voit loin. Je suis stupéfait de sa vision pour l’Afrique qui découle d’une démarche prophétique. Comme un rouleau compresseur, elle avance avec une lenteur apparente, mais elle est d’une grande efficacité.

Quelle évaluation faites-vous du partenariat entre le Maroc et la France dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ?

Je sors un peu de mon domaine, mais je formule le souhait que le terrorisme, qui gangrène le Sahel, et qui est partout menaçant soit une occasion de rapprochement des pays du Maghreb et des pays africains.