Daniel Cacija « Ecouter du Mark Murphy m’a aidé à trouver ma voie »
Daniel Cacija

Venu rendre hommage au légendaire Mark Murphy, le jeune chanteur de jazz consacré en 2013 meilleur jeune chanteur par le magazine « Down Beat », accompagné d’un trio et d’un joueur de trompette et de fluegelhorn a charmé le public du Tanjazz* avec sa voix mélodieuse, son phrasé clair et son style authentique.

C’est la première fois que vous vous produisez au Maroc. Quel est votre sentiment de chanter à Tanjazz ?

C’est un grand honneur et un privilège pour moi de participer à un si grand festival, on a été traité comme des rois ! C’est super bien organisé, on est très contents. En fait, une amie chanteuse pianiste, de Graz, qui y a participé il y a 2 ans m’en avait parlé. Je me suis dit que ça devait être génial de jouer là-bas, en Afrique, dans un autre continent !

Vous avez une idée sur la musique marocaine ?

Je suppose qu’il y a des influences orientales, …je connais le percussionniste qui avait collaboré avec Sting, mais en fait, je ne connais pas le style marocain.

Pourquoi avoir choisi de rendre hommage à Mark Murphy ?

Parce qu’il est un des artistes qui m’a le plus influencé dans ma vie, et ce qui est génial, c’est qu’on ne peut ni le copier ni l’imiter, cet hommage permet en fait, d’être soi-même. Son univers musical est aussi le nôtre, j’adore les standards de jazz, les chansons américaines, …vous rendez hommage en quelque sorte à votre propre originalité puisque vous ramenez votre touche personnelle. J’ai aussi eu un contact très personnel avec lui, je l’ai rencontré 3 semaines avant sa mort en 2015, c’était comme un rêve…En 2007, j’avais rencontré Sheila Jorden à Francfort, à l’époque, j’étais influencé par Kurt Elling et elle m’a dit : « le vrai génie, c’est Mark Murphy », je ne le connaissais pas, j’ai commencé à écouter ses chansons et j’ai découvert qu’il était le parrain du jazz vocal moderne, il est la version homme de Sarah Vaughn, plus je l’écoutais, plus je peaufinais mon style, j’ai trouvé ce que je pouvais faire d’une manière originale.

Parlez-nous un peu de votre rencontre avec lui ?

Je lui ai rendu visite à sa maison de retraite avec Sheila Jordan et Ari Silverstein, qui avait produit plusieurs de ses concerts. Il avait l’Alzheimer, il avait perdu le contrôle de ses mouvements, il était intubé et allongé sur son lit, il pouvait à peine parler, …S. Jordan lui a dit que j’avais étudié à Graz, puis, j’ai joué ses chansons favorites, « Detour ahead », il a commencé à pleurer, il m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « Vous êtes un sacré bon chanteur », on est restés une heure avec lui, je suis très chanceux et reconnaissant de ces quelques instants passés à son chevet, c’était une légende, il est mort 3 semaines après notre rencontre, on était en tournée… c’était très spécial parce que Sheila Jordan était avec nous, elle avait enregistré l’album « One for junior » avec lui, c’était des amis très complices.

Quand avez-vous réalisé que vous alliez faire carrière en tant que chanteur de jazz ?

J’ai toujours voulu gagner ma vie en faisant ce qui me passionne. J’ai réalisé depuis tout petit que j’aimais la musique. Lorsque j’accompagnais à l’âge de 5 ans ma famille à l’église, il m’arrivait une fois à la maison, de rejouer les mélodies de Gospel au piano, alors mon frère aîné avait demandé à mes parents de me faire une formation plus poussée en musique, et c’est là où j’ai commencé à jouer du piano au Conservatoire de Francfort,… J’ai quitté la Croatie pendant la guerre, j’avais 6 ans, j’ai toujours voulu jouer de la musique, quand j’ai été accepté pour étudier à Graz, j’étais ravi, je ne peux pas dire exactement quand ça a vraiment commencé !

Pourquoi le jazz ?

J’aime l’esthétique de de tradition européenne classique, j’aime la mélodie et l’harmonie esthétiques de Claude De Bussy et Maurice Ravel, c’était profond pour moi, …Au début, j’étais très influencé par le Gospel, le premier morceau de Jazz que j’ai entendu était « Road 66 » de Nat King Cole, ce côté léger et facile m’a énormément fasciné. En plus, dans le jazz, je me libère des notes, il y a les mélodies et une certaine forme que je dois respecter mais sinon, je peux tout faire, je peux être moi-même, parce que je peux m’exprimer de manière personnelle.

Votre dernier album « Lifeline » est plus personnel ?

Plus ou moins, j’ai toujours lutté dans mes relations, j’ai essayé de mettre mes émotions dedans, mes combats, mes bons sentiments,…plusieurs situations que je chante sont similaires de ce que j’ai pu vivre, comme la perte soudaine d’une personne. J’aime bien « Little red rose », une chanson très mélancolique, triste et déprimante. Il y aussi « Precious me Precious you » dont j’ai écrit les paroles, ça parle un peu des gens qui dans l’entourage proche de ma famille ne m’acceptaient pas tel que je suis et à qui je réponds en disant que chacun d’entre nous est précieux dans sa différence !

Ce qui vous inspire finalement c’est la vie et ce qui vous entoure ?

Oui, la musique et donc le jazz est le résultat de tout ce qui m’arrive dans la vie.

Sur scène, vous aimez communiquer avec le public ?

C’est important d’être authentique, car sur scène, il faut être vrai pour que les gens puissent sentir l’émotion du moment que vous dégagez, et interagir avec vous. Si votre interprétation n’est pas sincère, ça ne fonctionne pas !

A part la musique, qu’aimez-vous faire dans la vie ?

J’étais presque devenu un joueur professionnel du Tennis de table, puis j’ai laissé tomber pour la musique. J’adore cuisiner, c’est exactement comme le jazz, il y a certaines lois que tu dois respecter, certaines choses fonctionnent, d’autres moins, j’aime les plats avec du paprika, les lasagnes aux aubergines, le poisson, la cuisine méditerranéenne…

Vous avez quitté la Croatie pour l’Allemagne quand vous aviez 6 ans. Ça vous manque ?

Oui, je sens toujours que c’est ma première demeure, à chaque fois que je reviens là-bas, je ressens toujours un pincement au cœur, c’est un peu lourd avec les souvenirs de guerre, ma sœur vit encore là-bas, mon oncle, mes cousins, je leur rends toujours visite, ma 2e maison c’est l’Allemagne et ma 3e maison c’est Graz en Autriche, depuis 2009. Quand les gens me demandent d’où je viens, j’ai du mal à répondre, je suis né en Croatie, j’ai grandi en Allemagne et là je passe la majeure partie de ma vie en Autriche, …en fait, je suis un européen cosmopolite.

Des projets ?

Je vais enregistrer un album live en octobre, ça va être un enregistrement analogue, et non digital, vous allez avoir une qualité de son incroyable, vous allez presque sentir la sueur et l’odeur des musiciens sur scène, c’est ce que vous ressentez quand vous écouter un analogue d’Oscar Peterson, vous avez l’impression qu’il joue en face de vous. Je suis chanceux de pouvoir enregistrer Live un album analogue à Vienne, dans le studio analogue le mieux équipé d’Europe, ils ont les vieilles machines, ils font des master cut, et après le concert, vous pouvez repartir avec votre vinyle, ça va sortir en cassettes aussi, le télécharger sur le net (itunes, amazon…). J’aime bien les albums live parce que vous vivez une situation réelle, vous n’avez pas à imaginer le public en face de vous comme en studio. Sinon, j’enregistre actuellement en Allemagne un album avec un orchestre, un peu à la Michael Bubbley. Une combinaison intéressante qui va sortir en 2018.