Indélébile, Meredic Turay ! « L’art africain, c’est l’avenir »

 

Apprécié pour sa touche colorée mêlant tradition et modernité, l’un des meilleurs artistes contemporains ivoiriens nous parle de sa nouvelle exposition « Africa Dreamer », une réelle ode à l’universalité. Un génie des temps modernes à découvrir à la Galerie 38 du 7/12/2017 au 7/01/2018.

Que ça soit dans votre travail ou votre style vestimentaire, on voit que vous avez un grand penchant pour les couleurs ?

Oui, je suis quelqu’un de très coloré, la couleur pour moi, c’est de la joie. C’est pourquoi, lorsqu’il les gens voient des couleurs Pop, ils sont plus égayés.  En fait, je suis d’un esprit très positif et ça a été une démarche assez délicate car, quand tu es un jeune artiste, tu veux être plus engagé, tu veux avoir une parole. Le défi c’est d’atteindre le juste milieu, esthétiquement parlant, et que ton message colle. Ça a été un travail de longue haleine, mais avec le temps, j’ai gagné en maturité, j’ai étudié les couleurs, les différents styles, j’ai pas mal voyagé, tout cela m’a permis de faire cette symbiose qui parle aux gens. Des fois, je peux être très spontané, des fois assez précis dans mon travail, je ne mets pas de barrières. Vous savez, c’est très ennuyeux de faire la même chose, ça serait bien qu’un artiste triche un peu partout, pour découvrir un autre lui !

Comment réussir ce pari de passer un message sérieux avec une touche plus soft ?

Je pense que c’est une question d’équilibre. Il faut opter pour le juste milieu. Parlant du style,  j’aime bien combattre le côté figuratif et le côté abstrait (tout ce qui est spontané et qui n’est pas forcément visible), pour obtenir ce juste milieu. Cet exercice t’apprend à mieux virer vers un message universel, du coup, esthétiquement, ça passe bien parce que t’as un équilibre. C’est une étape en fait, moi je suis passé d’un style très cartoonech à la reproduction des grands maîtres comme Picasso et Salvador Dali, pour arriver au côté très urbain, après la redécouverte de mon pays d’origine, la Côte d’Ivoire, donc il fallait que je redécouvre d’où je viens, et c’est cette symbiose là avec les expériences que j’ai eue, que j’ai pu faire une espèce de tradi-modernité qui parle beaucoup aux gens !

D’où vous vient cette passion pour la peinture ?

J’étais très passionné par la peinture, ce qui était un peu bizarre, vous imaginez un enfant de 6-7 ans, admirer une œuvre de Picasso ou de Dali ? Même si ces peintures me paraissaient abstraites à mon jeune âge, car je ne les comprenais pas réellement, j’aimais l’aura que ça dégageait, ce quelque chose d’inhabituel qui attisait ma curiosité. C’est à partir de ce moment là que j’ai commencé à reproduire certains tableaux ; et puis la passion a grandi au fur et à mesure que je grandissais dans le milieu Hip Hop puis j’ai découvert le Graffiti…Il y a beaucoup de collectionneurs qui me collent l’étiquette Basquia parce qu’ils retrouvent beaucoup de sa spontanéité et la manière dont je travaille mes couleurs. Je n’hésite pas à faire certains collages, le perlage en couleurs, en blanc et noir. Tout cela fait partie de mes différentes expériences que je ne cesse d’expérimenter et qui m’aident à mieux passer mes messages. Je profite de l’expérience et de la maturité de mon travail pour m’exprimer, c’est un peu comme si j’expliquais par la peinture !

Qu’est ce qui vous a inspiré pour votre dernière exposition ?

Mon environnement direct. Je suis aussi sensible à l’actualité internationale, ça me touche énormément, donc, en reproduisant certains sujets sur des toiles, je marque l’instant et le moment où j’ai pensé à cela. Il y a des moments qui sont tellement jouissifs où je parle des sapeurs, des gens qui s’habillent bien en Côte d’Ivoire, au Gabon, …pour donner cette air de joie. Il faut vraiment faire l’équilibre dans ce genre d’exposition, j’ai un côté très engagé mais aussi un autre côté où je dis : « profitez de votre vie, des couleurs, des vêtements, de votre entourage, … car on ne vit qu’une fois ! »

Au-delà du racisme et des guerres, quels sont les thèmes qui vous révoltent ?

Actuellement, la maltraitance de certains immigrés subsahariens, c’est un peu un sujet à la mode, c’est dommage, parce qu’on ne focalise que sur ce genre d’immigrés, mais il y en a d’autres qui viennent d’ailleurs et qui vivent le même calvaire et dont personne ne parle. Il y 3 pièces de l’exposition qui parlent justement d’immigration, certaines sculptures montrent que chaque personnage dans son bateau a une histoire spécifique, pour signifier qu’il ne faut pas généraliser l’immigration mais plutôt chercher la cause du problème. La source est très importante, et comme d’habitude, je le fais avec des couleurs tellement rayonnantes, pour déjà attirer les gens. La beauté pour moi sert à faire rentrer dans l’œuvre pour lui découvrir après le message qui suit ! C’est comme cela que j’ai commencé à rendre mon style mature, égayant. Cette exposition, c’est un arrêt important pour moi, car les gens verront comment mon expérience au Maroc a été bénéfique pour moi.

C’est important pour vous de laisser une trace à travers vos œuvres ?

Au-delà de peindre et de sculpter, je crois qu’il faut laisser quelque chose d’indélébile, une trace pour se souvenir de toi comme une espèce de pierre à l’édifice, de l’évolution de l’être humain. Mes toiles ne sont pas que de simples peintures, ce sont des œuvres qui auront leurs mots à dire, leur message aux générations futures. Quand je travaille, je prends mon temps, pour m’améliorer à chaque fois, pour que ça soit non seulement différent de ce qu’on voit mais pour que ça parle plus souvent. Ça peut être de couleurs très nettes, qui parlent aux amateurs et ça peut être brut avec des couleurs de café.

Vos œuvres sont toujours porteuses de message ?

Je crois qu’il faut avoir son mot à dire dans la société parce qu’au-delà d’être un artiste, je suis un citoyen, donc, c’est juste cette plate forme que j’ai pour m’exprimer. Ça dépend des périodes, je me rappelle, une des pièces que j’avais faite pour le Maroc pour la Galerie 38, la 1ère fois que je suis arrivé à Casa, j’étais ébloui par les embouteillages, ça m’a tellement étonné que j’ai fait une toile dessus, et ça a été le départ de mon inspiration directe, j’ai essayé de produire l’émotion que j’avais sur la toile, ça a été très symbolique !

Cela fait un an que vous êtes en résidence à la Galerie 38. Pourquoi le Maroc ?

C’est un pays qui va faire partie des leaders en matière d’art contemporain africain. Je pense qu’il faut faire partie de ce train, et vu que je suis dans la même démarche panafricaniste donc je pense que c’est le pays idéal pour moi, pour pouvoir mieux véhiculer son message à travers l’Afrique et pourquoi pas le monde. Et puis, le Maroc a une très grande amitié avec la Côte d’Ivoire, donc, je n’ai pas hésité et cette expérience est assez inédite pour moi.

Qu’est ce que ça vous a apporté ?

Les pièces sont tellement jouissives, quand vous voyez « La Mona Afric » (Mona Adjoa, son nom ivoirien) par exemple, vous avez l’impression d’être dans une exposition de couleurs. Des fois, je fais des reprises, je revisite des grandes pièces mais en gardant un côté très BD, très urbain et traditionnel à la fois, je garde le même esthétisme, je peux être très précis dans mon travail comme je peux être très évasif !

Les yeux de vos personnages ont tous quelque chose en commun, on reconnait de suite la signature Mederic.

Oui, c’est un symbole, j’ai fait beaucoup d’études à ce sujet, j’essaie par mon style d’adapter un symbole qui va vraiment m’identifier. Pour moi, les yeux sont le reflet de l’âme, c’est la première chose que tu regardes dans une pièce. Je fais donc une espèce de cercle autour avec une croix sur le côté, vous savez, je pense que tout être humain symbolise le Ying et le Yong, on a un côté très obscure, mais aussi il y a tellement de vie et de bonté dans l’être humain qu’on retrouve les deux, donc, il est important pour moi de montrer que personne n’est parfait ! Par ce symbole qu’on retrouve dans toutes mes œuvres je dis aux êtres humains : « restez humains, ne cherchez pas à être autre chose, vous avez le droit de pleurer, de rire ».

Vous avez aussi des influences américaines, vous êtes aussi rappeur ?

Oui, je suis aussi très passionné par la musique, la poésie, je suis très urbain, Hip Hop, je fais des mélanges, de la musique traditionnelle, techno, j’aime tout ce qui est contemporain, par contre, je tire mes racines de tout ce qui est ancien, j’admire Leonardo Da Vinci, car au-delà du côté esthétique, j’aime la maîtrise de ses doigts, de ses touches, il n’hésite pas à croquer tout ce qui lui passe par la tête, et c’est ce que j’ai toujours eu du mal à faire, j’ai toujours été très préparatif dans la tête,… les croquis, c’est un peu comme si tu laisses un message et que tu regardes après, c’est comme une note laissée par l’artiste, il est tellement bon dans ses croquis qu’aujourd’hui, on les considère comme des œuvres d’art. C’est aussi un grand mathématicien, un intellect, pour moi, c’est l’ultime artiste. Pour le côté contemporain, il y a Pablo Picasso, Salvador Dali et Basquia parce qu’il a ouvert un marché pour les Africains qui n’existait pas, et puis, son style était très urbain puisqu’il a baigné dans le Hip Hop ; il y a aussi Francis Bacon qui est le maître du visage enfant, et qui me rejoint un peu dans mon travail, parce que moi, je prends des papiers de couleurs, je fais des découpages de couleurs et je sculpte les visages avec, donc, on retrouve une palette de couleurs sur le visage, en plus, je travaille avec le café, qui viens de mon pays, la Côte d’Ivoire, ça m’a servi à nourrir et crédibiliser mon travail et garder une touche Mederic.

Que représentent la peinture et la sculpture pour vous ?

C’est l’ultime liberté de l’être humain, on ne pourra jamais s’exprimer comme les peintres d’antan ! Ce sont des gens qui arrivent à immortaliser le temps, les choses, et cela, c’est surhumain. Pour moi, la peinture d’atteindre ce niveau. La peinture est pour moi l’un des meilleurs témoignages de l’histoire, ça fait partie des arts majeurs, les plus grandes créations et découvertes de l’être humain.

Comment voyez-vous l’évolution de l’art contemporain africain ?

On est sur une très belle pente. Nous avons des artistes africains contemporains qui sont aujourd’hui bien côtés à Sutterby, c’est salutaire ! Le Maroc fait partie de ces pays qui sont en train de mettre l’art africain sur un diapason, avec tout ce que le roi Mohammed VI est en train d’entreprendre, et l’art africain a un avenir plus que certain. D’ailleurs, je me rappelle ce qu’a été l’art asiatique dans les années 70, ils avaient du mal à s’approcher du niveau international, mais à partir des années 80, c’était le boom, tout le monde avait commencé à collectionner les artistes asiatiques, aujourd’hui, ils ont une réelle plateforme et ce sont les plus grands acheteurs au monde. En Afrique, il faut juste renforcer nos institutions d’art, nos fondations, les artistes ont besoin de plus de mécénat, la culture représente tout dans un pays, donc, il faut que l’art contemporain soit la priorité des programmes culturels.

Comment voyez-vous la situation en Côte d’Ivoire ?

Je suis très content que la Côte d’Ivoire ait réussi à se stabiliser. Ma dernière expo dans le pays a été avec la Fondation DONWAHI, une des plus grandes fondations de l’Afrique de l’Ouest, qui milite pour l’art africain. L’art contemporain est en train de s’exprimer de bien bel dans les nouvelles galeries, les expositions sont de plus en plus nombreuses, ….on est très bien parti, que ça soit au Sénégal, au Rwanda, en Afrique du Sud, au Niger, … le monde entier vient redécouvrir l’art africain, le plus vieux et le plus ancestral de tous.

La place de la femme dans votre travail ?

La femme parle beaucoup dans mon travail. La femme est le pilier de la société, elle représente beaucoup de choses, un pays où les femmes sont mises à l’écart, ça se voit par la dureté des hommes, parce qu’une femme, quand elle est à l’aise, tout le monde est à l’aise autour. Je pense que le Maroc fait partie de cette catégorie, on sent que les femmes sont très conservatrices, elles veulent garder la famille et avoir une éthique, et ça c’est très respectable, et c’est exemplaire.

Vos ambitions pour l’avenir ?

Je me vois comme un des plus grands artistes du monde, parce que je travaille dur pour y arriver, je suis quelqu’un de très optimiste, pour moi, l’art africain est l’avenir, on a une touche qui réjouit et attire les collectionneurs du monde entier. Je crois qu’on commence déjà à se placer, et c’est à nous, jeune génération, de suivre et de créer une bonne dynamique autour, le reste suivra.

Des projets ?

J’ai pas mal d’expositions, sinon, je suis en train de voir pour signer avec une grande galerie à New York, j’ai des projets de résidence, des projets d’expo en Côte d’Ivoire. Ça m’aide à savoir quelle est ma réelle place dans le marché de l’art.