Coupe budgétaire, les économistes préviennent !

La décision est prise. 15 milliards de DH d'investissements budgétés sur 2013 vont être supprimés. Cette mesure résoudra-t-elle le problème structurel du déficit ? Voici ce qu’en pensent les économistes? …

Les données à fin février prévoient déjà un déficit budgétaire à plus de 10,9 Milliards de DH, en aggravation de 39% par rapport à la même période de l’année précédente. Les indicateurs économiques sont dans le rouge et le gouvernement Benkirane opte pour la réduction de l’enveloppe allouée à l’investissement durant cet exercice. Il s’agit de 15 milliards qui seront raboté des investissements publics. Un montant qui correspond à près de 25% du montant total des investissements publics inscrits cette année au budget général (58,9 milliards de DH). Le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, a justifié cette décision par la nécessité de soulager d'urgence le déficit budgétaire, qui devrait atteindre selon Nizar Baraka 7,1% du PIB en 2013 (contre 4,8% prévus dans la la Loi de finances 2013).

Impasse économique

En termes d’impact sur le PIB, une réduction de 15 milliards de dirhams des investissements publics aura un impact immédiat de près de 70 points de base en moins sur la croissance anticipée. A titre de comparaison, lever 15 milliards avec une consolidation fiscale impliquant 7 milliards en augmentation d’impôts sur la consommation et 8 milliards en diverses économies sur les dépenses de fonctionnement permettent de réaliser un manque à gagner de croissance de seulement 20 points de base. Les investissements publics sont en effet avec la demande interne les principaux moteurs de la croissance marocaine. Quel impact va avoir cette coupe drastique sur la demande globale ? Le gouvernement se justifie en évoquant les taux d'exécution, relativement faibles (entre 60 et 75%), qui permettraient de limiter l'impact de la mesure. La coupe budgétaire annoncée devrait ainsi, selon le gouvernement, permettre d'améliorer les capacités de réalisation en 2013. Des justifications qui ne tiennent pas la route, selon les économistes. A l’évidence, le raisonnement manque de cohérence. En partant du postulat que chaque projet d'investissement budgété a été défini de manière rationnelle – et qu'il répond donc à un réel besoin (écoles, routes, hôpitaux, etc.) - sa non-exécution relève de problèmes inhérents au fonctionnement de l'administration. L’abandon de ce volume d’investissements signifie, selon les experts, la compression du programme d’investissements pour alimenter les postes de dépenses courantes du gouvernement. L’objectif non avoué, selon ce raisonnement, est d’éviter une crise de liquidités. Pour Rachid Tahiri, professeur d’économie, il faut attendre pour voir quels projets seront concernés. L’économiste renvoie cette décision à l’augmentation des dépenses courantes à des niveaux supérieurs à ceux prévus par la Loi de finances 2013, ce qui oblige le gouvernement à recourir à l’une des trois solutions suivantes : l’endettement, l’augmentation des impôts ou l’abandon de certains projets d’investissements.

Le Centre marocain de conjoncture abonde dans le même sens. « Ces coupes sombres dans le budget d’investissement soulèvent nombre de questions relatives à l’efficacité des méthodes suivies dans les travaux de préparation du budget, à la pertinence des hypothèses sous-jacentes et à la qualité des prévisions portant sur la croissance et ses déterminants pour l’exercice budgété. L’importance des montants en jeu est de nature à bousculer toute la stratégie économique et sociale mise en avant et défendue avec force conviction lors des discussions du budget », martèle Habib El Malki, président du CMC, ajoutant qu’une telle coupe franche ne manquera pas de déteindre lourdement sur la dynamique de croissance, des revenus et de l’emploi à un moment même où les besoins de relance de l’activité se font pressants. Jamal Belahrach va encore plus loin. « Supprimer des investissements peut préempter l'avenir de notre économie. Il s'agit de ne pas se tromper. L'investissement c'est du long terme », insiste-t-il. Et d’ajouter : « La lutte contre le déficit ne peut être qu'une bonne chose à condition de ne pas oublier l'objectif principal qui est de générer une croissance suffisante pour répondre à nos enjeux. Or, nous savons que la situation de nos agrégats est dramatique et nos bailleurs de fond nous ont dans le collimateur. Nous devons arrêter de nous mentir et faire face à la dure réalité qui nous touche et qui touche beaucoup de pays ».

Pistes non explorées

Pour les économistes sollicités par L’Observateur du Maroc, il y aurait d’autres solutions possibles pour lutter contre les effets de la crise. « Il me semble que la première chose serait de réduire le train de vie de l'Etat car c'est ce que font les entreprises lorsqu'elles sont en difficultés. Deuxièmement, il faut créer les conditions pour aider les entreprises à se développer pour générer davantage de croissance. Il faut rappeler que sans entreprises compétitives, il n'y aura pas d'économie et de stabilité des équilibres budgétaires », suggère Jamal Belahrach. Le CMC a un autre avis. La réflexion pour un redressement durable devrait porter, selon ce think tank, sur la réforme du système de compensation et la déconnexion des finances de l’Etat par rapport aux fluctuations des cours du pétrole et des matières premières sur les marchés internationaux. L’autre piste qui mérite d’être explorée, selon le CMC, est de maintenir le système de compensation tout en cherchant à récupérer une partie des charges incombant à l’Etat à travers la TVA sur les produits de consommation prisés par les catégories de populations aisées. Pour divers économistes, la solution réside dans la réforme fiscale qui passerait par la suppression de tous les avantages fiscaux accordés, en plus d’une lutte contre la fraude fiscale, de même que l’annulation des exonérations d’impôts qui profitent à plusieurs secteurs, dont l’agriculture.

Une chose est sûre, pour pouvoir remettre les pendules à l’heure, le gouvernement doit, selon Belahrach, mobiliser tous les acteurs indépendamment de leurs couleurs politiques pour définir une feuille de route volontariste. « Il s'agit là d'un tournant majeur et malgré toute la pluie que nous avons eue cela ne sera pas suffisant car nos partenaires européens sont en souffrance », insiste le président de la commission Emploi et relations sociales à la CGEM. « Il faut agir et ne plus choisir la voie de la facilité ! », crie Rachid Tahiri.

Paru dans le n° 212 de L’Observateur du Maroc qwerty клавиатура смартфон купить