Mounir Sefrioui & Aziz Alami « La musique andalouse a besoin de créativité »
Mounir Sefrioui et Aziz Alami

L’architecte et vice-président de l’Association des amateurs de la musique andalouse du Maroc Mounir Sefrioui et Aziz Alami nous parlent du 60e anniversaire de la création de l’Association célébré ce samedi 13 janvier à Dar Ala (Habbous). Au menu : Avenir de la musique andalouse et les moyens de transmission.

Créée en 1958, l’association célèbre son 60e anniversaire en organisant une journée d’étude et un concert. En quoi consiste le programme ?

Plusieurs chefs d’orchestre, présidents d’associations, musicologues, chercheurs, historiens et conférenciers de renom ont été conviés (Abdelaziz Benabdeljlil, Ahmed Aidoun, Srayri, Abdelmjid Souiri,…) à participer à cet événement inédit, pour débattre autour de plusieurs thématiques notamment : les réalisations de l’association depuis sa création jusqu’à nos jours, Qu’est ce qui a précédé : la musique ou la parole ? L’avenir de la musique andalouse et les moyens pour sa transmission aux jeunes générations ? Car le rôle de l’association, au-delà de la sauvegarde du patrimoine musical, c’est celui de sa transmission aux jeunes générations. C’est un énorme défi à relever, car Ala reste une musique élititiste et notre objectif c’est de la rendre accessible au plus grand nombre.

Quel bilan faites-vous des réalisations de l’association depuis sa création ?

Aziz Alami Gorafti, membre et trésorier de l’Association : 60 ans d’existence, c’est l’âge de la sagesse, et comme pour toute structure, le cycle de vie évolue avec des hauts et des bas. L’association a perduré car ses fondamentaux étaient saints, nos prédécesseurs étaient des visionnaires car ils avaient des mécanismes de gouvernance qui ont su s’adapter à l’évolution du temps, du contexte…D’ailleurs, on fonctionne toujours avec les statuts de 1958. En 60 ans, il y a eu 3 bureaux majeurs qui se sont succédé, le bureau dirigé par le Président Fondateur Haj Driss Benjelloun, puis celui de Mohamed Belmlih et le bureau actuel. Le bilan réalisé est plus qu’honorable ! Le fondateur de l’association a eu le mérite de retirer l’enseignement de la musique des mains du protectorat pour lui donner une connotation arabe et une dimension marocaine, intégrer l’enseignement à travers les universités et les conservatoires existants, la création de nouveaux conservatoires et de nouvelles méthodologies d’apprentissage, la mise en place des 1ers manuels d’apprentissage. Il a aussi labellisé les grands maâlems,  effectué des enregistrements avec l’UNESCO, il a sorti « Tahqiq de Hayek », un manuscrit innovant et exhaustif consacré à la correction des textes, à l’élimination des redondances, …il a prouvé aux sceptiques qui prétendaient que la notation n’était pas la meilleure façon de sauvegarder cette musique, qu’elle était parfaitement utilisable une fois adaptée ! La musique commençait à être diffusée à la télé, il a fait connaître les orchestres, 12 bureaux régionaux ont été crées. Il a été décoré par Bourguiba pour ses recherches.

Le 2e bureau  a accompagné pour sa part, l’enregistrement de l’actuelle Anthologie et qui est aujourd’hui une référence dans le domaine, car nous ne disposons pas des enregistrements de l’UNESCO. Il a aussi accompagné les écrits de haj Abdelkrim Rais, sur la relation entre Ala et Madih.

Pour le 3e bureau, Feu Mseffer était assez audacieux car il a milité pour intégrer les jeunes amateurs dans l’association pour prendre le relais. Créé en 2010, Dar Ala a été rénovée et a connu il y a quelques mois des travaux d’extension, nous pouvons accueillir près de 150 personnes pour nos concerts ; l’institution abrite désormais un musée regroupant des instruments et manuscrits d’une valeur inestimable, certains datant du 18e siècle.

Vous avez aussi publié une encyclopédie sur la musique andalouse ?

C’était une musique de cour, non écrite, et donc il fallait la transcrire sous forme de notes. Notre association a donc contribué à écrire cette musique avec trois grands professeurs  dont Younes Chami et Mohamed El Othmani. Nous avons édité trois livres qui rassemblent l’ensemble des partitions de cette musique. Aujourd’hui, nous avons publié un ouvrage, «La musique andalouse au Maroc, d’hier à demain», qui retrace, en l’espace de 200 pages illustrées et accompagnées d’un texte bilingue arabe-français, l’histoire riche de ce patrimoine multiséculaire, depuis sa création dans l’Andalousie musulmane jusqu’à nos jours. 

Vous avez également créé une chorale ?

Oui, l’association dispense des cours de formation et d’initiation à la musique andalouse pour petits et grands ; il y a 7 ans, on a  créé la Chorale Dar Ala, composée d’environ 145 petits et ados. Deux fois par an, on organise des masterclass pour adultes, autour du système musical arabo-andalou et sa spécificité par rapport au système occidental. Sans oublier bien sûr les « Jeudis de Ala » et qui n’existent nulle part ailleurs dans le royaume !

L’association organise aussi deux festivals par an ?

Oui, un Festival international «Andalussyat  » qui en est à sa 14 édition, et un national  sur les rencontres Nouba et Mizane initié en 2011. Plusieurs stars ont participé au 1er festival: Lotfi Bouchnak, karima sqalli, Sabah Fakhri, Said Chraibi, Abdou Chrif, Wael Jassar, Gipsy Kings, Nass Ghiwan… Son but, c’est d’attirer les investisseurs, mais aussi de faire connaître les autres musiques qui se rapprochent de la musique andalouse et montrer l’ouverture de Ala sur les autres musiques du monde.

Comment voyez-vous l’avenir de cette musique ? Qu’en est-il de la relève ?

Aujourd’hui, la relève est assurée puisque nous avons une chorale de 145 membres et il y a même Dar Ala Montréal et une autre à Paris ! et ce sont nos anciens élèves qui les ont créés. Nous avons d’excellents orchestres à travers tout le pays, mais la musique andalouse n’a pas un large publique, on veut la rendre accessible au plus grand nombre, pour qu’elle devienne au même titre que la musique classique en Europe. Nous avons besoin de sponsors parce que les abonnements ne suffisent pas !

Aziz Alami : Le défi aujourd’hui, c’est attirer et intéresser les jeunes à ce genre musical et surtout trouver le meilleur moyen pour le transmettre, et pour cela, il faut leur parler le même langage, il faut donc manipuler Ala et l’adapter à leur langage. On ne peut pas garder les méthodologies d’apprentissage d’antan, il faut tenir compte des noubas. Un morceau comme Lalla Mennana serait resté aux oubliettes si Fnaïre ne l’avait pas repris et modernisé ! -Pour Younès Achkar : la meilleure façon d’apprendre, c’est de commencer par les morceaux les plus faciles et puis pratiquer au moins 2 ou 3 fois par semaine, ce qui donne la malaka. Le plus difficile, c’est d’apprendre les grandes Sanai3  et Mizan* (suite de chants) qui est assez long-.

Vous savez, cette musique a beaucoup évolué depuis sa création, il y a 12 siècles, elle est à la fois arabe, musulmane, berbère (maqam achelhi) et africaine. Il faut certes sauvegarder ce patrimoine, mais pour rester vivante, elle a besoin de créativité. De plus, il est inconcevable que la musique andalouse ne fasse toujours pas partie du patrimoine mondial de l’UNESCO ! A l’ère de la mondialisation, la culture est une richesse, et ce n’est pas pour rien que le roi Mohammed VI a parlé de l’importance du patrimoine immatériel !

 

*Le mizan est lié à Naouba, à savoir une suite de chants qui intègrent à la fois la nature musicale et le tempérament des personnes.