Au-delà du viol, le développement commence à l’école

Plusieurs personnes, au Maroc et ailleurs, ont vu l’insupportable vidéo de la jeune fille en train de se faire violer par un garçon visiblement n’ayant peur de rien. Bien. Les experts que nous n’avons pas auraient pris l’affaire en main pour analyser et comprendre le mal.

Comme personne n’a bougé, on peut s’en occuper nous-mêmes. On peut donc risquer une explication. Si nous sommes arrivés à ce niveau de danger c’est principalement parce qu’on a complètement négligé un acteur social, le plus important. L’éducation. Parce que c’est au primaire que l’enfant peut apprendre les règles de la vie  en société. Après ça devient plus difficile. L’enseignant peut corriger les « malformations » reçues à la maison, dans la rue, ou de la part d’autres éducateurs, pas toujours bien intentionnés. L’enseignant, malheureusement, n’a pas le temps de s’occuper de ses élèves, englué, lui-même, dans les tourmentes de la vie quotidienne, avec les moyens qu’on sait. Un salaire prolétaie, une école qui se fout complètement de sa condition, un environnement social qui ne lui reconnaît aucun prestige ni aucune utilité et un gouvernement qui voit en lui un syndicaliste qui réclame toujours des augmentations de salaires.

Alors, dans le cadre de la recherche d’un nouveau modèle de développement, si nous ne trairons pas cette question en premier, toute proposition sera inutile. Le développement commence au stade de l’enfance. La femme et l’homme qui prendront en charge le devenir de leur société demain, doivent y être préparés dès leur plus jeune âge. C’est là où le concept de patrimoine immatériel prend tout son sens. C’est là aussi où il ne faut pas compter sur un gouvernement trop pris par les chiffres des lois de finances, sans aucune vision à long terme, pour nous produire de nouvelles perspectives.

On ne peut pas non plus compter sur le Parlement, dont certains membres ne sont pas tous à un niveau acceptable de formation et d’éducation, tandis que d’autres sont intéressés uniquement par leurs intérêts personnels ou partisans. Aussi, parler de nouveau modèle de développement sans commencer par poser les jalons d’une bonne éducation, serait une perte de temps et le prélude à un échec retentissant.

Education ne veut pas dire uniquement école publique, ça doit inclure aussi les écoles privées et les coraniques où les petits commencent leur apprentissage. Personne ne contrôle aujourd’hui les M’sids abandonnés à leurs promoteurs et à leurs fqihs, souvent d’un niveau très faible. Il faut se rendre à l’évidence et reconnaître que le projet de l’éducation chez nous est de produire d’abord de bons musulmans, vu la charge de l’éducation islamique à tous les niveaux, jusqu’au baccalauréat, aux dépens de la philosophie, par exemple, qui permet vraiment d’ouvrir les yeux sur toutes les idées et toutes les conceptions. On se soucie moins de la promotion du bon patriote, d’ailleurs l’éducation civique n’est plus ce qu’elle était, alors que c’est elle qui forme les bons citoyens soucieux des intérêts de leur pays. Contrairement à l’éducation islamique qui forme des gens pour un espace plus grand, la oumma islamique, même si celle-ci n’est qu’une vue de l’esprit et n’a aucune existence dans la réalité. On a vu à plusieurs occasions à quel point les intérêts de la « oumma » peuvent être complètement à l’opposé de ceux du pays.

On peut méditer cet exemple qui nous vient du lycée Oum Rabiaa à M’Rirt où selon le quotidien Al Akhbar du 29 mars, les étudiants ont dénoncé leur professeur, un membre du PJD et du Mouvement Unicité et Réforme (MUR) qui exige la séparation des filles et des garçons en classe. Ce même professeur incite à ne pas s’intéresser à la philosophie parce qu’elle est contraire à l’Islam. On a constaté à cette occasion que d’autres professeurs font la propagande du PJD au sein même des collèges et lycées. Jamais l’exploitation de la religion n’a été aussi voyante que depuis l’accès des islamistes au pouvoir ou à une partie du moins.

Notre problème principal vient du fait que nous n’osons pas aborder cette question parce que le sujet est tabou, on ne touche pas à la religion, et parce qu’aussi les réactions des conservateurs peuvent parfois être violentes. Nous l’avons vu à travers des cas où certains penseurs, certains activistes ou artistes se font insulter et même menacer sur les réseaux sociaux par des islamistes qui pourtant promettent, dans leurs discours, au pays la démocratie la plus parfaite.

Notre société offre aujourd’hui plus d’attention aux prêcheurs qu’aux philosophes, qu’aux économistes ou qu’aux scientifiques. C’est comme si nous nous étions résignés à accepter cet état de fait, imposé par une machine qui n’a rien de religieux et qui a beaucoup chauffé depuis que l’argent a commencé à affluer.

Condamner le violeur de la vidéo est une punition largement méritée. Mais ce n’est absolument pas suffisant. Nous avons trois mesures à entreprendre immédiatement. Premièrement, nous devons nettoyer les écoles, publiques, privées et coraniques des mauvaises influences ; deuxièmement donner plus de place à l’éducation civique et troisièmement relever la position de l’enseignant dans la société. Inutile de discuter d’un nouveau mode de développement si on n’a pas réalisé que c’est au niveau de l’école et des enseignants que tout commence. L’enseignant doit être le maître d’œuvre de la construction sociale.