Le syndicalisme en panne

Le Maroc compte une vingtaine de syndicats pour un taux de syndicalisation dans le secteur privé qui atteint à peine 10%. Et même dans le secteur public où les cinq centrales les plus représentatives pouvaient montrer leur force de nuisance, c’est la déconfiture. Et pour cause ! Les fonctionnaires ne sont plus enclins à suivre tout syndicat qui appelle à la grève puisqu’ils doivent désormais en payer le prix de leur poche. Est-ce donc la fin des syndicats ?

Le samedi 27 avril, à quatre jours seulement du 1er mai, Benkirane devait rencontrer les chefs des cinq syndicats les plus représentatifs. Deux jours auparavant, il avait envoyé une petite missive à travers laquelle il les invitait cordialement à venir lui présenter de vive voix leurs revendications prioritaires. Il les a aussi appelés à lui faire part, par la même occasion, de ce qu’ils lui reprochent dans la gestion du dossier social. La première réponse, et la seule d’ailleurs, que le chef du gouvernement a reçue était celle signée conjointement par l’UMT et la CDT. Il est rare de voir ces deux centrales coordonner, mais pour dire non à Benkirane, ils ont tout de même réussi cet exploit. Leur non catégorique concerne la participation à la réunion du 27 avril d’une part. De l’autre, c’était aussi un non à l’approche prônée par le gouvernement dans le dialogue social. Benkirane ne pouvait espérer meilleur cadeau et a donc tout de suite annulé purement et simplement le round du 27 avril. Pas de rencontre avec les syndicats donc et pas de dialogue social. Tant pis pour les salariés qui espéraient une quelconque heureuse annonce à l’occasion de la fête du travail. N’y avait-il pas mieux à faire de la part des syndicats ? Cette question mérite réponse.

Allons d’abord voir de près de qui et de quoi on parle. Les syndicats les plus représentatifs dans le pays sont l'Union marocaine du travail (UMT), la Confédération démocratique du travail (CDT), la Fédération démocratique du travail (FDT), l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) et l'Union nationale du travail au Maroc (UNTM). Ce sont les cinq qui émergent parmi plus d’une vingtaine d’autres que compte l’échiquier syndical national. Tous donnent des signes ostentatoires de faiblesse, même les plus représentatifs d’entre eux. Que l’on en juge !

Dirigé par Miloud Moukharik, l’UMT est secouée par une contestation interne qui a révélé le manque de démocratie dans cette Centrale. Khadija Ghamiri, Abdelhamid Amine et Abderrazak El Idrissi en savent quelque chose. Ce trio a été éjecté par le boss de l’UMT pour avoir mené le mouvement de contestation interne. Si cette décision avait été prise par un patron contre des employés désobéissants, Moukharik lui-même serait monté sur ses quatre chevaux pour la dénoncer. Mais, il semble qu’au sein des syndicats, le patron peut tout se permettre. Même le fait de garder secret l’aide qui est octroyée annuellement à sa Centrale. C’est là d’ailleurs le péché mignon de tous les syndicats, sans exception. Y compris la CDT, pourtant autoproclamée, de par son nom, démocratique. Comment peut-on parler de démocratie quand un grand syndicaliste tel que Abdelkader Azrii a été mis sur le banc de touche parce que le boss de cette autre Centrale craignait de le voir prendre sa place ? Et puis, quel message donne le grand militant Noubir Amaoui en ne voulant pas prendre sa retraite, même en étant alité ? Ce sont des questions qui fâchent auxquelles personne ne veut répondre à la CDT. Mais jusqu’à quand ? Ce n’est pas en s’accrochant à l’UMT et en pratiquant la politique de la chaise vide que la réalité pourrait être maquillée. Et la réalité est que la CDT a besoin d’une réelle résurrection. La réalité est que son boss devient un facteur de blocage de son syndicat après avoir été le catalyseur de son succès. Nombreux sont les membres de la CDT qui le disent mezza voce. Sauf que personne ne veut fâcher le « chef ».

La question de « zaïm » ne se pose peut-être pas encore au sein de la FDT, syndicat sorti du giron de la CDT. Il n’en demeure pas moins que cette centrale n’a rien apporté de nouveau au travail syndical dans le pays. Certes, il a été à l’origine de marches contre le gouvernement dans la foulée des manifestations du Mouvement du 20 février, mais sans avoir pu mobiliser les foules. Pire, par ce genre d’actions, la FDT donne l’air d’être une petite antenne de l’USFP. Et voilà que l’épineuse problématique du concubinage syndicalo-politique est posée : CDT/FDT-USFP, UGTM-Istiqlal, UNTM-PJD et l’UMT change de « mari » selon les circonstances. Ces jours-ci, par exemple, le PPS lui fait les yeux doux. En tout cas, dans une démocratie, le syndicat est un contre-pouvoir contre les pouvoirs politique et économique. C’est loin d’être le cas au Maroc. Le comble, c’est qu’on a même vu un syndicaliste devenir le secrétaire général d’un parti politique. Il s’agit bien sûr de l’inénarrable Hamid Chabat. Entre temps, même si ce dernier a cédé son poste au profit de Mohamed El Kafi Cherrat à la tête de l’UGTM, cette Centrale peine à fixer une date pour la tenue de son congrès électif. Et pour cause ! Le clanisme reste de mise.

A L’UNTM, la situation n’est pas meilleure. Mohamed Yatim, secrétaire général de cette antenne syndicale du PJD, joue aux équilibristes en ayant un pied dans le parti et un autre dans le syndicat. Ce grand écart, habituel dans la pratique syndicale au Maroc, est la première cause de la faiblesse des syndicats. Lesquels attirent beaucoup plus d’opportunistes en quête d’une « planque » bien payée ou d’un quelconque passe-droit, que de vrais militants ne cherchant qu’à défendre les droits des salariés ou des fonctionnaires.

Dans cette ambiance où l’immobilisme reste de mise, les syndicats se meurent en silence. C’est pour cela que la CGEM tente de voler à leur secours en leur proposant de se renouveler à travers le nouveau pacte social qu’elle a proposé. Ce n’est pas une démarche désintéressée, les patrons ayant besoin de syndicats forts pour éviter les grèves sauvages. C’est donc une bonne chose pour la CGEM que les Centrales aient toutes adhéré à son processus, sauf qu’ils n’ont rien apporté de nouveau jusque-là. A part la dénonciation du retard pris dans la réforme de la retraite qui est en suspens, du renvoi aux calendes grecques de l’indemnité pour perte d’emploi qui a été pourtant annoncée depuis des années, du non respect des libertés syndicales… Enfin, c’est là la même litanie que les syndicats ressortent chaque année à l’occasion du 1er mai pour faire bonne figure. Les sachant faibles, Benkirane prendra tout son temps avant d’appeler à une autre réunion. Ce sera quand son calendrier le permettra ! раскрутка сайтов