Alphadi "J'ai toujours milité pour une Afrique unie"

Connu pour ses créations audacieuses mêlant tradition et modernité, le précurseur de la mode africaine, fondateur du FIMA et président du jury de l’African Fashion Talents, nous explique comment la mode et la culture sont des industries qui peuvent hisser l’Afrique au rang des nations prospères.

Vous êtes président du jury de la 1èreédition de l’African Fashion Talents organisé à Casablanca. Quel est votre sentiment ?

Je suis ravi d’être président du jury de cette édition qui regroupe à la fois de jeunes designers et des grands créateurs, et qui démontre que la création africaine existe bel et bien. Avec ce genre d’événements, le rêve que je faisais il y a 20 ans lorsque j’ai créé le FIMA (Festival International de la Mode Africaine) à Dakhla, est devenu une réalité. Mon combat a toujours été celui de l’Unité Africaine, c’est pour cette raison d’ailleurs que j’ai été choisi comme ambassadeur et artiste pour la paix à l’UNESCO depuis 2 ans. Au-delà des partenariats, j’accompagne les jeunes marocains dans leurs démarches réelles, car aujourd’hui, en plus de la nécessité de financer la culture, il faut d’abord éduquer des générations. Les gens n’y croient pas, le monde est devenu tellement vorace que l’esprit européen vole notre âme, notre esprit, nos valeurs et on ne peut pas continuer comme ça ! Il faut qu’on soit une unité, une Afrique unie. C’est d’ailleurs la vision du roi Mohammed VI et je suis heureux, avec toutes ces années de création, d’amener les enfants à comprendre que c’est en étant ensemble culturellement qu’ils deviendront les grands de demain. Le Maroc est un pays où la productivité existe. Les pays africains comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Maroc, le Niger ou le Mali ont de la main d’œuvre de qualité et de vrais créateurs et partagent désormais la même vision. Le Maroc est un tremplin entre l’Europe et l’Afrique.Tous les grands financiers marocains croient en l’art et en la création africaine, du coup, ils peuvent sponsoriser la création c’est pour cela que j’y crois énormément.

Que cherchez-vous chez un créateur ?

Un créateur doit présenter un produit portable, vendable, un produit mettant en valeur la matière africaine, qui peut être l’image du continent, l’inspiration de la culture africaine. Une dimension particulière est donnée à la bijouterie, à la maroquinerie, à la matière produite sur le contient africain. D’ailleurs, le thème du FIMA cette année c’est : l’Afrique, sa création, ses valeurs. Les modèles doivent certes contenir des motifs d’inspiration africaine, mais, on leur donne quand même libre cours pour avoir de bons créateurs qui peuvent travailler à New York ou à Paris. On ne leur impose pas le caftan ou boubou africain, mais des produits portables, vendables et commercialisables.

Vous pensez que la culture, l’art peuvent changer les choses ?

Mais complètement. L’art, la culture, la création réussissent là où les politiques échouent. Les islamistes ont failli me tuer plusieurs fois parce qu’ils ne croyaient pas en ce que je faisais rejetaient mes défilés, et voulaient que la femme soit à l’image de leur doctrine ! A travers nos concours de Top Models, on veut montrer que le mannequinat faisait aussi partie de la culture africaine. Le Maroc est un pays moderne qui comprend la beauté de la création, il y a aussi cette année les regards croisés entre les créateurs peintres, l’art contemporain, africain, et européen. On doit montrer que la dimension art contemporain existe bel et bien en Afrique (Dakart au Sénégal) et au Maroc. On peut désormais vendre nos sculptures, notre savoir-faire, notre esprit. C’est pour cela que nous organisons à Dakhla des colloques sur l’éducation, la paix, la santé, le financement de la création…Dakhla aujourd’hui est une ville magique porteuse d’espoir.

Qu’est ce qu’il faut faire pour que l’art africain profite d’abord aux Africains ?

Il faut que les financiers africains, en plus d’investir dans l’immobilier et l’hôtellerie, investissent dans la création. Car s’ils ne croient pas à l’art africain, on n’ira nulle part. Il faut que les banques (BAD, Banque Mondiale, UMOA, Attijariwafa bank…) consacrent un budget pour la culture, la musique, la, peinture, la décoration, l’éducation ... Vous savez, l’Afrique a été longtemps biaisée, car les grands créateurs européens ont été financés par les pétroliers africains (du Gabon, du Congo). L’Afrique doit être financée par les financiers africains, et ces derniers doivent comprendre l’intérêt de la création africaine. L’Afrique doit être un continent collectionneur aussi. Il ne faut pas porter que du Chanel ou du Vuitton, il faut aussi porter des créations africaines, marocaines.

Ce qui vous inspire pour vos créations ?

La mer, le désert de chez moi, la beauté de la création, l’image de ce l’Afrique a, nos motifs, nos savoir-faire, notre image, nos cotonnades, la soie, notre artisanat,… Ce qui m’inspire aussi, c’est la chaleur humaine africaine, l’idée de porter de beaux vêtements tous les jours, de créer des marques de maquillages nationales. Vous savez, j’ai été le 1erafricain à créer un parfum !

Quelle est votre définition de la mode africaine ?

Elle doit être nourricière et magique. L’Afrique est le berceau de l’Humanité, il n’y a pas de raison que les Africains ne puissent pas vivre de leur mode aujourd’hui. La mode africaine c’est aussi le textile et la beauté africaines, les symboles africains doivent servir aujourd’hui à grimper les échelons. Notre vision de demain doit être panafricaine, le fait qu’on s’inspire de nous montre qu’on est valable ; pourquoi donc ne pas s’inspirer par nous-mêmes ? J’adore l’Europe, l’Amérique, l’Asie, mais je veux aussi qu’on puisse évoluer ensemble. L’Afrique doit être en évolution constante, contemporaine, imaginaire pour qu’elle devienne le continent de demain.

Quelle image avez-vous de la femme africaine ?

Une image qui est en train de changer. Une femme qui veut rassembler, qui porte le caftan, la gandoura, le boubou africain, ... Aujourd’hui, les femmes sont fières d’affirmer qu’elles sont africaines et ne se contentent pas uniquement de porter un vêtement avec le symbole africain. Certains pays qui sont restés très modernes dans leur structure européenne doivent changer. Désormais, la classe moyenne existe, on est 2 milliards d’africains avec un pouvoir d’achat non négligeable, donc, il n’y a donc pas de raison pour que cette classe ne s’habille pas de produits africains de qualité. Les créateurs africains existent, simplement, ils n’ont pas de chance pour être reconnus !

Votre dernière collection incarne l’image d’une Afrique du bonheur ?

Elle comporte énormément de teintures africaines et de broderies africaines, pour amener plus de modernité. J’ai beaucoup de corsets, de bustiers, je mets la femme africaine en valeur, je suis très près du corps dans ce que je fais mais je fais aussi des boubous très originaux que les femmes portent pour aller au travail, à des baptêmes, aux mariages, donc, ma collection s’inspire de la femme contemporaine du continent africain. Les bijoux de cette collection sont inspirés des bijoux touaregs, je fais aussi de la bagagerie inspirée de l’art marocain, mes boucles sont en argent massif. Avec une collection qui s’apparente à la peinture, je véhicule l’image d’une Afrique de bonheur, de l’artisanat et de la beauté.

Vos projets ?

Nous avons désormais du sportswear avec le jean très design qu’on va développer un peu plus. On va bientôt rentrer dans la décoration d’intérieur, en créant des meubles Alphadi, signés par des grands producteurs marocains. On travaille sur la bijouterie, l’artisanat, le tout dans le cadre de la coopération sud-sud.