Lutte anti-terroriste: Le cercle infernal

Les prisons marocaines accueillent 700 détenus islamistes. Leurs arrestations ne se passent jamais sans moult interprétations. Récit de 10 ans de lutte anti-terroriste au Maroc.   

Depuis 10 ans, chaque mois apporte son lot de «démantèlement», de «jihadistes» et «d’arrestations». Dernière annonce en date celle faite par le ministère de l’Intérieur, le 5 mai 2013, sur les présumées cellules de  « Al Mouahidine » et « Attaouhid ». « La Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) a procédé au démantèlement de deux cellules dont les membres, imprégnés de l'idéologie extrémiste, s'activent au niveau de la province de Nador», explique le département dirigé par Mohand Laenser. Les familles des détenus remettent en cause la version officielle et le Comité conjoint pour la défense des détenus islamistes (CCDDI) condamne « l’arrestation de trois de ces membres » et accuse la BNPJ « d’avoir séquestré la mère d’une des personnes arrêtées pendant six heures pour la pousser à se rendre », peut-on lire dans un communiqué parvenu à L’Observateur du Maroc. Ce dossier donne lieu aux mêmes remarques faites à chaque fois qu’éclate une affaire de « terrorisme ». D’un côté, des pouvoirs publics annonçant l’arrestation de « dangereux extrémistes » et de l’autre, des familles ou des ONG qui crient au scandale, dénonçant des « violations des droits humains». Qui dit vrai ?

2003-2005 : Les années noires      

« Il n'y a pas de doute qu'il y a eu des abus. Nous en avons relevé une vingtaine. Ces cas ont été signalés également par des ONG et par le Conseil consultatif des droits de l'Homme ». C’est le roi Mohammed VI qui le dit dans une interview accordée au quotidien espagnol El Pais en janvier 2005. Ces propos témoignent d’une prise de conscience des « abus » commis par les services de sécurité ou de renseignement les deux premières années de la « lutte anti-terroriste ». Pour mesurer l’ampleur du coup de filet sécuritaire qui a suivi le 16 mai 2003, il suffit de s’arrêter sur les chiffres annoncés par le ministère de l’Intérieur en 2005. En moins de deux ans, « soixante-deux cellules clandestines ont été démantelées, avec 5.000 arrestations, 1.000 jugements et 700 condamnations ». L’Intérieur conclue que la menace de nouveaux attentats est désormais « sous contrôle ». Pourtant, la suite des événements prouvera le contraire.

Face à cette campagne sécuritaire, plusieurs ONG nationales et internationales avaient tiré la sonnette d’alarme. Parmi elles, la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH). Dans son rapport intitulé Les autorités marocaines à l'épreuve du terrorisme : la tentation de l'arbitraire. Violations flagrantes des droits de l'Homme dans la lutte anti-terroriste, publié en 2004. La FIDH met en cause « les dérives policières » et « des arrestations et des perquisitions illégales » dans les affaires liées au terrorisme.  Dr Mohamed Neshnash, président de l'Organisation  marocaine des droits humains (OMDH) dresse le bilan de cette sombre période : « Les autorités, surprises et non suffisamment préparées ont réagi

violemment et sans discrimination arrêtant des milliers de personnes, la plupart sans rapport avec les actes terroristes. Cela a donné lieu à des violations graves des droits de l’Homme, à des détentions arbitraires, traitements humiliants et à des procès inéquitables ».

2006-2007 : Raydi tue l’ouverture

Face au constat officiel et associatif établi, l’Etat s’est alors lancé dans une phase d’ouverture à l’égard des détenus, en échange de reconnaissance des « constantes de la Nation ».

Premier acte de bonne foi, le roi gracie en août 2005, 77 détenus islamistes. Ensuite, il libère 164 en novembre de la même année, puis 30 islamistes en avril 2006.  Sauf que le 11 mars 2007, Abdelfatah Raydi, un des détenus graciés, se fait exploser dans un cybercafé de Sidi Moumen. Du coup, un nouveau tour de vis sécuritaire est opéré et le contact entre l’Etat et les détenus est rompu.

Après 2007, le rythme des arrestations baisse d’intensité mais ne faiblit pas. Les services de renseignement s’intéressent à des réseaux plus organisés comme Anssar Al Mahdi (démantelé en 2006) ou la cellule d’Amgala ou encore le réseau Belliraj. Ces arrestations font la Une des journaux. Par la suite, les procès s’éternisent au Tribunal de Salé, chambre spécialisée dans les dossiers de terrorisme où se tiennent les audiences de ces affaires.

2008-2011 : Bataille dans les prisons

La bataille entre les détenus suite à des affaires de terrorisme et l’Etat se déplacent dans les prisons. Hafid Benhachem est dépêché en avril 2008 pour « sécuriser » les cellules du royaume. Surtout après l’évasion hollywoodienne de 9 islamistes du pénitencier de Kenitra. Ces détenus avaient creusé un tunnel qui leur a permis de prendre la poudre d’escampette.

La mission délicate de l’ex-patron de la DGSN n’était pas sans créer quelques remous. En témoignent les accrochages entre la Délégation générale de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion, les détenus et leurs familles. La mutinerie générale qu’a connue la Prison de Salé le 16 et 17 mai 2011 était l’apogée de la tension entre les deux  parties (voir L’Observateur du Maroc n°124 paru en mai 2011).

D’ailleurs, le constat dressé par les ONG des droits de l’Homme n’était guerre reluisant. La Fondation Al Karama, dans son rapport de 2011 sur la torture au Maroc dénonce : « la torture, les mauvais traitements et les punitions collectives subis par les détenus, en particulier ceux qualifiés d’islamistes ».

En revanche, de l’autre côté de l’Atlantique, le Maroc recevait les bons points des Etats-Unis pour « les efforts entrepris en matière de lutte antiterroriste, qui ont permis de réduire de manière effective la menace terroriste au Maroc », comme le soulignait le Département d'Etat américain dans son rapport de 2011 sur le terrorisme dans le monde.

2011 : Argana explose le dialogue

Il ya deux ans, sous la pression de la rue, une nouvelle ouverture s’opère dans ce dossier complexe. Les quatre cheikhs du salafisme marocains sont graciés le 15 avril 2011. Un accord est signé avec le Conseil national des droits humains pour revoir les procès de plusieurs détenus qui clament leur innocence. 13 jours plus tard, le Maroc est sous le choc, une bombe explose à la Place Jamaâ Lafna, bilan : 17 morts. « Suite à  l’attentat d’Argana, le comportement des sécuritaires était plus conforme au droit », salue Dr. Neshnach, président de l’OMDH. A l’exception d’une rencontre associative tenue en mars dernier, le  dialogue entre détenus islamistes et l’Etat est de nouveau au point mort. Jusqu’à quand ?

Loi anti-terroriste: La juridiction d’exception

 « La loi du 28 mai 2003 relative à la lutte contre le terrorisme n’est pas nécessaire. Le Code pénal marocain est suffisant pour juger des actes terroristes. Les procédures d’exception doivent être supprimées », exige Dr. Neshnash. Pour rappel, le texte controversé a été voté au lendemain des attentats du 16 mai. Le PJD, qui avait exprimé des réticences au départ, a fini par le voter. La FIDH dresse le bilan de l’usage de cette loi : « Ces dispositions constituent un arsenal répressif redoutable entre les mains des autorités, ne pouvant qu'engendrer d'inévitables dérives ». Conséquence : « Actuellement, plusieurs personnes sont détenues pour ‘‘apologie de terrorisme’’. Nous considérons qu’on ne peut pas faire des procès  d’intentions », regrette le président de l’OMDH

Paru dans le n°216 de L’Observateur du Maroc туры в турцию из украины цены