L’Europe face aux incertitudes
Ahmed Charai

L’Italie et l’Espagne viennent de connaitre des changements inédits, très différents, mais qui sont tous les deux annonciateurs de périodes d’instabilité. En Italie la conjonction de l’austérité et du poids du flux migratoire, en l’absence de toute solidarité européenne, a amené au pouvoir une coalition fort improbable entre l’extrême droite et le mouvement populiste.

En Espagne, pour la première fois depuis le retour de la démocratie, une motion de censure a abouti. Mariano Rajoy a été destitué suite à un scandale de corruption.

Dans les deux cas, la crainte c’est l’instabilité. La coalition au pouvoir à Rome est eurosceptique certes, mais très hétéroclite. Si on sort de l’Europe et du refus des migrants, ils ne sont d’accord sur rien. Le mouvement 5 étoiles est plutôt libertaire, la ligue plutôt droite dure, et même fascisante.

A Madrid, le PSOE a réuni une majorité fragile avec le soutien de Podemos, des indépendantistes catalans et des nationalistes basques. Les élections anticipées sont déjà dans le tuyau sans que l’on puisse parier sur l’émergence d’une majorité cohérente.

Ce sont deux pays importants pour la construction européenne. Les deux ont été saignés après la crise de 2008. L’austérité imposée par l’Europe a fragilisé des franges entières de la société. Alors que ces deux pays ont une tradition d’accueil, le manque de solidarité européenne a fait du problème des migrants un point de fixation, plus important en Italie mais naissant aussi en Espagne. Des tendances centrifuges, souvent anti-Europe et anti-système ont le vent en poupe.

La classe politique traditionnelle est fragmentée. L’instabilité politique est le résultat de ces convulsions visibles depuis quelques années et de l’absence d’une réponse politique assurant la sortie par le haut. L’Union européenne, avec un bloc de pays de l’Est aux mains de la droite dure et de pays du Sud instables, aura du mal à peser sur les affaires du monde et surtout à remobiliser autour de l’Idéal Européen cassé par dix ans de politique d’austérité.

Ces deux pays sont des partenaires importants pour le Maroc. L’Espagne est même en train de dépasser la France en tant que premier partenaire.

L’Italie n’est pas très éloignée de ce podium non plus. Des centaines de milliers de Marocains vivent dans ces deux pays. L’Italie a un rôle à jouer dans la stabilisation de la Tunisie et de la Lybie. L’Espagne, ancienne puissance colonisatrice, est, malgré elle, appelée à jouer un rôle dans la résolution du conflit factice du Sahara. Ce sont donc des convulsions internes, mais qui concernent le Maroc.

L’arrivée des socialistes au pouvoir à Madrid a toujours inquiété quelques observateurs nationaux au Maroc. Mais en vérité, Felipe Gonzalez et Zapatero ont toujours montré beaucoup d’amitié pour le Maroc, y compris sur le dossier de notre intégrité territoriale, malgré les positions de quelques cadres du

PSOE. S’il y a une inquiétude à avoir, ce serait du coté de Podemos, s’il devient important dans une future coalition de gauche. Mais ce parti, aussi, changera à l’épreuve du pouvoir. On l’espère !

Le Maroc doit suivre avec attention, dans le respect total de ses partenaires, les développements liés à cette période de changements. Espérons que les institutions démocratiques de ces deux grands pays d’Europe permettront de réduire au maximum la durée de cette période. Il y va de l’intérêt de tout le pourtour méditerranéen et non seulement de l’Europe.