Vision stratégique
Ahmed CHARAI

Jaques Attali, ancien sherpa de Mitterrand, est un écrivain prolifique. Il se distingue depuis une décennie par la profondeur de ses analyses. Il vient de publier un article concernant des problèmes qui minent l’Europe et qui préparent son déclin. Il a choisi de dépasser la conjoncture économique et de s’attaquer à deux pays, présentés comme des modèles. Dans le classement des pays où il fait le mieux vivre, la Suède est passée, en quelques années, du premier rang au quatorzième. La Turquie, dont le budget est excédentaire, est en proie à des troubles sociaux graves, le modèle s’essouffle donc. Attali, pointe du doigt plusieurs phénomènes. La mondialisation de l’Islam ne nous concerne pas ici parce que c’est un autre débat. Mais deux tendances lourdes dégagées par le penseur français sont très importantes. D’abord l’urbanisation.

Les villes sont devenues anarchiques, avec des zones d’exclusion, de non-droit, un apartheid social imposé par le logement. Ensuite, le problème de l’éducation comme facteur d’intégration, un ascenseur social. L’échec sur ces deux problématiques est plus prégnant que les difficultés financières des Etats. Au Maroc, le débat public est très pauvre, pour ne pas dire inconsistant. Pourtant, les phénomènes annonciateurs de retard, voire d’explosion, sont là. Ce sont les mêmes qu’en Suède et en Turquie.

Nous avons enregistré un taux d’urbanisme très fort, sans aucune corrélation avec la croissance économique, l’industrialisation, la capacité des villes à intégrer les migrants et à en faire des citoyens. En constituant des quartiers entiers où la règle de droit est inexistante, la précarité règne en maître, l’attachement à un destin collectif totalement absent, nous avons abouti à la ruralisation des villes. Le système éducatif, dans son ensemble, est en faillite absolue. L’école, pivot de ce système, n’est plus ni un lieu de transmission du savoir, ni un creuset d’intégration sociale, ni un moyen d’offrir l’égalité des chances aux générations futures. Le reste ne va pas mieux puisque la dissolution des structures traditionnelles, la famille, le voisinage et les structures éducatives parallèles ont abouti à l’abandon des jeunes.

Ces deux phénomènes sont stratégiquement plus inquiétants que le taux de chômage ou le déficit budgétaire, parce qu’ils mettent en équation l’unité de la nation, l’engagement de citoyens dans un projet collectif, un projet national. Ce que l’on sait maintenant, au vu de ce qui se passe dans d’autres pays récemment cités comme modèles, c’est qu’on ne peut pas ignorer une partie de la population, de plus en plus grandissante à cause de la crise planétaire du capitalisme. L’on sait aussi que l’éducation et l’aménagement du territoire, dans un sens égalitaire, sont les seuls biais pour éviter le clash. Ce sont des vérités scientifiques avérées. Malheureusement, aucun des deux sujets n’a les faveurs des politiques qui préfèrent les joutes verbales. Un homme d’Etat c’est d’abord une vision stratégique, un projet national.

Y’en a-t-il encore ? дайв центр