Ecouter aux portes
Vincent HERVOUET

Avoir 29 ans, gagner deux cent mille dollars par an et vivre à Hawaï, c’est un peu avoir tiré le gros lot. Surtout quand on n’a pas de diplôme, viré de la fac pour flemmardise et de l’armée pour maladresse. Edward  Snowden était donc installé au paradis. Est-ce qu’il le méritait? Il devait se poser la question puisque sa morale lui a soudain rendu insupportable cette vie privilégiée. En révélant à deux quotidiens anglo-saxons l’ampleur des programmes de surveillance qu’utilisent les agences américaines de renseignement pour espionner leurs compatriotes internautes, l’informaticien a déclenché le scandale Prism. Il est désormais en cavale, loin des siens, se préparant à rendre des comptes, ce qui arrivera tôt ou tard. Edward Snowden ne se contente pas de cracher dans la soupe. Il l’a renversé sur la tête de Barack Obama. Nouvel accroc à l’image si lisse d’un Président qui se prend volontiers pour une icône, ce qui lui a valu un Prix Nobel qui était un prix d’élégance, le jury ayant couronné un projet plutôt qu’un bilan. Edward Snowden a lui aussi une image brouillée. Mais avec un ordinateur et un accès sécurisé, des centaines de milliers d’Américains travaillant pour l’administration ou pour des sous-traitants habilités au secret, peuvent tout savoir de sa vie passée et présente, ses amis, leurs conversations, ses habitudes, ses achats, ses déplacements, etc.  Quand on connait la défiance que suscite chez les Américains toute menée un peu intrusive de l’administration fédérale, on mesure le scandale qu’engendre cette découverte. Mais l’onde de choc touche aussi les alliés de l’Amérique. A  Bruxelles, la Commission européenne cherchait à renforcer la protection de la vie privée des internautes. Après le 11/09, l’Europe n’a pas caché grand-chose aux Américains. Se voulant ouverte aux vents du large, elle était béante à la curiosité des services spécialisés. La lutte anti-terroriste justifiait de livrer les fichiers cartes bleus, les fadettes téléphoniques ou les menus réclamés dans les avions, tous ces petits secrets de Mr tout le monde qui peuvent trahir un suspect. D’où l’impression d’être cocu en découvrant que cet ami auquel on ne cache rien écoute quand même aux portes ! L’Europe proteste, réclame des comptes sur le programme Prism et jure qu’on ne l’y prendra plus. Un diplomate croisé à la Commission veut espérer que cette affaire ouvre les yeux des naïfs et que les Eurocrates réalisent enfin que les relations internationales sont fondées sur des rapports de forces. On peut toujours rêver… en sachant qu’un jour Prism sondera notre subconscient aussi

Regarder par le trou de la serrure 

L’Afrique du sud au chevet de Mandela. La dernière fois que la télévision a filmé le vieux président, l’image était indécente. Le chef de l’Etat Jacob Zuma lui tenait la main et Mandela épuisé, mutique, gardait les yeux fermés. Exhibé comme une bête dans un zoo. Et tous le sud-africains transformés en voyeurs. Cette fois, la famille fait barrage et ne laisse personne approcher. Elle a dissuadé Jacob Zuma d’y revenir et elle a fermé la porte au nez du vice-président. Cela n’empêche pas le gouvernement d’exploiter cette agonie pour mobiliser ces troupes et faire oublier les scandales. L’Anc prépare ses troupes et les médias préparent l’opinion. Mandela a 94 ans dans un pays où l’espérance de vie culmine à 60.  Il n’est pas mort mais il va mourir. L’Afrique du sud tournera alors une page et personne au pouvoir n’est vraiment pressé. A Alger aussi, un absent règne sur les esprits. Lundi, l’annonce de la mort d’Abdelaziz Bouteflika a couru Paris. Un hebdomadaire le prétendait dans le coma. Le ministère de la Défense dont dépend l’hôpital des Invalides où est soigné le président algérien a stoppé la rumeur en parlant d’intox. Les démentis venus d’Alger ne suffisent plus à faire taire les bavards, les imaginatifs, les malveillants. Le premier ministre Sellal et le chef d’Etat-major ont donc fait le déplacement. Ils ont pris la pose avec Abdelaziz Bouteflika pour une séance photo et vidéo dans la pharmacie de l’institution. Premières images depuis l’hospitalisation en urgence du Président, il y a un mois et demi. On a l’impression de regarder par le trou de la serrure. La légende vaut un bulletin de santé : « période de réadaptation fonctionnelle en vue de consolider l’évolution favorable de l’état de santé ». Autrement dit, A. Bouteflika reste le Président. En convalescence, pas en agonie. Ni en cavale médicale, ni empêché. Evidemment, le voir en robe de chambre et en silence ne suffira pas aux Algériens jusqu’en 2014... A Alger comme à Pretoria, le sablier se vide, une heure de vérité approche. Au nord du continent, comme au sud, on s’apprête à tourner une page  et les dirigeants en place sont encore moins pressés. создание логотипа разработка стиля