La banalisation de l’indicible
Ahmed CHARAI

Un professeur à Oujda propose à ses étudiants pour l’examen un texte totalement et clairement antisémite. Cela arrive quelques semaines après le scandale du Salon du livre où ont été présentés des ouvrages nauséabonds, reprenant toutes les abjections sur les Juifs. Cet évènement était pourtant tenu sous la tutelle du ministre de la Culture, et donc sous la responsabilité politique d’un homme de gauche. De la même manière, un professeur d’économie a comparé l’usage du crédit à l’inceste, et ce dans une institution privée de Casablanca.

Un autre, professeur d’anthropologie a choisi comme sujet « certains auteurs occidentaux s’attaquent à la personne du prophète. Qu’en pensez-vous ? ». Ce qui n’a aucune relation avec l’anthropologie et relève davantage de l’inquisition que de l’évaluation des connaissances académiques. Ajoutons à cela les fatwas takfiristes et l’on ne peut que constater que l’on est face à un mouvement et non à des dérapages individuels. Or, les mots tuent ! L’idéologie de la haine finit toujours en drame. Les discours des cheikhs trouvent immanquablement des exécutants qui les transforment en violences, en attentats terroristes et en confiscation de libertés. La Tunisie, que l’on croyait à l’abri, vit des heures sombres. Ce pays est en proie à des affrontements avec des groupuscules se réclamant de ces idéologies. L’Egypte suit la même voie, malgré un appareil sécuritaire imposant, largement épargné par la révolution. Ne parlons même pas du Pakistan ou de l’Irak. Pays où l’on ne sait plus qui tue qui et pourquoi ?

C’est depuis le 16 mai que ce débat existe et qu’il est escamoté pour des raisons politiciennes de part et d’autres, certains croyant instrumentaliser les amalgames. Mais tout le monde doit assumer ses responsabilités. D’abord, les autorités compétentes. La constitution fait sienne les valeurs universelles. Celles-ci interdisent toute forme de racisme et d’incitation à la haine. La législation, dans le cadre de la mise en conformité de l’arsenal juridique avec les conventions internationales ratifiées dont la constitution reconnaît explicitement la suprématie, doit suivre. Le racisme, l’incitation à la haine, l’incitation au meurtre, l’appel à la violence, ne sont pas des opinions acceptables en démocratie, mais des délits qui doivent être identifiés comme tels et lourdement sanctionnés. La classe politique se déshonore par un silence qu’elle croit justifier en minorant l’importance de ces faits. Le service minimum du genre « ces idéologies sont importées » sont ridicules.

Il faut une opposition beaucoup plus frontale à ces idéologies de la haine, qui comme on le voit, se sont installées même à l’école, à l’université. La responsabilité principale est celle des élites. Si elles montrent quelques signes d’inquiétude dans les salons, elles ne se mobilisent pas, ne dénoncent pas, ne protestent jamais. La modernité ne peut se construire sur une série de lâchetés, en déléguant au pouvoir la gestion de tous les phénomènes déviants, alors que ceux-ci prolifèrent au sein de la société, prospèrent dans les mosquées, les écoles, les sites internet. Ce ne sont pas des épiphénomènes, mais des courants d’idées régressifs, prônant un repli identitaire violent, un Islam jihadiste, intolérant, totalitaire. Depuis quelques années, ils ont des expressions politiques. Faire la politique de l’autruche en faisant mine de les ignorer ne peut que les renforcer. Il faut, dans le cadre de l’Etat de droit, les réduire et dans l’espace public les affronter, les dénoncer. Et c’est la responsabilité de tous ceux qui se réclament de la démocratie. изготовление логотипа