Fatoumata Diawara : « Le Festival Gnaoua me touche parce qu’il est très humain »

Grande voix de l’Afrique actuelle, la chanteuse, guitariste, auteure et compositrice malienne a envoûté le public lors de la 21e édition du Festival Gnaoua d’Essaouira. Connue pour son combat contre certaines pratiques rétrogrades de la société africaine, Fatoumata a livré un concert mémorable pour la paix. Sa fusion 100% féminine avec Asmaa Hamzaoui du groupe Bnat Tombouctou restera longtemps dans les annales. Sur les traces d’Oumou Sangaré, celle qui tire son inspiration du chant wassoulou, est venue présenter son second album solo, « Fenfo »,  un opus entre tradition et modernité et dont les titres évoquent le statut de la femme et la souffrance des migrants dans le monde.

C’est la première fois que vous jouez à Essaouira. Quel est votre sentiment ?

Je suis ravie d’être là. Ce festival me touche beaucoup parce qu’il est très humain, mais aussi parce qu’il est basé sur une musique mystique et ancestrale, ce qui renvoie tout à sa juste valeur. Moi, je suis pour la tradition et l’Africanité, pour la femme et tout ce que l’Afrique peut valoriser pour continuer à s’introduire au reste du monde. A travers ce festival, on montre qu’on peut être à la fois authentique et ouvert au reste du monde. On garde nos traditions et on n’est pas obligés de tout abandonner pour plaire aux autres. Les couleurs dans la médina te nourrissent, tu sens que tu es dans un monde convivial, de paix, de spiritualité, d’Africanité et de générosité.

Vous allez faire une fusion avec Asmaa Hamzaoui. Que pensez-vous du rôle de la femme dans la musique Gnaoua ?

C’est très important pour moi de jouer avec Asmaa parce qu’elle est en train d’accomplir quelque chose qui n’a jamais existé. C’est la 1ère femme chanteuse du chant Gnaoua à représenter tout le continent africain et spécialement l’Afrique de l’Ouest où on retrouve l’équivalent du gembri (n’goni au Mali). Le fait qu’Asmaa joue du gembri, c’est un message très fort pour la jeunesse, c’est le début de l’ouverture, de l’évolution, du développement de la musique et ça va certainement changer la place de la femme dans la musique.

Deux voix féminines sur scène avec une complicité et une connexion vocale ?

Oui, il y a beaucoup de choses qui nous lient dont la motivation de jouer ensemble et cette volonté de faire quelque chose qui n’a jamais existé auparavant. Moi, j’essaie de m’imposer en tant que femme solo sur scène avec ma guitare électrique, en faisant du solo Blues, ce qui est nouveau pour la jeunesse malienne. Asmaa elle, joue d’un instrument traditionnel, quasiment interdit aux femmes. Et au Mali, la femme n’a pas le droit de toucher les instruments ancestraux (le djeli n’goni, la Kora,…) quand elle a ses menstruations ! En fait, j’ai dû me batte pour trouver ma façon de jouer et j’ai appris toute seule à manier la guitare. Le fait qu’Asmaa soit soutenue par ses parents est une bonne chose, ils peuvent montrer l’exemple à d’autres parents pour faciliter la vie aux femmes car ces dernières ont leurs propres messages à transmettre à travers la musique. On a besoin de femmes libres dans nos sociétés traditionnelles. De plus, à travers sa vie, son chant et sa spiritualité, je sens une autre vibration, une énergie... On est complémentaires, on a besoin de femmes Gnaoua.

Vous avez participé au Forum « Egalité et parité » en marge du festival.

Oui, c’était important pour moi de parler des problèmes d’excision dans notre pays et de la difficulté de jouer d’un instrument pour une femme au Mali, et de lever le voile sur cette terrible condition qui les interdit de toucher à un instrument musical lorsqu’elles ont leur période. Pour moi, les menstruations, ce n’est pas une faiblesse mais une force, la femme est doublement forte parce qu’elle peut à la fois donner la vie et être musicienne, sur le même terrain que les hommes.

Les artistes qui vous ont influencé ?

En Afrique, il y a plus d’accompagnatrices que des femmes qui jouent à la guitare en solo ! Voulant être la voix des sans voix, je me considère comme une survivante parce que j’ai dû me battre pour chanter, c’est un métier très masculin. Je viens du Mali où la musique est très importante, j’ai dû m’enfuir en France pour échapper à un mariage forcé pour devenir ce que je suis, j’ai dit non à la tradition. Mes influences, j’ai dû les inventer parce qu’il y avait l’envie de prouver à ma famille et à la société malienne qu’une fille peut réussir dans le monde de la musique, qu’elle peut avoir son propre langage malgré les barrières, qu’elle peut affronter ce monde masculin et pouvoir s’imposer dans ce milieu sans coucher avec qui que ce soit. En 2012, lors de la crise au Mali, j’ai rassemblé tous les artistes maliens -les ainés-, pour chanter la paix et notre chanson a marché. Pour le côté guitare, je fouille un peu dans les classiques américains, même si je chante en Bambara.

Dans votre dernier album, le titre « Nterini » (mon amour) décrit la souffrance des migrants. C’est un thème qui vous tient à cœur ?

L’immigration est un phénomène très spécial en Afrique. J’ai essayé d’écrire cette chanson de façon imagée, comme si je me battais inconsciemment avec moi-même. En tant qu’africaine, je suis fière de mes frères migrants. Ce qui me révolte c’est qu’on parle de tout sauf de leur courage ! « Nterini » c’est un peu mon Blues à moi, je parle de mes malheurs tout en transformant l’image de l’Afrique et de cette jeunesse qu’on montre. Ce sont des gens à qui  on a refusé le visa pour aller explorer le monde, alors que l’Occident s’est bâti avec l’exploration. Il faut qu’on donne aussi cette opportunité à la jeunesse africaine, ce ne sont pas de pauvres types, il ne faut pas qu’ils perdent leur dignité, parce qu’ils passent par la mer. L’Afrique n’est plus misérabiliste comme avant, il n’y a pas la guerre partout ! Cette jeunesse n’a plus besoin d’être maternée, d’ailleurs, en Europe, les musiciens respectent mon blues, ma musique, et je veux que ça soit de même pour mes frères qui décident d’aller en Occident. C’est une chanson qui veut dire beaucoup pour moi même si elle parait naïve ou si je la chante avec beaucoup de douceur. C’est cela la féminité, la femme peut être à la fois forte et très douce.

Que pensez-vous de la politique d’immigration de Trump ?

C’est juste catastrophique. Lorsque je suis tombée sur l’image de cet enfant en prison sur Facebook, j’ai fondu en larmes. Vous savez, nous les artistes, on tient sur un fil, on est des survivants. Un artiste arrive à se faire entendre que s’il a vécu des choses dures, c’est sa douleur qu’il transforme et qu’il chante. Il crée son Blues et chante ce qu’il doit pleurer ! Des images comme ça, ça va à l’encontre de ce que nous voulons être, on veut trouver du bon dans tout pour pouvoir exister, survivre. Et quand tu vois un enfant emprisonné et séparé de ses parents, tu commences à douter du rôle des artistes ! et te dire : est ce qu’on va y arriver ?

C’est pour cela que vous vous êtes associée à Mathieu Chedid pour « Lamomali » et qu’il co-produit votre dernier album « Fenfo » ?

Oui, Mathieu a chanté la solidarité dans 7 pays, il a investi son propre argent pour chanter haut et fort la solidarité, c’est un enfant du monde qui se bat contre l’obscurantisme qui menace la jeunesse. Trump nous fait peur mais en tant qu’artistes, on va se battre pour faire véhiculer les messages de paix, de solidarité et d’amour dans le monde entier.

Pourquoi privilégiez-vous la musique au détriment du cinéma et du théâtre ?

Je viens de faire un film « Yao » avec Omar Sy au Sénégal (sortie prévue en janvier), mais il n’y a pas beaucoup de rôles pour les femmes noires, il y a tellement de place féminine à prendre dans l’industrie de la musique. Dans les 7 dernières années, j’étais quasiment la seule fille, avec Angélique Kidjo, à représenter la femme et le continent africain sur scène dans le monde entier. Les gens ont besoin de voir la femme sur scène, car elle a son propre discours, ses sujets à défendre.