complexes culturels Une affaire bien complexe !

Zoom Les complexes culturels trônent au cœur de certains quartiers de Casablanca en affichant une fière allure. Ce sont, en principe, des lieux censés animer la vie artistique dans la métropole. Sauf qu’ils restent loin de satisfaire les attentes du public et des artistes. Focus sur un grand décalage qui dévoile une flagrante absence de politique culturelle non seulement à Casablanca, mais également dans tout le pays.

«Ce n’est pas normal que Casablanca qui compte le plus grand nombre de salles de théâtre soit la plus démunie en programmation artistique », s’insurge Rami Fijjaj, directeur de la Fondation des arts vivants. Pourtant, plus de 14 complexes culturels sont dispersés à travers différents quartiers de la métropole. C’est là un chiffre qui devrait rassurer quant à la bonne santé du secteur culturel dans la ville. « Il n’en est rien ! On construit les murs et on oublie de les animer en programmant, en produisant et en diffusant des spectacles et des activités artistiques », poursuit Fijjaj, non sans amertume. Une déception partagée avec un nombre d’acteurs culturels et d’artistes, toutes catégories confondues. Si, d’après les observateurs, la musique réussit plus ou moins à tirer son épingle du jeu, grâce notamment aux différents festivals à grande portée et autres spectacles sponsorisés par les privés, les autres disciplines tels le théâtre, la chorégraphie, la peinture vivent des années de vaches maigres. Les raisons ? « La musique attire les investisseurs par son grand potentiel en terme de public. Ce n’est pas le cas pour les autres disciplines », analyse Adil Abatourab, comédien et l’un des fondateurs de l’association « Tous pour les arts ».

Frustrations

Pour ce jeune acteur, le succès relatif du secteur musical ne peut en aucun cas occulter la triste réalité d’une vie culturelle agonisante dans une ville qui compte 3,6 millions d’habitants, selon les chiffres officiels. « Les complexes culturels devraient en principe jouer ce rôle primordial. Le divertissement est un besoin réel, un droit des citoyens et un moyen d’épanouissement pour la population. Surtout celle d’une métropole telle que Casablanca vivant en permanence sous pression à cause de son rythme de vie soutenu », note Mohamed Amine Moumine, directeur du complexe culturel de Moulay Rachid. Un besoin qui n’est pas toujours assouvi. Cela engendre une frustration dont on ne se rend même pas compte. «Le jour où on a détruit le théâtre municipal de Casablanca, on a tué l’âme même de la ville », regrette Abatourab.

Un haut lieu de culture, d’échange et de débat. « Une véritable pépinière d’artistes et d’hommes de lettres en état d’effervescence », décrivait Noureddine Ayouch, président de la Fondation des arts vivants lors du lancement de l’édition 2013 du festival

international « Allons au théâtre » à Casablanca. « Le culturel n’était pas seulement l’apanage des quartiers, luxueux ou français. Il était aussi évident dans les quartiers musulmans et pauvres, même dans les bidonvilles... Une riche activité théâtrale vive et un grand souffle artistique et culturel animaient ces espaces reculés mais foisonnant de soif de créer. Ça a donné une grande partie de tout ce que compte le Maroc en écrivains, penseurs et artistes tous genres confondus », souligne l’écrivain M’barek Housni dans sa chronique intitulée « Casablanca et le désert culturel ». Un titre pessimiste mais qui résume avec éloquence une triste réalité. Mais comment Casablanca en est-elle arrivée là ? A quel moment les choses ont basculé pour laisser lieu à ce paysage désolant qu’embellissent momentanément quelques éclaircies passagères ?

Gestion controversée

« Lorsqu’on ne met pas la bonne personne à la bonne place, on ne pourrait s’attendre qu’au pire », déplore Adil Abatourab. Décryptage ? Pour ce jeune acteur, le dysfonctionnement réside essentiellement dans le système de gestion des complexes culturels. « Que vient faire le ministère de l’Intérieur dans la gestion d’un lieu culturel ? », demande-t-il. En étant soumises à la tutelle des arrondissements et du conseil de la ville, ces institutions sont gérées par le ministère de l’Intérieur. Une situation qui soulève un tollé général. Pour Rami Fijjaj, le plus grand mal de ces complexes n’est autre que leurs gestionnaires. « Des flics et de simples fonctionnaires pour la plupart et qui n’ont aucune sensibilité artistique ou culturelle », proteste-t-il. Même constat de la part de Roukaya Benjelloun, membre du comité organisationnel de « Théâtre pour tous ». « Le manque de qualification du personnel de ces institutions est un véritable handicap à l’activité artistique ». Des propos que confirme Abatourab. Ce dernier va plus loin en évoquant quelques contre exemples. « Ces complexes deviennent très actifs lorsqu’ils sont tenus par des responsables et des animateurs issus du milieu culturel et ayant une formation adéquate. C’est le cas de Khmis Zmamra, My Driss Zerhoune et El Hajeb qui ont connu une impressionnante mutation avec l’arrivée d’animateurs issus de l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle », argumente-t-il en mettant en perspective l’une des pistes possibles pour un heureux dénouement de cette situation délicate.

Si les artistes estiment que les portes des complexes se ferment devant eux car mal compris par les responsables, ces derniers leur renvoient aussi la balle. Pour Mohamed Amine Moumine, directeur du complexe Moulay Rachid, le blocage vient souvent du non

respect des procédures administratives. « C’est aussi simple. Beaucoup d’artistes oublient de préparer des projets en bonne et due forme avec un descriptif détaillé de la création en question avec un cadre légal qu’ils doivent adresser aux bonnes personnes, à savoir le président de l’arrondissement ou le responsable des relations publiques, sinon au préfet. Si le projet est consistant et bien présenté, il n’y pas de raison que l’on refuse à un artiste son droit de profiter de l’espace du complexe et de s’y produire », jure Moumine qui est en exercice depuis plus de dix ans. Reprochant à certains artistes leur tendance à verser dans la polyvalence extrême, il leur conseille de demander l’aide de personnes qualifiées pour se charger du côté administratif de leur « entreprise » artistique. « D’ailleurs nous avons de nombreux artistes résidants au complexe qui profitent pleinement de l’espace pour faire leurs répétitions et pour se produire », assure-t-il, en donnant comme exemples : le chorégraphe Khalid Benghrib, l’acteur et le metteur en scène Miloud Habachi et bien d’autres.

Cherche politique culturelle désespérément

Mais le problème se limite-t-il réellement à une simple procédure administrative à respecter pour voir s’épanouir artistes et publics ? « C’est trop simplifier les choses. Le problème fondamental est la flagrante absence de politique culturelle au niveau de la ville de Casablanca et au niveau national en général », répètent nos interlocuteurs à l’unisson. Ces derniers s’accordent tous à prévenir des risques de cette défaillance. En effet, la gestion des complexes culturels ne représente que la partie apparente de l’iceberg. Ni l’État ni les collectivités territoriales n’ont une vision claire de la chose culturelle et de son développement. « Léguée à des rangs inférieurs bien après le droit à l’emploi, le droit à l’habitat et le droit à la santé, la culture est considérée par nos décideurs comme un luxe », regrette Fijjaj. Un luxe qui est pourtant considéré comme un puissant moteur de développement sous d’autres cieux. « La culture est le deuxième budget en France et le premier en Norvège… c’est tout dire », conclue-t-il en rappelant le budget dérisoire alloué à la culture dans notre pays : 1,5 % ! Un chiffe qui en dit long sur le rôle joué par un ministère qui semble dépassé par les événements et qui n’est pas le seul responsable de cette situation. « Il faut savoir que la gestion de la chose culturelle relève réellement de plusieurs ministères en plus de celui de tutelle : le ministère des Habous, le ministère de la Communication, le ministère du Tourisme et de l’artisanat, le ministère de la Jeunesse, le ministère de l’Intérieur le ministère de l’Economie et des finances… tous se partagent cette responsabilité », insiste Moumine. Tant de responsables et donc autant de visions. Serait-ce là l’origine de cette dispersion d’efforts et de politiques ?

« En Egypte, pour ne pas trop s’éloigner du Maroc, la chose culturelle est exclusivement et entièrement gérée par le Ministère de la culture. Cela permet d’unifier les visions et les efforts », compare Moumine. C’est aussi un bon moyen pour clarifier les responsabilités de chacun. Une approche qui traduit d’ailleurs une réelle volonté politique de développement culturel du pays.

« C’est ce dont nous manquons affreusement au Maroc et c’est là d’ailleurs l’origine de toutes les défaillances du paysage culturel national», s’accordent à dire nos interlocuteurs. Pour eux, seule une volonté politique peut changer la donne et permettre d’élaborer une vision susceptible de ressusciter l’art et la culture. « Pour y arriver, il faut avant tout élaborer une véritable stratégie qui nécessitera pour sa réalisation un accompagnement intégré touchant le volet formation artistique et technique, l’équipement, le financement à travers l’encouragement à l’investissement, la production et la diffusion… », conclut le directeur du complexe Moulay Rachid.

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