Khaled Youssef : « Au-delà du beau et du divertissement, un film doit faire appel au cognitif »

Connu pour ses films controversés, le réalisateur et scénariste égyptien nous parle de son dernier film Karma. Une œuvre qui dérange car elle soulève le problème des conversions religieuses dans une Egypte en proie aux heurts confessionnels, rongée par la corruption et victime du dictat économique.

Vous n’aimez pas revoir vos films sur écran. Pourquoi ?

Quand je finis le montage final d’un film et que je valide la version qui me plait, je ne la revois plus, parce que je risque en tant que spectateur, de me dire : « il aurait pu rectifier cette scène, il aurait pu tourner autrement ce plan,…. ». Une fois que c’est dans la boite, je passe à autre chose. C’est peut être dû à mon côté perfectionniste en tant que cinéaste.

Croyez-vous au « Karma » ?

Tout à fait. En fait, la loi du Karma à laquelle fait référence le film n’est pas propre au Bouddhisme, elle existe dans les trois religions monothéistes et elle stipule que chaque personne, bonne ou mauvaise est récompensée ou reçoit le châtiment qui lui revient sur terre aller d’aller dans l’au-delà.

Le film a été interdit en Egypte avant d’être reprogrammé. Et depuis, il n’a réalisé que de maigres recettes. Pensez-vous que le public égyptien n’a pas aimé l’idée ?

Du tout. C’est juste qu’il est sorti pendant l’aid, et comme c’est un film sérieux,- même s’il a un côté comédie-, il devait rivaliser avec des films comiques et light, donc, c’est ce qui explique ce résultat. Mais après l’aid, les recettes ont l’air d’augmenter.

Ne pensez-vous pas que le film a été victime de mauvaise publicité avant sa sortie ?

C’est sûr, le film a été attaqué par plusieurs parties, mais là, il s’en sort bien.

Croyez-vous que le courant salafiste est derrière son interdiction ?

Vous savez, il y a des gens qui ne voulaient pas que le film sorte parce qu’il ne servait pas leur intérêt. Le film met en lumière certaines idées qui vont à l’encontre de leur idéologie. Je parle de tous les détracteurs du film pas juste les salafistes.

Quel est le message que vous souhaitez véhiculer à travers ce film ? Pour vous, la solution à la haine et la violence, c’est l’amour ?

Sans aucun doute. Si on avait comme valeur l’amour dans notre vie, beaucoup de conflits n’auraient pas lieu ! Dans mon film, je dénonce l’obscurantisme et  « l’extrémisme religieux » qui gangrènent la société égyptienne. C’est un peu ma manière de défendre les libertés individuelles, de prôner la paix, l’ouverture et tolérance dans une Egypte en proie aux heurts confessionnels.

Peut être que c’est cette idée de mélange des religions qui a un peu dérangé les gens et créer une confusion ?

Non, je ne pense pas. Je trouve que je présente les choses avec la tolérance comme toile de fond. Le film ne véhicule aucune pensée extrémiste, il ne pousse ni au rejet ni à la haine. Mais plutôt à l’acceptation de la différence.

Quelles sont selon vous, les causes qui ont accentué les conflits entre Musulmans et Chrétiens en Egypte ?

Vous savez, l’extrémisme n’a pas touché le fond de l’identité égyptienne, il a juste effleuré sa partie superficielle. C’est pour cette raison que la violence ponctuelle de certains extrémistes ne dure jamais, et le film que je sors justement est un moyen pour l’aider à s’estomper. Lorsque les Egyptiens changent leur religion, c-à-dire renoncent aux valeurs qui les caractérisent comme : la bonté, la tolérance, le pardon ou l’acceptation de l’autre, ça donne ce que ça donne …si on arrive à panser ce genre de plaies, on arrangerait énormément de choses.

Tous vos films créent la polémique. Vous dénoncez souvent des tabous. Est-ce là le but du cinéma ?

C’est certainement un des objectifs du cet art. Si le film ne crée pas de polémique, s’il n’a aucune influence au sens dialectique du terme sur celui qui le regarde, alors, il n’a pas lieu d’être. Un film doit être un moyen de distraction, comporter une certaine beauté visuelle, et en même temps, faire appel au cognitif et poser des questions judicieuses. Dans les arts, on dit souvent : « les questions voient, les réponses sont aveugles ». On pose des questions et on essaie d’y apporter des réponses. Un film qui ne pose aucune problématique n’est pas un film pour moi.

Vous avez été l’assistant de grand Youssef Chahine. Qu’avez-vous appris à ses côtés ?

Absolument tout, de A à Z. J’ai appris comment traiter une idée, comment la transformer en scénario, jusqu’à sa projection dans les salles de cinéma. Il m’a appris la rigueur dans ce que je fais, j’admirais sa façon de travailler qui était propre à lui !

On vous critique souvent pour avoir filmé des bidonvilles et de passer une image négative de l’Egypte ?

De nos jours, avec la mondialisation, je crois qu’il n’y a plus rien à cacher ! On peut savoir en temps réel ce qui se passe dans un quartier paumé de Kuala Lumpur. Il n’y a plus de secret et en plus, dans toutes les sociétés du monde, il n’y a pas un peuple qui règle ses problèmes en restant caché. Il faut dévoiler les choses et les mettre en lumière pour essayer de les solutionner. Nos problèmes et maladies sociales et nos problématiques ne seront jamais solutionnés si on ne les traite pas en public.

Quelle est la chose la plus dure dans ce métier ?

Le plus difficile c’est de ne pas savoir quel genre de films les gens en ont besoin ou dans quel mood se trouve le public ? Il n’y a pas d’études scientifiques pour ce genre de choses, on se fie à nos intuitions.

Parlez-nous un peu de votre dernier projet sur les salafistes ?

Oui, cela fait 6 mois que je prépare un documentaire sur les courants salafistes et terroristes, depuis les origines à nos jours. J’ai choisi ce thème parce que je vois qu’il y a eu une montée accrue des extrémismes dans notre région après les printemps arabes. Plusieurs questions se posent alors et auxquelles il faut répondre telles que : comment certains courants sont apparus d’un coup, comme Daesch ? Et comment a-t-il pu prendre le contrôle dans deux pays ? Comment a-t-il lui même constitué un pays ou khilafa ? Comment tout cela s’est produit ? Comment cette vague a pu envahir des pays, occupé une terre ? Est-elle en rapport avec les révolutions arabes ou pas ? Est ce qu’elle y a contribué ou est ce qu’elle en a tiré profit ? Est ce qu’elle fait partie des interprétations du fiqh extrémiste, qu’on retrouve dans certains écrits du Fiqh ou est-elle issue du l’autoritarisme politique, pour étouffer les libertés ? Est-elle une conséquence de la pauvreté extrême ou est ce un complot ou est-elle l’instrumentation de certains pays étrangers ? Il faut répondre à toutes ces questions pour qu’on puisse avancer et affronter l’avenir.

Etes-vous optimiste quant à l’avenir de l’Egypte et des pays arabes ?

J’ai toujours été optimiste, même lorsque les Frères musulmans étaient au pouvoir. Je ne vais jamais céder au pessimisme. Je pense que la volonté des peuples à vivre en liberté s’est affirmée de plus en plus, les peuples ne vont jamais perdre, parce qu’ils ont la volonté réelle de s’en sortir, même si le combat dure longtemps.