Entretien. Mustapha Lakhsem. "Nous avons l’intelligence et l’énergie, il nous manque le sérieux"

Lobservateur.info: Qu’est-ce que vous pensez de la participation du Maroc aux jeux olympiques?
Mustapha Lakhsem: Je ne sais pas si je dois en penser quelque chose. Je suis terrassé. Sans la magnifique médaille de Bekkali, c’est comme si nous n’y étions pas. C’est malheureux pour un pays qui regorge de talents. Il faut le reconnaître c’est un échec total.
A quoi est dû cet échec?
On ne va pas inventer la roue. Pour réussir dans un domaine quel qu’il soit, il faut avoir de l’intelligence, de l’énergie et du sérieux. L’intelligence, nous n’en manquons pas au Maroc, la preuve le pays a réussi dans plusieurs domaines. L’énergie aussi nous en avons à revendre. Quant au sérieux, je me demande si nous en avons. Que veut dire le sérieux? En fait il s’agit de la gouvernance du sport. Une bonne gouvernance veut dire rassembler les ressources de manière à en extraire le maximum. Cela veut dire qu’il ne faut pas avoir en tête les bénéfices personnels mais l’internet du pays. Or, je dois le dire, je ne pense pas que les gestionnaires du sport pensent au pays.
Pour vous, en tant que champion international, comment pourrions-nous rassembler nos ressources?
Là aussi, nous n’avons rien à créer. Il suffit de voir ce qui se fait dans les pays qui réussissent. Il n’y a aucun mal à apprendre. C’est même très bien. Il nous faut mettre en place des mécanismes qui permettent de un, découvrir des talents, deux, les améliorer et trois les récompenser comme il faut. La découverte des talents se fait dès l’enfance et là il est indispensable de revenir au sport scolaire. C’est là où on peut voir ce que les enfants marocains peuvent faire. Il nous faut une formation sportive sérieuse qui rompe avec les pratiques actuelles où le sport est considéré comme une sorte de récréation où les professeurs jettent un ballon aux élèves et les abandonnent pendant l’heure de cours. Il nous faut une compétition sérieuse et bien organisée avec des récompenses attirantes et un suivi médiatique qui permettrait aux petits champions d’être fiers d’eux-mêmes et de se voir grands. Une bonne compétition bien médiatisée attirera les sponsors qui renforceront ses finances et lui permettront de s’améliorer. Pourquoi aux Etats-Unis, par exemple, les champions sont cherchés partout et les meilleurs reçoivent des bourses des meilleures universités? Parce qu’il y a la compétition universitaire et c’est très médiatisé. En plus cela rapporte parce que les sponsors sont intéressés. Ce n’est pas compliqué.
Pourquoi est-ce que cela ne marche pas chez nous?
Il faut essayer d’abord pour savoir si cela marche ou pas. Chez nous, le sport scolaire n’est pas pris au sérieux. Et tenez, nous avons aussi les maisons de jeunes. Elles font quoi ces maisons? Combien de champions y ont débuté? personne. Elles servent à quoi? A rien. Voilà
Mais on peut tout de même rattraper le temps perdu. Vous ne pensez pas?
On peut toujours rattraper le temps perdu. Mais, il ne faut pas espérer y arriver tout de suite. Nous devons recenser nos champions, évaluer leur potentiel et leur offrir les moyens pour qu’ils aillent plus loin dans les compétitions. Un jeune champion est un espoir pour tout le pays, il portera le drapeau du pays dans les compétitions internationales et fera écouter notre hymne national au monde entier. C’est important, moi quand j’entends l’hymne national dans une compétition mondiale, j’ai la chaire de poule et les larmes aux yeux. Ce n’est pas particulièrement marocain, c’est vrai pour tous les peuples du monde.
Si je comprends bien, notre processus de fabrication des champions est grippé.
S’il existe. Pourtant le Maroc sait très bien ce que veut dire champion. Nous l’avons bien fait dans le domaine des affaires. Le Maroc a créé des champions internationaux dans plusieurs domaines, télécoms, aéronautique, automobile, banques, assurances, infrastructures et immobilier, enseignement... Eh bien c’est la même mentalité qu’il faut retrouver dans le sport.
Si on commence dès aujourd’hui, est-ce qu’on sera prêts pour les jeux de 2024?
Pourquoi pas? Nous savons réaliser de grandes performances. Mais trois ans ce n’est pas suffisant. On peut néanmoins prendre en charge les jeunes champions avec un programme d’entraînement continu. Bien sûr, il faut penser à leur confort et à celui de leur famille. Il faut les débarrasser des soucis du quotidien.
Ça veut dire quoi au juste?
Eh bien ça veut dire qu’il faut les payer pour qu’ils se concentrent sur leur entraînement et leurs compétitions. Attention, c’est important le confort pour des sportifs de haut niveau. Leur nourriture ce n’est pas le sandwich-soda.